Billet de blog 2 juillet 2014

guy Baillon

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L’UTOPIE DE LA POLITIQUE DE SECTEUR

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L’UTOPIE DE LA POLITIQUE DE SECTEUR

Le discours de la Ministre de la Santé, Marisol Touraine, ce 19 juin 2014 est animé, nous l’avons vu dans cette revue le 30 juin, de ce souffle qui a toujours été nécessaire à toute étape du développement de la psychiatrie, souffle tant attendu depuis … le discours de Jack Ralite ministre de la Santé du premier gouvernement de François Mitterand, en 1981 !

Osons dire maintenant pourquoi la psychiatrie de secteur reste une utopie.

Tout simplement d’abord parce que lors de chacune de ses créations, elle se pervertit sous l’effet de nombreux facteurs.

Gladys Swain, si lumineuse, psychiatre et historienne, élève frondeuse de Michel Foucault, nous l’a bien montré dans ses œuvres. Je résumerai cet aspect de son travail d’une phrase « dès qu’une institution psychiatrique est créée, elle n’a de cesse que de se pervertir, aussi faut-il constamment la renouveler ».

Nous avons tous cette expérience, après avoir créé une équipe de secteur et voulant fuir l’image asilaire de sombre mémoire, nous constatons d’une part que cette tentation de l’asile (dans son sens d’enfermement) renait toujours dans le nouveau parcours de toute équipe, d’autre part qu’il suffit qu’au bout de 10 ans de travail créatif dans une équipe, une ‘belle arrivée’ de nouveaux soignants ‘débarque’ pour prendre le relais, et nous voyons l’ensemble de l’équipe oublier tous ses acquis et toute l’élaboration patiemment accumulée dans la construction du fonctionnement de l’équipe, gommant la continuité des soins, la disponibilité des soignants, l’appui complexe sur l’entourage la famille, pour revenir à une écoute individuelle sans appui par le collectif, donc aux antipodes de la politique de secteur.

En réalité « LA PSYCHIATRIE DE SECTEUR N’EXISTE PAS D’ELLE MEME DANS UNE EQUIPE DE SECTEUR » devrait être notre seul savoir, et le slogan de départ de toute carrière doit être : « IL NOUS FAUT CHAQUE JOUR CRÉER CETTE POLITIQUE ».

Il y a deux autres raisons pour expliquer que ce projet est bien une utopie.

La psychiatrie de secteur est basée en premier sur deux données humaines fortes :

-le militantisme des soignants

-la solidarité de la Cité qui doit accueillir chaque patient personnellement entre chaque soin et après toute longue période de soin.

Ce militantisme est indispensable pour arriver à ‘construire’ l’équipe tout au long de son évolution, lui évitant de chercher à créer d’abord et seulement son propre confort ; ce militantisme est indispensable pour accepter d’associer moments de soins individuels et moments collectifs qui nécessitent une constante écoute de l’autre, non seulement du patient, mais des autres soignants ; il est indispensable aussi pour constamment renouveler sa capacité d’écoute et de compréhension de chacun grâce à l’attention portée aux avancées théoriques qui viennent nous enrichir ; il est indispensable pour que chaque soignant accepte d’être attentif à ses propres émotions, en écouter le sens et les réguler pour être plus attentif à chaque patient. Il est indispensable pour vouloir créer un fonctionnement d’équipe attentif à ces divers besoins. Ce militantisme est indispensable pour vouloir et imaginer la formation permanente adéquate au maintien de nos motivations et de notre propre santé psychique et physique de soignant, et en toute occasion savoir se référer à la personne ‘et’ au collectif.

La solidarité de la Cité paraissait évidente à espérer en 1945. Elle s’imposait car l’objectif des soins étant de mettre un terme aux espaces de vie artificielle que sont les gros hôpitaux psychiatriques ; il était clair, et c’est ce qui s’est passé grâce à l’ensemble des progrès faits (psychothérapiques, médicamenteux, institutionnels), que les patients tout en étant soignés, allaient vivre de plus en plus dans leur famille, dans leur quartier et qu’il était indispensable que les divers acteurs de ces populations puissent les accueillir, être tolérants et généreux, être tout simplement attentifs et humains dans leurs relations avec eux, tout en percevant que les séquelles de leurs troubles et de leurs traitements constituaient de plus ou moins grands ‘handicaps’ que la société devait absolument compenser de diverses façons. Certes les lois de 1975 puis 2005 sur les handicaps ont été promulguées pour y faire face. Nous constatons qu’elles sont insuffisantes parce qu’elles n’ont pas été accompagnées au quotidien par une solidarité des citoyens.

