Après la lecture récente du texte de Gaulthier Roux, du courrier de Gigou aux parlementaires, et après l'émotion liée à la fin de Hélène Chaigneau (cf; le texte de blog),
me vient une association d'idée avec ce qui est en train de se passer dans l'hôpital de jour où je travaille; du coup j'ai envie de vous le raconter, comme une petite information locale à méditer éventuellement.
Notre ARS (Agence Régionale de Santé) a accepté que nous bénéficiions d'un doublement des places pour les gens accueillis. Ces gens sont des personnes atteintes de problèmes psychiques sérieux qui, au décours d'hospitalisations parfois longues, tentent en dépit d'une fragilité rémanente de retrouver un chemin d'existence plus personnel.
Le projet soignant pour les gens qui reprennent leur vie dans la cité a théoriquement, dans une logique de continuité d'existence, de lien et de transfert, deux rôles:
-l'accueil de jour met en scène des propositions d'activités laborieuses, d'expression verbale ou plastique, de pratiques sportives ou ludiques, d'espaces d'apprentissage des choses de la vie matérielle et sociale. Ceci est pris en charge par l'Assurance Maladie sur la base de cotations différentielles selon les types de prise en charge.
-l'accompagnement dans la vie hors temps de soins proprement dit, un peu à la manière des anciens passeurs sur nos rivières, un peu à la manière des pédagogues au sens de la Grèce antique, un peu à la manière des auxiliaires de vie. Ceci n'est pas pris en charge financièrement et statutairement dans le cadre d'un hôpital de jour, mais reste indubitablement une exigence éthique
Nous avons décidé, à côté des incontournables dossiers administratifs et réglementaires qui sont le cadre formel pour l'extension de notre hôpital de jour, de prendre en main bien d'autres choses.
Depuis l'annonce de l'accord de l'ARS, nous avons mis en place un comité de réflexion et de proposition qui inclut tous les volontaires de l'hôpital de jour, soignés comme soignants. Il se tient une à deux fois par semaine, et lance toutes sortes d'idées, dépouille et analyse la boîte recueillant celles-ci, porte un regard critique sur les modalités du fonctionnement actuel.
La richesse des échanges prouve amplement que les gens dits "patients" ou "usagers", selon les styles en vigueur, ont énormément de choses à dire sur ce qui les concerne, et apportent à la réflexion commune des axes inédits d'approche des modes de soins proposés.
Une question m'a arrêté dans le cadre de nos rencontres: celle, récurrente chez les soignés, de dire "est-ce qu'il y aura?", "est-ce que vous avez prévu?", etc. Toutes phrases qui représentent la position fantasmatique partagée larga manu dans nos structures de soins: Comme en médecine somatique, la position du malade est celle de l'enfant qui attend passivement, ou de façon revendicative, qu'on lui dise et lui donne ce qui serait bon pour lui... On essaie d'inverser, en demandant "qu'est-ce que vous proposez?"
Mais voilà, ce que je conteste déja dans les services somaticiens me paraît, en psychiatrie, une faute. Car il n'est pas de restauration possible d'une indépendance d'existence et de pensée, quels que soient les symptômes des gens concernés, sans mise en scène du désir et de l'implication personnelle des intéressés. (Cf. notamment les clubs thérapeutiques).
La position que nous avons prise est complexe (comme la vie et l'âme humaine), et son application est ardue (comme toute politique sérieuse), mais elle nous semble être la seule à garantir que nous ne nous situons pas dans la mouvance "Big Brother" des temps actuels. A titre liminaire, j'ai envie d'ajouter qu'on n'a pas forcément besoin des "trucs" formels comme les lamentables (dans leur intentionnalité réglementaire) Conseils de la Vie Sociale.
Dans les soins en psychiatrie, il est nécessaire de nous rappeler que nous sommes les auxiliaires certes compétents, mais auxiliaires tout de même, d'êtres humains en dynamique plus ou moins conscience de se vivre et d'agir comme sujets; ni enfants débiles à qui on donne la becquée soignante, ni objets de la puissance et de la gloire médicale.
Qu'en pensez-vous?