Billet de blog 4 octobre 2011

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bonjour!

Je me permets de relayer dans cette édition le billet passé (trop vite) dans le fil des blogs par Jean Pierre Martin, psy parisien.

L'enfer me ment?

Bonne lecture...

COMMENT SORTIR DE L’ENFERMEMENT ?

Si la maladie mentale enferme le patient dans son symptôme, elle est vécue comme une stigmatisation par sa famille. Pendant des années les études sur les causes de la psychose ont pu paraître, et parfois utilisées, comme une forme de culpabilisation des parents qui ne concernait pas seulement la mère et le père mais aussi la fratrie et d’autres membres de la famille. La culpabilité consciente ou inconsciente est déjà suffisamment présente pour ne pas être aggravée par l’attitude des soignants. La « science » psychiatrique ne peut nier la légitimité de la souffrance de chacun au nom d’un présumé savoir, par contre, si elle ne peut être enfermée dans une obligation de résultats, elle est tenue par l’obligation de moyens. D’ailleurs, reconnaître au départ, ne pas savoir à priori , est l’attitude qui permet d’appréhender quelque chose à inventer pour chaque sujet et son environnement, car ceci resitue la dimension humaine des connaissances acquises, des analyses des déterminants sociaux, de l'histoire de chacun et de ses filiations.

Les pratiques que nous développons ici visent à dépasser ce que l’omnipotence de la technique tend à clore. Dans un lieu aussi emblématique que le centre de Paris nous avons cherché à expliciter les spécificités d’un contexte social car si le psychiatre est chargé de traiter le sujet en souffrance, c’est la société qui lui adresse « ses malades ». Les tiers sont donc des interlocuteurs déterminants dans l’accès aux soins et dans ce qu’il en adviendra.

Le dispositif institutionnel, dans ses évolutions, créé un cadre essentiel dans la mise en place de cette démarche. Il n’y a pas de pensée clinique unique mais une variété d’approches selon les lieux et les temps d’exercice, même si le corpus théorique peut paraître plus fixe.

La première pratique est celle du centre d’accueil et de crise, structure interface entre la demande sociale de soins et l’engagement thérapeutique, ouverte 24h sur 24 sur le territoire du secteur. Cette permanence ouvre un possible accès aux soins à tous moments sans rendez vous préalables. Elle permet de recourir à l’hospitalisation et ses risques d’enfermement que dans les situations où l’accueil s’avère impossible, soit du fait de l’ampleur de l’agressivité du sujet vis à vis des autres et de lui même, soit parce que l’engagement des soins nécessite un cadre plus contenant de façon prolongée. Le centre d’accueil et de crise permet de prendre le temps nécessaire à la connaissance du sujet et de son cadre de vie, d’instaurer des relations intersubjectives fondées sur la réciprocité qui inaugurent une continuité de la relation.

Il est le lieu psychiatrique accessible à tous les tiers qui partagent la souffrance du patient, ces tiers familiaux et sociaux ayant une place déterminante dans l’accès aux soins et devant être entendus et mobilisés comme tels. Ils sont susceptibles d’être une ressource pendant la réalisation du traitement. Un tel lieu permet également aux patients connus et suivis au dispensaire et à l’hôpital de jour de trouver refuge, quand les vécus deviennent trop angoissants et menaçants dans leurs lieux de vie.

Sa dimension d’interface et d’accessibilité l’inscrit de façon crédible dans les réseaux de terrain, qu’ils soient institutionnels ou ceux de l’environnement du patient.

L’accueil est réalisé par l’équipe infirmière qui mobilise le médecin de permanence, le service social ou les psychologues selon les problèmes posés. Il est un lieu de travail sur la recherche du consentement aux soins. Le lieu lui même est conçu comme un espace de vie avec des règles communautaires et 5 lits qui permettent la prolongation du travail d’accueil et de réaliser, dans certains cas, une alternative à l’hospitalisation.

Cette pratique vient conforter le travail avec les services sociaux de terrain qui se rassemble dans des réunions où sont abordés les différents accompagnements des patients connus, mais aussi explorés les demandes du tiers social quant à des situations de difficultés psychologiques. Il est apparu au fil des années que ces réunions fonctionnent à certains moments comme de véritables groupes Balint où se traite les difficultés de la relation d'aide. Ils ont permis non seulement la reconnaissance réciproque du travail de chacun, avec ses compétences et ses limites, mais aussi un partage des tâches et des vécus qui dédramatisent l’inquiétante étrangeté de la souffrance psychologique.

