Docteur Guy Baillon Paris le 2 mai 2011
Psychiatre des Hôpitaux
-1- L’UNAFAM fait des choix cruels : la force avec les patients, la rupture avec la FNAPSY.Elle décide de « maitriser, soumettre » les usagers, et rompt avec la FNAPSY. Une trahison.
Ceci est affirmé dans son « Plan psychique » publié dans le dernier numéro de sa revue « Un autre regard », n° 1- 2011. Nous constatons en 18 pages, que l’UNAFAM a rayé de son vocabulaire le terme usager de la santé mentale, ainsi que le nom de leur Fédération, la FNAPSY. Il n’y a plus que des « malades psychiques », et nulle part n’est mentionnée cette Fédération rassemblant les usagers.
Une telle décision unilatérale et « masquée » (cette rupture n’est jamais clairement affirmée), qui casse 10 ans d’alliance solennellement affichée, est difficilement qualifiable autrement que par le terme de « trahison ».
En effet dans ce texte à vocation de grande diffusion (c’est la feuille de route que se donne l’UNAFAM pour les 5 ans à venir et qu’elle voudrait imposer à la France entière) on observe que non seulement usagers et FNAPSY n’existent plus, mais que le statut des malades psychiques est changé, ils sont mis sous tutelle sociale (tacitement aussi, tout cela est fait à bas bruit), et l’UNAFAM s’auto-désigne comme le seul tuteur crédible.
Une telle attitude décidée par un seul acteur de la Santé Mentale (« les familles », sans les usagers, ni les professionnels de la psychiatrie et de l’action sociale) est un renversement complet de ce qui s’est déroulé pendant 10 ans sous nos yeux.
Nous avons tous vu, non sans une profonde admiration car cela demandait un réel effort modifiant habitudes et idées reçues, ces affirmations solennelles d’union indéfectible entre association de familles et association de patients (tout en gardant leur indépendance). Cela avait commencé en 2001 avec la publication du « Livre Blanc de Santé Mentale France » signé par ces deux associations, UNAFAM et FNAPSY, accompagnées par la Fédération des Croix-Marine et la Conférence de présidents de CME. Cela avait pris du corps avec leurs revendications communes auprès de Jacques Chirac pour faire reconnaitre la notion de « handicap psychique », soulignant qu’une population n’existait pas dans la loi de 1975 qui allait être rénovée, celle des personnes ayant des troubles psychiques graves et qui traitées n’avaient pas de déficit intellectuel ; grâce à cette mobilisation commune le handicap psychique a été reconnu par la loi du 11-2-2005, laquelle constituait l’annonce d’une profonde révolution culturelle ; ceci va s’inverser avec cette trahison ! Cette alliance allait aussi obtenir cette belle création des GEM (groupe d’entraide mutuelle). Du coup nous pouvons craindre aujourd’hui pour l’avenir de ces GEM, car ils ne tiennent que grâce à leur alliance et au soutien commun de leurs trois parrains : FNAPSY, UNAFAM, Croix Marine.
Nous avons par contre été consternés de voir que l’alliance acceptait le rapport Couty en février 2009 alors que celui-ci organisait la fin de la psychiatrie de secteur. Nous avons remarqué alors que la FNAPSY commençait à se sentir prise dans un piège, en otage, cela s’est confirmé avec le projet de loi actuel sur l’obligation des soins.
Ce numéro de la revue de l’UNAFAM doit être lu avec attention si l’on veut apprécier ce changement ; on note :
-l’évitement soigneux du terme « usagers », remplacé tout au long du texte par « malade psychique », montre clairement que l’UNAFAM élimine le terme usager (qu’elle avait utilisé sciemment avant en mélangeant familles et malades, ce qui lui permettait de prendre la parole à la place des malades), parce que maintenant il est clairement devenu la bannière des malades qui avaient voulu montrer qu’ils refusaient la stigmatisation associée au mot malade. Ainsi en réutilisant le terme de « malades » l’UNAFAM veut clairement affirmer la constante infériorité de ces personnes, et leur dépendance aux traitements et à leur entourage,
-le choix « du plan psychique », à la place du terme plan psychiatrique, ou plan de santé mentale, montre aussi nettement la distance que l’UNAFAM veut prendre avec la psychiatrie et le désir qu’elle a de créer à la place une entité nouvelle où les soignants ne sont plus les acteurs majeurs,
-la mise en exergue d’une catégorie encore floue qui va désigner la nouvelle armée des « nouveaux acteurs du plan psychique qui sont ici institués : les aidants de proximité ».
