Billet de blog 4 juin 2013

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LE REDOUTABLE « ESPRIT DE LA BUREAUCRATIE »

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LE REDOUTABLE « ESPRIT DE LA BUREAUCRATIE »

« L’esprit de la bureaucratie » : l’expression sonne tout de même étrangement, fera-t-on remarquer, car l’absence d’esprit n’est-elle pas la caractéristique même de la bureaucratie, de toute bureaucratie ? (s.p.n. ). Il y a malgré tout un « esprit de la bureaucratie » : en disant cela, Marx pensait à l’esprit de secret et de mystère de la vieille bureaucratie d’Etat qui se protège à l’intérieur par sa hiérarchie et à l’extérieur par son caractère de société fermée, protégée de la société réelle par ses rites, sa langue, ses procédures de cooptation  /…/   

                                                                                    (P. DARDOT)

La « bureaucratie exacerbée », selon les propres mots de Jean Oury, ou « l’esprit de la bureaucratie », dont Marx nous a parlé, que Pierre Dardot nous  rappelle, tout en précisant :

…/qu’il/ pourrait sembler aujourd’hui, à l’inverse de l’époque de la bureaucratie prussienne, / que /  tout  /y/ est étalé, dit de manière directe et transparente : plus de demi-mots ou de formulations allusives, les objectifs sont ouvertement affichés et, en un sens, jamais les choses n’ont été dites aussi clairement et crument.

Et pourtant, à mes yeux qui ont connu d’autres réalités, sociales et politiques, vécues dans ce pays non éloigné de la France, dans ce pays tout proche d’elle, qui est l’Italie, un pays–cousin, comme l’on dit, la Bureaucratie, garde, et gardera à jamais, à mes yeux, un caractère en lui–même celé, et même sournois en sa conscience propre de son aveugle Toute–Puissance,  décisionnelle et factuelle. La Bureaucratie. Oui, une Bureaucratie à majuscule : paralysante et mortifère. L’un des héritages les plus cruels, mais aussi les plus piètres, que la dérisoire et tragique dictature mussolinienne, a laissé derrière elle, en héritage à ce pays.

Une Bureaucratie culturellement et existentiellement ignorante, oui, et au sens premier  et fort du terme, et qui, donc, ne sait, ne connaît même  pas, le sens ni la signification de ces mots si… complexes, et si éloignés du quotidien,  qu’elle n’arrête pas de prononcer, et qu’elle prononce. Impérieuse, dans son univoque, si rhétorique, si caricatural « rabâchage » langagier.. Usant d’un langage, dont elle se sert, qu’elle employe, d’une nature, d’un caractère si  sournois ! dans cette inébranlable conscience qui est la sienne, d’une aussi méprisable toute–puissance décisionnelle et factuelle.

Or, tout cela me rappelle, et in vivo, cette menace d’un Processo Accademico, d’un Procès Académique, que cette employée souffrante d’obésité, et le visage ruisselant de sueur, me lança, lança contre moi, qui l’écoutais, debout, dans cet immense espace poussiéreux, parmi tous ces dossiers ammucchiati, empilés, sur ces grandes tables, voulant faire balenare, devant mes yeux ahuris, et même quelque peu apeurés, puisqu’ils ne savaient pas de quoi on leur parlait, de quoi   s’agissait–il, et qui voulait (de par tout ça) faire balenare, donc, la Puissance de sa Parole.

Moi, qui – ayant obtenu le diplôme de Maîtrise de Lettres Modernes à l’Université de Paris VII – voulais faire les démarches nécessaires, et prévues par je–ne–sais–plus–quelle Loi de la Communauté Européenne, dont j’avais apportée  la photocopie, afin de m’en faire établir l’équivalence. Cela : à l’Université de Rome. Cette même Université, aux architectures si désespérément fascisantes, avec leur si laide Minerve : en fer, et aux lignes si rigides, si raides ! qui  se dressait sur une vasque rectangulaire, et sans la moindre goutte d’eau !

