LA ‘TRANSMISSION’ EN PSYCHIATRIE DE SECTEUR ?
Est-elle possible ? Souhaitable ?
L’utopie elle-même, a-t-elle été décrite avec précision, avec la fidélité qu’elle mérite ?
En effet voulant chercher à expliquer un déclin prétendu de la psychiatrie de secteur, plutôt un déficit de son application et une démission de certains de ses acteurs, quelques censeurs n’ayant pas compris qu’en réalité elle n’est pas dépassée mais qu’elle n’a été que partiellement et imparfaitement appliquée, ont affirmé « Ce sont les générations précédentes qui n’ont pas su faire la transmission de la psychiatrie de secteur ! »
Il y aurait donc eu un tel déficit entre 1980 et 1990 ?
En fait qu’est ce que transmettre ?
La transmission a été et sera le sujet de nombreux colloques. Dimitri Karavokyros a fait un excellent texte en 2009 devant un groupe de la Psychothérapie Institutionnelle.
Pour ma part je ne sais que répondre.
J’ai toujours pensé, sachant qu’en commençant à appliquer la psychiatrie de secteur en 1971, que nous avancions sur un terrain en friche. Il m’est apparu alors justifié de ‘témoigner’ de ce que l’on faisait, simplement, et au fur et à mesure que nous avancions dans notre parcours et dans notre pensée, donc l’écrire. Dès le début de cette carrière je l’ai affirmé dans l’Information Psychiatrique, et je n’ai eu de cesse d’écrire et d’écrire.
Récemment échangeant avec les amis évoqués dans le texte précédent, ce qui est apparu c’est que nous avions participé à la construction et à l’application de « l’utopie » du secteur, mais que nous avions omis le plus souvent « de décrire la ‘nouvelle clinique’ qui se déployait sous nos yeux ». Nous avons décrit les créations et les changements ‘institutionnels’ que nous menions mais n’en avons pas décrit les effets cliniques. La lacune est considérable. D’où notre désir de nous mettre à l’écrire.
D’où mon propos de penser qu’il faut ensuite que les nouveaux acteurs choisissent selon leur intérêt ce qu’ils pensent conserver, renouveler du passé pour créer leur propre champ.
Alors je me limite ici à évoquer les étapes qui me paraissent fortes dans un parcours personnel, comme témoignage d’opportunités saisies et de choix faits, du moins en prenant ce qui me paraît converger avec la psychiatrie de secteur ? Ce ne peut être qu’une aventure individuelle, et à la recherche de l’autre dimension essentielle : un tel travail n’a de sens que s’il nait et évolue dans un collectif, avec l’appui de militants. Seul un groupe, un parti, un mouvement ont la possibilité de faire passer dans la réalité concrète un objectif aussi fort. L’utopie doit apprendre à rencontrer ‘le réel’ du concret.
Les lignes qui suivent vont paraître impudiques pour les uns (il suffit de les dépasser), les autres y verront le désir de vous dire ce qui m’a nourri tout au long de ce parcours, tout en précisant que je n’ai jamais été un bon élève, j’ai picoré là surtout, d’autres savent faire beaucoup mieux. Partageons. Est-ce possible à mon âge et avant de tirer le rideau ? :
Au risque d’oublier tel et tel, …
A la fin de mes études de médecine j’ai senti l’exigence considérable que nécessitait l’exercice de la médecine générale et cherchant à m’en protéger … dans une spécialité j’ai choisi la psychiatrie… car un oncle admiré était psychiatre et j’avais commencé à lire un peu Freud.
D’emblée la psychanalyse m’est apparue indispensable comme outil pour se comprendre, et la compréhension de l’enfant comme première étape de l’étude de la psychiatrie.
L’entrée à l’asile a été pour moi un effondrement, j’ai toujours présentes les images de cette inhumanité. Et la peur de ne rien comprendre.
De cela m’ont réveillé à la fois la rencontre avec le SPH (Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux) Bonnafé surtout et d’autres, avec l’antipsychiatrie anglaise (Londres), avec les CEMEA et leur dynamisme pour former les équipes soignantes, tout cela dans la révolte contre l’asile.
La décision de faire l’internat en psychiatrie a été une évidence.
Au total sous ces pressions je me suis vite senti déterminé à participer à la destruction des murs des asiles et à construire une nouvelle psychiatrie : la psychiatrie de secteur, esquissée, et annoncée par la Psychothérapie Institutionnelle (‘qui n’existe pas’ selon le mot de Tosquelles) et pensée par mes maitres avec des cliniciens qui ont été mes références Hubert Mignot, Paumelle et le secteur pilote du XIII ème, Jean Oury et Laborde, Hélène Chaigneau surtout et sa qualité de présence à l’autre, René Diatkine, Roger Misès pour découvrir le début de la vie psychique, mais aussi avec des administrateurs admirables Marie Rose Mamelet puis Jean-François Bauduret (lui de 83 à 90 pour la psychiatrie et à nouveau en 2001 à 5 pour son complément le médico-social).
D’où le choix de la carrière des médecins des hôpitaux psychiatriques pour mener à bien ces objectifs et le concours pour y accéder, 1969.
Presqu’aussitôt nommé dans une équipe du 93 que je ne quitterai plus tout au long de mes 31 ans et qui a été en quelque sorte ‘mon tuteur’, 1971 à 2001, ils ont su me supporter.