Sans militantisme des soignants et sans solidarité des habitants de chaque Cité la psychiatrie de secteur est une totale utopie.

Aujourd’hui en 2014, dans cette société qui ne rêve plus de solidarité le souffle du discours de la Ministre nous invite à nouveau à espérer ! Pourquoi pas ?

Seulement aussitôt deux grandes craintes se font jour parmi les soignants qui ont le courage d’affronter ces professions, craintes nourries par les fuites circulant sur le projet de loi actuel et par les antécédents des Ministères de la Santé successifs :

-la question des moyens, le budget alloué à la psychiatrie

-la question du « territoire » et de l’organisation des soins
Les moyens. Le gouvernement simultanément affirme que les budgets de la Santé vont être diminués, et les soignants retombent dans ce piège qui existe depuis toujours : ‘Pour faire un soin de qualité il faut des moyens suffisants’ affirment-ils non sans raison ! Mais lesquels ? (jusqu’où alors va l’escalade d’un côté, la fuite de l’autre ?). Là une spirale de combats commence. … Mais les militants savent fort bien que d’une part ils doivent maintenir la pression politique pour sauvegarder les moyens ‘optimaux’, ceux qui sont nécessaires et suffisants, et que d’autre part il faut le créer ce service public « au service de tous les citoyens ». Auront-ils le courage et le militantisme de construire contre vents et marées la psychiatrie de secteur, quelle que soit la réalité qu’ils ont à affronter ?

Le territoire. Là c’est l’État qui se veut seul responsable en décidant seul. Quelle erreur ! De nombreux projets ont vu le jour dans ses bureaux, qui ne sont pas des espaces de soin, et dont les acteurs n’ont aucune formation sur la psychopathologie et sur les soins, donc aucune compétence. De ce fait ils proposent d’une part des territoires surdimensionnés de 300 à 600.000 habitants où le soin ne peut plus être que surveillance, contrôle et faux suivi mécanique et administratif, désincarné ; d’autre part ils croient pouvoir séparer entre elles ce qu’ils croient être des tâches différentes en divisant le soin comme l’a fait le rapport Couty en 2008 avec sa fusée à trois étages : des soins dits de secteur parce que proches du patient, des soins hospitaliers plus loin pour une pluralité de secteurs, et des soins universitaires et de recherche pour une surface plus grande encore, sans comprendre que dans ces espaces surdimensionnés et dans ces parcours de soin ‘fractionnés’ la continuité des soins par une même équipe de secteur ne peut se réaliser, il ne peut plus y avoir là aucune pratique de psychiatrie de secteur. Devant de pareils projets on voit la profondeur du quiproquo : l’administration se croit capable de mener à bien une politique de soin ! Mais elle en est totalement incapable, ce n’est pas de sa compétence, elle ne sait pas dans sa chair ce qu’est la force, la fragilité, l’intensité émotionnelle d’un engagement psychothérapique. Elle croit pouvoir manager de loin le soin psychique comme une entreprise de production quelconque ! La seule chose que puisse faire une administration ministérielle est de confier de façon simple une population de modeste dimension à une équipe de soin. Seule celle-ci est à même de réaliser son organisation, car elle connaît en détails sa population et son fonctionnement. C’est bien ainsi qu’a travaillé la première génération de psychiatres et d’équipes de secteur de 1972 à 1985 ; mais à partir de cette date l’État a voulu commencer à tout organiser de son propre chef et a constamment fait des erreurs, à commencer par l’arrêté du 14 mars 1986 ; celui-ci énumère les différentes structures de soin imaginées à l’époque, en faisant cette omission majeure : que ces structures ne pouvaient être validées et efficaces que si un noyau de soignants (et non telle ou telle structure) émanant de l’équipe se donnait les moyens d’élaborer ses vrais outils de travail, les différentes réunions, les instances de l’équipe, la formation permanente, ses outils d’évaluation … et se donnait temps et espace pour cela.