Mon délit : avoir tenté de les frauder, ces Services de cette même Université, qui se nomme ( :et se nommait déjà ?) La Sapienza… , en désirant obtenir bien 2 diplômes terminales  de la Faculté des Lettres ! À savoir : 2 Lauree !  La Laurea étant, dans les cursus d’études universitaires en Italie, cette spécifique couronne de laurier, qui vous ceignera à jamais le front, en vous faisant acquérir  le droit (si bafoué, d’ailleurs) de vous faire appeler : « dottore »… (De ce latin  doctus ? Savant ?) Et cela dans un pays, où beaucoup de ces mêmes Lauree, sont obtenues, en se servant de nègres, auprès desquels beaucoup d’étudiants italiens  les commandent. ( : Les commandaient ?)

 Je ne me souviens plus pourquoi je voulus leur soumettre cette demande. Pourquoi je voulus me rendre, dans mon exister d’alors si difficile, y compris financièrement, dans ces lieux haïs, par moi. Qu’est–ce que je voulais obtenir, de la  vie… Même s’il me paraît me souvenir que – à ce moment–là ? – je m’étais mise à rêver de rentrer en Italie, car j’avais éprouvé un véritable coup de foudre, lorsque mes amis italiens enseignants à cette Fac, m’avaient conduite, et qu'ils m'avaient fait visiter cette superbe villa, entourée d’un jardin ( : d’un parc, à mes yeux d'alors ?), qui, le long de la Via Nomentana, abritait alors l’Institut de français de l’Université de Rome...

* * *

Néanmoins, pour revenir à notre sujet, ici, en France, le péril, qui pourchasse, qui suit à la botte, cette nouvelle déferlante de ce nouveau genre de bureaucratie, est, selon Pierre Dardot, d’une autre nature.

Est un péril qui ne méconnait pas, et qui ne combat pas uniquement cette spécifique, actuelle mise en œuvre, cet actuel, si particulier œuvrer, quasi artisanal dans sa quête, d’un croisement d’une pluralité d’approches, d’une pluralité de connaissances, afin de tenter d’« accompagner » la souffrance de ces enfants qu’on dit « autistes ».

Il s’agit, selon Pierre Dardot, en effet, d’une périlleuse démarche, qui entendrait rayer également, et une fois pour toutes, hors de nos existences, et dans tous les domaines humains, la totalité de cette pluralité vivificatrice, de par un retour obligé et imposé, à une sorte de monolithisme. Un monolithisme absurde, dans son auto–sufficienza, et dans son auto–affirmation d’être, et d’être constitué, et, d’être donc, justifié, de par une essence, une nature, mieux d’une « évidence » ( ce sont les propres mots de Madame Carlotti) assurément hautement « scientifique ». Un monolithisme qui va jusqu’à affirmer que les conclusions de leur Plan Autisme III, sont les « bonnes », car, marquées par cette « évidence ».

Or, cette « évidence », ce genre dévidence n’est jamais, et n’a jamais été de mise, et n’a jamais été le propre d’une réelle, véritable science, ne correspondant pas aux exigences, ni aux domaines où cette même réelle, véritable science, se réalise. Celle–ci, la science réelle, étant toujours prête à douter, à chercher, à comparer : à remettre, et à se remettre en cause. Comme toute vraie pensée qui (ne l’oublions pas, jamais) est d’une nature relative, car reliée aux confins dessinés par son propre Temps, et par son propre Espace : un Temps, et un Espace historiquement délimités.

De plus, cette paralysie, cet aveuglement absolu de l’esprit, affirme vouloir  traiter ce qui est, ce qui constitue, l’essence même de l’être humain : son être mystérieux, la tragique trajectoire de son fugace passage sur Terre, sa parole la plus secrète. Une parole que pourtant « certains » humains (comme les définit la Ministre) s’efforcent sans cesse, et tentent de faire surgir des abîmes de ces cœurs d’enfants si souffrants, et de porter, en la parlant, à la lumière ; et d’une manière la plus indépendante possible, afin qu’elle puisse se prononcer, et se vivre, et s’agencer le plus possible, à une existence moins dolente. Et cela, librement. Ou, tout au moins, le plus librement possible.