Ce terme d’aidant a pris de l’ampleur avec la loi 2005 qui utilise dans son texte deux notions: aidant et accompagnant (au lieu de comprendre que le terme « aidant », adapté pour les autres handicaps, est inadéquat pour le handicap psychique, car il crée deux classes, l’une aidant, supérieure à l’autre aidé).
J’ai dénoncé[1] le danger que fait courir le terme « pair-aidant », faisant croire que l’expérience d’une maladie accordait à la personne sans aucun travail un « savoir » sur les maladies mentales, et justifiait la création d’une nouvelle catégorie d’acteurs ayant droit à formation, diplôme, salaire, avec un « en-plus » celui de l’expérience de la maladie ; la conséquence est la dévalorisation des soignants, et la confusion amenée créant des « malades supérieurs aux autres, ou bons malades », pairs-aidants, auxquels on ferait vite jouer le rôle de « kapo ». Je remarquais que, stimulés par cette « réussite » (puisque l’Etat a créé leur expérimentation !), l’UNAFAM a commencé à s’y intéresser en proposant d’appeler les familles « des aidants naturels », qui deviendraient à l’image des pairs-aidants une armée d’acteurs qui en confondant soins et tendresse demandent à faire payer l’amour parental.
Prudente l’UNAFAM a changé ici le terme en l’élargissant en aidants de proximité (qui permet d’inclure les patients sans famille), regroupant pêle-mêle pairs-aidants, familles, généralistes, soignants divers, acteurs sociaux mais où seules les familles n’ont pas de statut. De ce fait elle revendique pour ces familles une formation pour leur permettre de jouer ce rôle (qui correspond en fait à l’un des rôles des soignants et des acteurs sociaux). Dans ce plan elle demande à l’Etat de financer cette formation (bientôt il faudra leur faire jouer un rôle, les assurer, donc les rémunérer). Le conflit d’intérêt est majeur : avoir un proche malade devient une fonction rémunérée, il est donc positif d’être malade, ou famille de malade, car cela donne droit à salaire et à statut social !
Donc d’un côté le plan psychique insiste sur une diminution progressive de l’autonomie et des capacités intellectuelles des patients, et de l’autre il insiste sur les efforts réalisés par les familles et sur les qualités de ces familles (alors que pour obtenir que la loi 2005 reconnaisse le handicap psychique a été souligné l’absence de déficit intellectuel des mêmes patients).
Au total le plan déqualifie la psychiatrie en montrant que tout lui échappe et qu’elle fait mal son travail, il accentue la dépendance des malades, et en face il surinvestit les familles qui vont constituer une armée innombrable qui elle au moins sera très motivée.
Simplement, tout ceci est une tromperie.
Je reviendrai demain sur le prétendu chaos actuel de la psychiatrie.
En tout cas sur la compétence des familles, il y a erreur : une compétence existe chez les familles solides et motivées, c’est vrai, mais « pour la seule pathologie de leur proche malade », et non pour tous les autres malades et leurs différents troubles ; est renouvelée ici la même tromperie que celle faite pour créer les pairs-aidants.
La richesse des familles est réelle, elle est considérable et surtout « irremplaçable ». Mais ce n’est pas cette compétence qui est irremplaçable, c’est leur « amour » pour leur proche.
Au total cette démarche de l’UNAFAM introduit une confusion, elle disqualifie le soin psychiatrique qui exige les formations les plus longues de la médecine, dans la mesure où le soin le plus abouti et le plus indispensable est la psychothérapie qui nécessite des années de travail, une longue expérience et des supervisions constantes.
Ce que montre ce plan c’est que l’UNAFAM représente la personne qui est malade comme quelqu’un qui n’a plus d’autocritique, et donc dévalorisée par rapport au reste de la population. Pourtant lorsqu’un débat se déploie sur la place publique les familles constatent que ces personnes dites malades, en fait des usagers, débattent comme elles, sur toutes les questions sociales et autres. C’est pour cette raison que l’alliance publique des deux grandes Associations était merveilleuse, car complémentaire.