Ceci ne veut pas dire que tout projet de psychiatrie de secteur doit exclure les administrateurs.

Il n’en est pas question. La compétence des gestionnaires est indispensable. Toutes les équipes de secteur qui ont pu réussir un temps de parcours de cette politique n’ont pu le faire que lorsque la collaboration a été étroite avec l’administration et en plus avec le concours des familles des usagers et des élus.

Aujourd’hui il suffit de remplacer l’arrêté de 1986 en décret octroyant à chaque équipe la possibilité de déployer ses moyens (ses soignants) entre trois espaces de soin dont les lits temps plein hors hôpital ; chaque équipe saura s’organiser en précisant son organigramme.

Ceci ne veut pas dire non plus que les secteurs peuvent avoir n’importe quelle taille. Non ! l’expérience a montré que l’échelle de 60.000 habitants était une bonne mesure pour que la qualité des liens entre les acteurs soit rendue possible par la modestie des capacités des espaces de soin et des distances : le critère étant la dimension humaine des liens avec la population et à l’intérieur de l’équipe soignante. Un décret doit sauvegarder cette dimension.

Avec des moyens insuffisants et avec un territoire de plus de 80.000 h et une organisation émanant de l’administration au lieu d’être appuyée sur la clinique la psychiatrie de secteur est une totale utopie.

Par le passé d’autres faits nous ont démontré que la psychiatrie de secteur était une utopie.

Entre autre la méconnaissance de l’individualisme des soignants en train de croitre en psychiatrie comme dans le reste de la société

Nous n’examinerons ici que la responsabilité des « psychiatres de service public », puisque c’est le seul point de vue que je connaisse.

Qui sommes nous en réalité ? Des hommes souvent mis sur un piédestal car préoccupés de l’âme des citoyens, mais qui pourtant sont comme les autres. Peut-être sommes nous plus masochistes que la moyenne, et étant classés équivalents de fonctionnaires, à ce titre plutôt ‘soumis à l’autorité’. Nous choisissons souvent le service public pour ne pas nous salir les mains avec l’argent, et pour ne pas avoir de décisions à prendre sur les orientations, nous satisfaisant à appliquer des choix faits par les politiques, sauf quand des combats nous réveillent (ceux des années 70) et nous invitent à la révolte et à agir comme les acteurs volontaires d’un changement à opérer. C’est ce que nous avons pu faire dans le cadre de notre syndicat dans la période où il était le seul présent, le SPH, Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux, jusqu’en 1984. Après en raison de la multiplication des syndicats par 5 nos demandes corporatistes ont mis en veilleuse notre capacité à défendre une politique de santé globale et cohérente.

Cet individualisme qui a peu à peu émergé parmi nous les psychiatres s’est exprimé par diverses prises de position « anti sectorielles », montrant que l’utopie avait bien été de tabler sur un corps ‘militant’ de psychiatres, ce qu’il n’était pas en majorité.

Voici quelques exemples de ces nombreuses ‘dérives’ :

-la ‘glose’ autour de la continuité des soins, au lieu de la vivre comme un enrichissement du soin a parfois été pointée comme une contrainte pour les soignants et une perte de liberté d-pour les patients. En réalité la folie est bien ‘une maladie de la liberté’ (Henri Ey), et la réponse par la continuité des soins n’est pas surveillance ni mise en carte des patients, mais s’appuie sur une réflexion à construire : la capacité des soignants à montrer la complémentarité entre eux des soins successifs avec la participation du patient