Elle a introduit de nouveaux rapports avec les partenaires associatifs dans la prise en compte des phénomènes de précarité. Se faisant elle a amené l’équipe de secteur à s’investir dans la démarche « d’aller vers », avec l’intervention à domicile aujourd’hui portée par l’équipe de dispensaire, et sur les lieux d’accueils des associations quand il n’y a pas de domicile fixe. Dans ce dernier cas qui concerne particulièrement les errants la constitution de groupes de paroles avec ces sujets a ouvert, à travers la rencontre dans le temps, la possibilité d’une parole non contrainte adressée à des soignants. Ce travail a rendu possible l’accès aux soins de sujets hors normes, souvent dans la récusation mélancoliforme ou dans l’effacement traumatique.

Cette démarche doit actuellement s’étendre aux prestataires du rmi, aux groupes de parents à constituer, à toutes les victimes de la violence sociale. C’est un des objectifs du projet des deux secteurs adultes, de l’inter secteur enfants - adolescents - de Paris Centre, et de l’équipe universitaire de l’Hôtel Dieu qui assume les urgences de cet établissement.

Ce projet a fondamentalement comme ambition d’instaurer des soins de proximité y compris pour l’hospitalisation que nous envisageons à l’Hôtel Dieu même. Le dispositif de terrain associe donc le centre d’accueil avec les dispensaires, lieux de consultations, de suivis psychothérapique et d’accompagnements dans la dimension sociale, avec l’hospitalisation de jour et temps plein.

L’articulation de ce réseau de soins avec celui du social repose sur un échange de services car si nous ouvrons l’accès aux soins nous attendons du social qu’il nous aide à la réinsertion de patients stigmatisés par leurs parcours psychiatriques, ou leurs symptomatologies présentes. Nous souhaitons créer des lieux de vie, avec l’aval des élus politiques, sous la forme de foyers par exemple, qui permettent à des patients de sortir de l’hôpital, à d’autres de trouver un cadre social à l’engagement des soins, à d’autres encore qui vivent dans leurs familles de trouver un cadre refuge quand la situation devient intenable.

Nous avons, pour notre part, commencer cette démarche à partir de la psychiatrie en créant des appartements associatifs, une maison communautaire et un accueil familial thérapeutique qui travaillent à l’insertion par l’habitat. Depuis plusieurs années nous soutenons un lieu de rencontres, le Club du Pont Neuf, qui favorise l’accès à des activités créatives et de sortir les patients de leur solitude. La sortie de l’hôpital n’est pas, en effet, une panacée si l’enfermement est déplacé à domicile. Ce transfert des murs de l’asile dans des lieux ouverts à toutes les aspects menaçants du monde extérieur est un des problèmes centraux de la psychiatrie d’aujourd’hui. Nous devons pas nous cacher que l’insertion et les soins à l’extérieur de l’hôpital posent la question de son intégration dans une politique de la ville, dans une période où elle est encouragée pour des raisons purement gestionnaires par les tutelles hospitalières. Il y a une sorte de transfert des responsabilités du dispositif soignant de l’hôpital vers les élus, sans que les moyens financiers soient adaptés à cette situation. Aussi nous affirmons être prêts à apporter toutes nos compétences et notre énergie pour que ce transfert, qui est une révolution positive dans l’exclusion traditionnelle des malades de la psychiatrie, ne se fasse pas au détriment des collectivités locales.

Nous sommes attentifs dans nos liens avec les associations de familles et de patients à ce que ce problème de société soit traité dans un cadre de démocratie participative, non seulement en terme de droits, ce qui serait déjà beaucoup, mais aussi en termes de moyens. Les conventions d’échanges de moyens avec les différents partenaires sont un des enjeux de cette prise de position.

Les différents acteurs professionnels, sociaux, associatifs et politiques de Paris Centre ont créer pour se faire un conseil de santé mentale des 4 premiers arrondissements de la capitale. C’est un espace et un temps qui n’est pas seulement une optimisation des filières de soins entre professionnels des différents champs de la vie sociale, mais fondamentalement un lieu d’élaboration d’un dispositif de soins généraliste au service du public. La notion de souffrance psychique trouve là sa véritable définition : le lien social entre les différents protagonistes de cette souffrance qui cesse par là même d’être seulement une douleur personnelle, expression des réminiscences des traumas du passé actualisées par les traumas du présent.

Cette démarche est loin d’être acquise quand nous voyons que le dispositif des centres d’accueil ( comme celui du centre d’accueil du 11ème arrondissement rue de la Roquette à Paris, après la fermeture de celui de Charenton il y a quelques mois ) est quotidiennement remis en cause par le paradigme comptable, auquel se rallie nombre de chefs de service par « réalisme » ou « opportunisme ». Nous ne sommes pas les directeurs médicaux des politiques de rationalisation économique gouvernementales, et nous sommes prêts, en lien avec une association de familles comme l’UNAFAM, à le faire savoir.

Nous remercions, en conséquence, les lecteurs de cet article pour leurs remarques critiques, car ces questions appellent plus que jamais un débat public.

Jean Pierre MARTIN

Médecin responsable du secteur 75G02 de Paris

Le 15 Février 2003

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