Si lors d’un débat public les usagers de la Santé Mentale sont écartés, leur dévalorisation par les familles reprend le dessus : il suffit de lire l’ensemble de cette revue, écrite sans la participation des usagers pour le vérifier.
Les familles reprennent leur litanie que nous connaissons tous, car c’est la nôtre, celle de tout le monde : nous sommes tous certains que nous connaissons « tout » de notre enfant, ou de notre proche, car il est né de nous, c’est nous qui l’avons fait, nous connaissons ses habitudes, donc malgré nous nous nions sa capacité imaginative, ses capacités intellectuelles et créatives, pensant qu’il ne peut au mieux que refaire des choses qu’il a déjà faites. Et si en plus cet enfant a vécu des catastrophes, une maladie, un traumatisme, cela augmente notre certitude sur ses incapacités.
Ce que nous devons mettre en évidence est le nouveau rapport que cette position prise par la seule UNAFAM entraine dans le lien entre la société et les patients-usagers, en particulier lorsque l’UNAFAM s’appuie sur la nouvelle loi : celle-ci ne se préoccupe que d’un aspect des troubles psychiques (alors que l’on ne peut séparer l’ensemble des troubles d’une personne, c’est la continuité des soins face à une diversité de troubles qui établit la cohérence pour soigner) ; ce sont les troubles dits aigus qui ont en commun le « déni » par le malade de ses difficultés psychiques, déni « faussement interprété par la loi » comme un refus de soin ; de ce fait cela lui donne l’allure d’un acte délibéré, donc conscient compris comme « délinquant » ! Ce sont ces affirmations fausses qui pour l’UNAFAM vont justifier l’utilisation de la FORCE et « l’obligation de soins ». Ainsi la « force » prend la place d’un soin !!! Le terme obligation de soin est un tour de passe-passe, le soin dans le contexte de la loi c’est « forcer quelqu’un ne comprenant pas ce qui se passe à prendre des médicaments ». Qui peut oser appeler cela soin ? Quand on sait qu’en psychiatrie l’objectif est de tout faire pour permettre à une personne qui souffre de « retrouver sa liberté » !
Au total la position de l’UNAFAM, décidée seule, telle qu’elle est décrite dans ce plan, ne peut être « qu’envahissante », elle ne pense qu’aux risques à éviter, elle donne la place majeure à l’expression des troubles les plus difficiles, les plus aigus, tous dominés par le déni, donc hors d’atteinte de tout « raisonnement », du coup elle ne parle qu’en termes d’« urgences ». Elle va tirer de cette dramatisation sur le plan social un « bénéfice secondaire considérable » (mais injustifié) : le droit de demander des outils « hors du commun », qui sont les plus couteux, les plus voyants, des structures à l’échelle départementale, des équipes mobiles sillonnant le pays. La psychiatrie de secteur a mis sur pied tout le contraire, car la première démarche du soin est de « dédramatiser » dans le cadre d’une rencontre préalable à tout soin, ce que l’on ne peut faire dans des espaces gigantesques, dans des urgences hospitalières où règnent l’anonymat, le souci de l’asepsie qui écarte, sépare, éloigne .
Les familles sont compétentes pour écouter la souffrance de leur proche, pour l’aimer. Mais elles ne sont pas pour autant compétentes pour soigner, c’est ce que nous allons approfondir demain dans le second volet du « plan psychique de l’UNAFAM ».
Je peux déjà témoigner, car depuis deux ans de nombreux membres de l’UNAFAM m’ont invité dans plusieurs départements à débattre autour de mes livres, de la Santé Mentale, et de la loi, que la loi ne plait pas à la majorité des familles rencontrées et que ce plan ne correspond pas à leurs désirs.
Mais à l’UNAFAM, dont je suis membre, la contestation est impossible.
[1] « Les usagers au secours de la psychiatrie. La parole retrouvée », Erès, 2008, p 258 et 388 ; « Quel accueil pour la folie ? » éd. Champ social, 2011, p 277 ; Médiapart, contes de la folie ordinaire du 10-2-2010