-le refus d’aller jusqu’au bout de la compréhension des structures intermédiaires, et l’atomisation du dispositif de soin du secteur. Le but était de reconvertir l’espace intrahospitalier, seul espace au départ, en espaces différenciés en ville qu’il fallait coordonner pour réaliser un mouvement vers une continuité des soins. Car nous devons être clairs la psychiatrie de secteur a mis en place une « discontinuité de soins » de ce fait. La continuité ne peut que être le résultat d’un travail d’équipe pour construire des liens entre les soignants et ainsi aider le patient à retrouver son harmone intérieure. Trop souvent nous les psychiatres avons baissé les bras et chaque jour nous n’avons pas maintenu ce cap en soutenant les soignants et les patients à faire ce perpétuel travail de deuil leur permettant d’aller d’un soin à un autre. Si bien que ces structures intermédiaires, au lieu d’être des étapes complémentaires entre elles sont devenus des forteresses, de petits asiles jaloux des autres espaces et captateurs de clientèle ! Atomisation des soins au lieu de la continuité, ‘petites équipes’ prenant la place de « l’équipe de secteur », oubliant le message fondateur de ces structures (par exemple ce beau rapport au congrès de neurologie et psychiatrie à Marseille en 1964 sur la Chronicité de Bonnafé, Le Guillant et Mignot. ; mais les psychiatres lisent-ils les textes fondateurs ?)

Il en a été de même lorsque certains d’entre nous fatigués et cherchant la notoriété ont décidé de morceler leur secteur, l’amalgamer aux voisins pour créer des « intersecteurs » consacrés à telle ou telle pathologie et ainsi détruisant le secteur et sa capacité à faire face à toutes les pathologies d’un même patient en s’appuyant d’abord sur la ‘science’ de sa proximité humaine. Les seuls intersecteurs justifiés étant ceux de la psychiatrie infanto-juvénile.

Dans bien d’autres situations les psychiatres portent une lourde responsabilité dans la réduction de la psychiatrie de secteur à l’utopie : absence de volonté déterminée à créer dans leur propre équipe diverses réunions (travail clinique et institutionnel pour tous les membres), instances, conseil de secteur, formation permanente, rotation des soignants dans les différents espaces de soin pour leur faire connaître, aimer ces divers moments, veiller à l’articulation quotidienne avec les généralistes et les hôpitaux généraux, travail sur les urgences, création des articulations diverses à établir avec toutes les composantes de la population du secteur, liens avec le champ médico social tellement complémentaire des soins, liens avec l’UNAFAM, la FNAPSY, les élus du secteur. … Devant cet exemple des membres des autres catégories de soignants ont joué aussi un rôle anti secteur, mais moins profond.

Individualisme et absence de militantisme ont rangé tranquillement la psychiatrie de secteur au placard de l’utopie. Il n’y avait pour cela aucune décision formelle à prendre, seulement laisser aller, ‘voir des patients’, en venant quotidiennement à son bureau. …

Il y aurait certes encore beaucoup à dire autour de ce beau terme d’UTOPIE. Je ne le méprise en aucune façon. Au contraire, je le crois fondamental comme repère pour la psychiatrie de service public. Il est à travailler avec philosophes, sociologues et analystes. Ce n’est pas un mythe forçant la nostalgie.

Ce terme d’utopie nous invitera à travailler l’histoire de la politique de secteur. Au passage j’insiste pour que ceux qui sont bien en cour disent à notre Ministre que les textes et réformes se succèdent depuis 30 ans sans jamais faire le bilan historique de ces 40 ans de pratique de secteur alors que les archives de 1130 équipes de secteur regorgent de documents. D’anciens soignants, bibliothèques vivantes sont là. Alors quelle pertinence peuvent avoir ces ‘nouveaux’ textes ?

De nombreux commentateurs étrangers (USA, Chine, OMS) affirment que la psychiatrie de secteur, présente seulement en France et en Suisse, est un projet d’une très grande qualité.

Et notre Ministère se croise les bras, comme ses grands instituts de Recherche !

Alors la Psychiatrie de Secteur ? Utopie ou pas ?

Je vous laisse choisir vous qui êtes dans la vie active ou qui êtes aux commandes.

De toute façon permettez moi de continuer à penser, à vous répéter que cette idée, cette hypothèse, cette proposition que l’expérience a confirmé, ‘La Psychiatrie de Secteur’ est « remarquable, extrêmement féconde, bouleversante quand on est ‘sur le terrain’ ». Elle a l’intelligence d’interroger à la fois notre générosité er notre technique, et nécessite leur association étroite, constante, toujours mouvante.

Aujourd’hui, juillet 2014 il y a URGENCE EN PSYCHIATRIE, mais urgence de quoi ? Je vous propose une humble réponse dans le prochain texte de Contes de la folie ordinaire.

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