Et ce que j’exprime là, ce que je viens d’exprimer, ce n’est pas de la littérature qu’on pourrait renverser d’un simple revers de la main. C’est le réel de nos vies, exprimé, certes, par ce langage particulier qui est le mien propre, et que j’ai conquis, en luttant.

Ces paroles, mes paroles, m’étant dictées par la hantise, oui, par la hantise que cette nouvelle réalité qu’on nous prospecte, puisse tout englober en elle, les fourvoyant, toutes ces valeurs, qui ont si longtemps défini ce pays : la France. Et qui sont, et ont été, des si hautes valeurs, capables de se marquer dans l’exister, par un sceau de nature  universelle. 

Car, à bien y réfléchir, ce nouvel esprit bureaucratique qu’on nous prospecte, ici, en France, est encore plus pénible et périlleux et redoutable, de la morne, stupide, fourbesque, bureaucratie que le fascisme a fait déferler, et dont il a laissé le legs à l’Italie. Cette bureaucratie qui voudrait se promouvoir ici, en France, se disant, et se voulant plus moderne. En d’autres termes, mieux répondant (à l’apparence tout au moins) à ces aveugles « besoins », cachés ou non cachés, des humains, qu’elle, cette si  moderne, et donc si appréciable Bureaucratie, de par cela se justifiant, en sa primauté, entend soumettre à son propre Pouvoir.

Car, elle s’est appropriée, et ne cesse de s’approprier (tout à fait comme ces Puissants qui régissent et guident – qui entendraient régir et guider à jamais, et sous un mode absolu, les existences de nous tous  ?), s’approprie  ( : croit–elle s’approprier ? car elle ne les comprends pas) les découvertes mêmes de ces savoirs sur les mystères de nos cœurs d’humains, qu’elle voudrait faire à jamais disparaître. Tels les savoirs des sciences dites humaines, les visant, et visant, en premier lieu et surtout, la psychanalyse,  tout en feignant vouloir les reléguer aux oubliettes.

Des savoirs, dont cette nouvelle, puissante bureaucratie – tout comme les « disciplines » qui l’accompagnent –se servent quotidiennement, mais sur un mode tellement dérisoire ! soutenues qu’elles sont, par la plupart des massmedias, dans leur aveugle volonté de nous abrutir. Tout en feignant de devancer nos désirs/besoins : les provoquant, les accouchant, afin de pouvoir les assouvir, en les marchandant. Le but étant de tout homogénéiser, comme le dit si bien Pierre Dardot, et de tout uniformiser. De rayer de la carte, toute contradiction. La contradiction qui est la vie elle–même. Une vie qui ne craint pas de se regarder, de  s’observer, de se remettre en question, mais également de se transformer, lorsqu’il le faut. Cela, dans une vision du réel, où une multiplicité de vues sachent converger, afin de pouvoir l’ouvrir, ce chemin, le long duquel les humains  marquent, puissent marquer, de leur propre pas, leur existence.

–      Serait–il que vous pensez vivre plus sagement que tous les autres ? dit Aglaé.

–      Oui, j’ai eu aussi parfois cette idée.

– Et vous l’avez encore ?

–      Je l’ai encore, répondit le prince, qui après avoir regardé Aglaé avec le même sourire doux, voire timide, se mit à rire de nouveau en donnant à ses yeux une expression de gaîté.

–      Quelle modestie ! dit Aglaé à demi agacée.

–     Et quel courage est le vôtre : vous riez et moi, j’ai été si frappé par le récit de cet homme que j’ai revu en songe par la suite ; j’ai rêvé de ces cinq minutes…

(F. DOSTOÏEVSKI – trad. de A. Mousset)

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