Billet de blog 5 avril 2011

guy Baillon

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La Commission des droits de l’homme -CNCDH- à son tour condamne, et ceci dans le détail, la loi sur la psychiatrie.

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Docteur Guy Baillon

Psychiatre des Hôpitaux

Paris le 5 avril 2011

La Commission des droits de l’homme -CNCDH- à son tour condamne, et ceci dans le détail, la loi sur la psychiatrie.

Je ne reviens pas sur ce texte (de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) remarquable, prudent, précis, prenant en compte tous les aspects de cette loi. Toutes les critiques que « nous »[1] avons formulées depuis plus d’un an sont abordées, et montrent l’inanité du texte de loi soumis au Parlement.

Ainsi les choses sont claires : tout est à reprendre autour de cette loi, encore faut-il prendre garde au fait que la psychiatrie et la santé mentale sont un ensemble indissociable. C’est cet ensemble (soins, action sociale et prévention) qui doit être abordé et certainement pas un seul aspect, comme le voudrait cette loi : elle se limite à chercher à contenir des manifestations d’agitation chez des personnes en difficulté psychique.

Il est indispensable de se préoccuper à la fois et d’emblée -de ce qui s’est déroulé avant un tel trouble, pour apprendre à prévenir ces difficultés, et depuis 50 ans la psychiatrie de secteur malgré tous les obstacles qui lui ont été opposés a montré son savoir faire, et -de ce qui va se passer après la première réponse, pour prévoir les réponses successives devant accompagner la personne à la suite de ce moment difficile, car les troubles psychiques graves se déploient toujours sur des durées assez longues, voire très longues.

Je ne peux donc critiquer les élus de n’avoir pas su établir un texte satisfaisant. Il était impossible de le rédiger si vite, sans voir l’ensemble de la Santé Mentale, sans faire participer ses différents acteurs, sans prendre un temps suffisant, et sans se dégager d’un climat national qui est tellement orienté vers la sécurité et le risque zéro. Ce climat mobilise la peur, provoque l’angoisse, entraine des décompensations chez les personnes fragiles, et poursuit donc un but inverse de celui du soin.

Je tiens à insister ici sur deux caractères spécifiques aux troubles psychiques. Ils doivent être pris en considération au préalable car ils donnent une coloration très singulière à la perspective qu’il est essentiel d’avoir pour toute question concernant la folie et la psychiatrie.

Le premier, nous le savons, mais il faut en tirer les conséquences, c’est que les personnes présentant des troubles psychiques ne sont pas plus dangereuses que le reste de la population, elles sont seulement plus facilement identifiables, mais pour la raison inverse : parce qu’elles sont vulnérables, ce que chaque citoyen constate tout de suite sans avoir besoin de porter un diagnostic. De plus, et ceci est très préoccupant, nous savons qu’à cause justement de cette vulnérabilité, elles sont beaucoup plus souvent victimes de délits que le reste de la population. Nous en concluons qu’au lieu de devoir être contraintes, elles ont besoin d’être accompagnées et entourées, dans un climat de liberté, comme l’a bien montré la loi du 11-2-2005 sur les handicaps.

Le second, relevé par la Commission, et clairement expliqué par le rapport du Contrôleur des espaces des espaces de privation de liberté, Monsieur JM Delarue, doit être pris en compte d’emblée, autre conséquence de la vulnérabilité. La Commission montre que la loi fait une avancée positive en multipliant les modes de recours aux mesures. Elle n’insiste pas assez sur leur inutilité ! En effet l’expérience clinique quotidienne, bien relevée par les familles (qui en ont fait un slogan pour obtenir la loi de 2005), montre que la grande majorité des personnes présentant un trouble psychique grave « ne demande rien », et ne fera donc aucun recours. Les élus de la Nation se donnent bonne conscience à prévoir des recours, mais cela est totalement inutile, les patients ne savent pas, ne peuvent pas, ne veulent pas, en raison de leurs troubles, en raison de l’hostilité dont ils se sentent l’objet et qui les malmène tant.

La seule mesure juste et nécessaire c’est l’installation des soins en ville avec des équipes suffisamment nombreuses travaillant dans la proximité du patient, donnée indispensable car c’est cette proximité qui donne l’assurance que les soins et l’accompagnement social vont se développer en s’appuyant sur les ressources de ce tissu humain et sa connaissance personnelle de la personne qui souffre ; ce sont ces liens humains de proximité qui sont les seuls garants de l’avenir. Toutes les réponses faites à la vulnérabilité des patients vont venir s’arrimer sur cette proximité.

En conclusion nous comprenons à nouveau que la Santé Mentale n’a pas -d’abord- besoin d’une loi, elle a d’abord besoin d‘ « Un Plan Cadre » d’ensemble, rassemblant la diversité des besoins et surtout coordonnant les réponses, car les dispositions actuelles sont tellement diverses (soins, éducation, action sociale, formation, culture, justice, travail) qu’elles contribuent à un déchirement social et une complexité kafkaïenne aggravant le vécu de ces personnes.

Le point majeur est le respect et la dignité de la personne humaine et la reconnaissance de sa place dans la société.

L’enjeu est tel qu’il justifie que les élus prennent le temps nécessaire pour apaiser les violences médiatiques qui viennent accabler la santé mentale actuellement, et apprécient la solidarité dont ces personnes, comme tous les citoyens, ont besoin. Mais il est indispensable d’affirmer que cette solidarité sera « mutuelle », à partir du moment où nous saurons reconnaitre qu’à côté de cette vulnérabilité, ces personnes ont des « potentialités » qui, bien accueillies, vont rendre de grands services à la Cité.


[1] (« nous » : je veux dire plusieurs collectifs, en particulier le collectif des 39, et ceci dès janvier 2009)

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