De nombreuses rencontres encore dans les échanges avec des équipes, dans des colloques et congrès, régulièrement au début avec le SPH, puis à Angers avec Pierre Delion, à Dax avec Michel Minard, à Laragne avec Dimitri Karavokyros, l’association Accueils fondée avec Ginette Amado et Claude Louzoun. À Genève Antonio Andréoli et sa collègue Florence Quartier (laquelle continuera son soutien patient à notre équipe jusqu’à ce jour) autour du travail de Crise venant apporter à nos projets de centre d’accueil le support théorique qui lui manquait, leur ami Michel de Clercq à Bruxelles. Puis Tony Lainé et son enthousiasme, notre projet commun « une Psychiatrie d’Accueil ». La rencontre avec un directeur d’hôpital ouvert et lucide, Charles-Henri Marchandet, qui a su et voulu nous accompagner dans le projet de quitter l’asile, et avec l’ensemble de la communauté de Ville-Evrard a été décidé, et réalisé en 8 ans, le départ en totalité des espaces de soin dont surtout les lits pour 8 des 17 équipes, 1992 à 2000. Entretemps la rencontre avec Francis Jeanson et l’excellente association de formation des équipes créée à Bordeaux la SOFOR, Nicole Rumeau qui lui a succédé. Grâce à eux Jacques Hochmann et la qualité de sa narration. Parmi les infirmiers, un grand nombre de ceux de l’équipe bien sûr, et Yves Gigou devenu cadre supérieur, et fidèle des CEMEA, compagnon attentif. Sans oublier le remarquable site infirmier SERPSY.
Un départ en retraite comblé car contemporain pendant un an du résultat de ce long chemin de 30 ans avec la même équipe, au moment de l’arrivée en ville de notre service hospitalier hors de Ville-Evrard et son installation dans un espace neuf dans le secteur à Bondy, créé par une architecte intelligente et sensible Emmanuelle Colboc, le constat de ce qu’apportaient le confort pour les patients que d’avoir la totalité des espaces de soin dans la grande ville du secteur Bondy, et la simplicité du travail de secteur, dans des liens de proximité et des espaces humains enfin.
La joie de voir un successeur, Patrick Chaltiel, conquis par les réalisations de notre équipe et se saisissant du relais avec un grand dynamisme et une meilleure pratique du travail avec les familles, transmission préparée pendant 3 ans avant la séparation, lui même ensuite en plus sachant développer la dimension médico-sociale complémentaire des soins, IRIS Messidor, à partir de la petite association de secteur, IRIS créée en 1972.
Après la retraite ce ne fut pas fini, les rencontres bouleversantes des familles de l’UNAFAM et des associations d’usagers de la psychiatrie fédérées dans la FNAPSY et la figure si courageuse de Claude Finkelstein, m’ont fait comprendre que je n’avais pas encore compris toute la psychiatrie. Leur accompagnement lors de l’élaboration de la loi de 2005 et surtout de cette merveille que sont les GEM groupes d’entraide mutuelle, où se déploient enfin les potentialités des patients, m’a montré qu’il était possible d’aller plus loin que les seuls soins, et que les patients avaient besoin d’un accompagnement social, sans soignant. Seulement la compréhension de la nécessité de cette complémentarité ne se faisait pas simplement, d’où l’effort d’écrire 2 livres et des textes pour y participer.
Un événement brutal : pour faire face à la stupeur et la douleur provoquées par le discours violent de Sarkozy contre les patients et contre le secteur du 2 décembre 2008, nous avons créé l’Appel de Bondy créé avec Patrick Chaltiel et rejoint le groupe des 39. L’honneur de pouvoir intervenir en janvier quelques minutes aux cotés des plus grands Jack Ralite et Jean Oury et mille autres amis des 39.
Médiapart avec Sophie Dufau accepte de m’accueillir dans ses colonnes ‘des contes de la folie ordinaire’ à 50 reprises ! aussi un peu la fidèle Information Psychiatrique, VST et Huffington Post, pour participer à l’effort de mobilisation qui a suivi.
Un grave événement familial m’écarte un an …
Un premier espoir en janvier 2014 me réveille et mobilise, le rapport Robiliard
Surtout un second, le discours de la Ministre de la Santé Marisol Touraine le 19 juin 2014.
Que de chances j’ai eu de faire toutes ces rencontres ! et d’autres que je ne mentionne pas : tous les patients et tous les infirmiers qui étaient la source quotidienne de tous ces désirs et de toutes ces émotions ! Je voulais les transmettre.
Dans le même temps, il est vrai, je n’ai pas su vivre avec ma famille les moments qui étaient nécessaires pour chacun. Ça ce n’est pas à transmettre ! La part de chaque chose !
La psychiatrie de secteur peut-elle renaitre après le discours de Sarkozy qui en réalité n’a fait que mettre en mots et en loi la lente séparation opérée depuis 10 ans par une majorité de psychiatres, de moins en moins engagés dans une réflexion clinique à partir des idées désaliénistes et des pratiques inspirées de la Psychothérapie Institutionnelle ?
Après tant de détresses vécues dans la psychiatrie ces dernières années n’est-il pas justifié de tenter de saisir à chaque fois les chances que nous donne l’actualité pour réaliser « l’Utopie » de la Psychiatrie de Secteur ?
Pour moi ce dernier espoir vécu et partagé ici est l’occasion de quitter la scène de l’écriture publique en remerciant ceux qui ont eu la patience de m’y accueillir.
Seuls les acteurs de la vie active sont à même de construire la suite.
De toute cette passion je ne garde qu’un message à transmettre :
« Apprendre à accueillir l’autre, et prendre le temps de l’écouter avant de se mettre à le soigner, si cela est utile »
et un relais à donner : « L’utopie de la psychiatrie de secteur est une belle chose que nous pouvons chercher à partager au mieux »
L’un et l’autre à verser aux « contes de la folie ordinaire ».
(note de l’auteur : ces quatre petits textes accueillis par les contes constituent ‘un tout’, certes divisé en ‘épisodes’ pour les besoins de l’édition, mais ils n’ont de sens que s’ils sont lus et repris que comme parties d’un ensemble) Bonne route.