LES SENATEURS RELEVENT LA TÊTE
LA REPUBLIQUE SE REDRESSE
Oui, (comme vous le dites si bien), Yves Gigou :
« Le Sénateurs relèvent la tête », « la République se redresse ».
C’est pourquoi et, bien que tout ne soit pas encore gagné, toutefois, – en signe de remercîment, et à ma manière – je me permets d’imprimer dans cet espace, qui m’a toujours accueillie, même dans les moments les plus difficiles et les plus énigmatiques de mon existence, et, face à une véritable compréhension de l'autre, je me permets donc d’imprimer mon propre enthousiasme, qui se déclare dans un texte – déjà publié – et qui est un « hymne » à la beauté, à « l’étrangeté » et à la « musique » ( non pas à la « musicalité , mais à la « musique ») de la langue française, et dont l’intitulé est :
LA MYSTERIEUSE LANGUE DE MA GRAND-MERE MATERNELLE
« Peut-être qu’un écrivain fait d’abord cela : ramener toujours ce qui est enterré, ce qui est enfermé […] Ramener l’obscur à la lumière. »
(Assia Djebar)
J’ai senti mon cœur palpiter furieusement dans ma poitrine, lisant votre parole, Assia Djebar, comme toujours lorsque j’entends nommer, lorsque j’entends parler de « la langue maternelle » car, normalement, on sait, l’enfant sait, même quand il ne la parle pas, quelle est, où se niche, sa « langue maternelle ». Il sait aussi (l’enfant) que parfois ses parents ne voulurent pas qu’il accède à sa connaissance (à son savoir ?), en la lui soustrayant avec toute la violence silencieuse, dont eux seuls – les adultes, les parents – sont capables, et au creux de laquelle ils savent aussi bien se complaire. (Moi, pendant de longues années, j’ai tout ignoré de cela. J’ai ignoré – j’entends – tout questionnement sur ma langue maternelle. Et pourtant…)
Je ne suis pas née ici. (En France.) Je suis née dans une région sauvage et montagneuse d’Italie, dont j’ai parlé et étudié, et écrit, la langue du pays. Or, en vous lisant – Assia Djebar – des murs entiers de mots (par mes yeux solitaires déjà entrevus) se sont mis tacitement à s’écrouler, tandis que des vitres lourdes de phrases (par mon cœur déjà pressenties), en craquelant, se fêlaient, me plaçant tacitement face à ce que vous appelez votre « fil d’Ariane ».
Oui. Un « fil d’Ariane » reliant l’une à l’autre, vos deux langues : l ‘ancienne, l’ « orale »(celle qui fut « bâillonnée », et qui était « murmurée dans les chaumières »), et la nouvelle, l’autre langue (celle du colonisateur), qui désormais s’exprime en vous par l’écriture, et qui ne cesse jamais de se poser à l’écoute de la première, au point d’en " devenir l’oreille ". (Ce sont vos propres mots, c’est votre propre parole, Assia Djebar.) Un fil d’Ariane que j’ai cru reconnaître – se reflétant dans les eaux sombres du passé –, et qui s’est mis à se tisser, dans mo cœur depuis mes plus lointaines années, par une sorte de nostalgie aiguë jaillissant de cette langue, que – enfant encore – j’entendais s’écouler, sans pouvoir la saisir.
Car – moi aussi – jadis, je l’entendis parler cette autre langue : la « langue d’ailleurs ». Cela se passait, sous les pupilles habitées d’une amoureuse attente, de La Dame au balcon, à la chevelure rousse, au coeur même de la demeure de ma mystérieuse, sévère, sarcastique grand-mère maternelle. (Si détestée, si haïe, dans le village !)
Une langue que moi, toute petite – perchée sur trois coussins, et tout en affrontant de mes yeux apeurés, quoique jamais las de les parcourir, les terribles damnées de Gustave Doré –, d’une oreille attentive je guettais tisser (tramer, peut-être ?), des lèvres de grand-mère à celles de maman, la parole qui devait ne pas être comprise par nous : les enfants. Une langue que j’entendrais également jaillir, grinçante, de l’imposant poste de radio de grand-mère, lorsque, quasi aveugle – au soir de sa vie – elle l’allumait et, dans sa glaciale solitude existentielle, se mettait à son écoute. Une langue dont les mots (habillés de fabuleux accents) se déroulaient, parmi desseins et images, tout le long des pages des journaux de mode qui, mystérieusement, parvenaient jusqu’à grand-mère. (À grand-mère (oui), et à son brûlant amour pour la parole de sa défunte mère, qui fut une Lyonnaise.)
La langue défendue, en conséquence… C’est pourquoi – dès ma première jeunesse –, je me hâtai de l’apprendre, de la saisir, toute seule, m’entêtant à en déchiffrer les mots dans les livres que, fébrilement, je découvrais dans la bibliothèque paternelle.
Mais à cette heure, à l’heure présente, j’entends – même si les brumes du souvenir sont à jamais sournoises, et ne laissent rien deviner, rien apercevoir de sûr –, ouvre-moi ton cœur, mère, parle-moi, dans le silence de cette Nuit Noire qui nous entoure, et dis-moi : pourquoi, pour quelle raison secrète, jamais tu ne voulus m’initier à cette langue, qui était pourtant la parole même de la lignée féminine de la famille ? Pourquoi tu me la cachas, la celant, la dérobant à mes yeux et à mes lèvres, par un geste qui pouvait être fatal ? Pourquoi tu m’as empêchée de me pencher sur elle : sur la « langue d’ailleurs » ?
Voulais-tu, peut-être, me sauvegarder d’une parole qui, à tes yeux égarés – à cause de ce meurtrier tremblement de terre qui ravagea la ville de ta grand-mère, au nom prédestiné de Charlotte Chabert –, pouvait apparaître, sous les vêtements redoutables du langage des Morts ? Ou se dresser, face à toi, comme la Langue de la Mort elle-même ? ( Je ne le pense pas.). Néanmoins, aide-moi, je te prie – mère–, bien qu’on ne puisse plus discourir l’une vis-à-vis de l’autre, l’une à côté de l’autre (te tenant la main, peut-être ?), aide-moi à déceler, à apercevoir, les raisons secrètes qui guidèrent ton choix.(Mais fut-il véritablement un choix, le tien ?) Fais-le, par amour de moi, au travers de toutes ces Ténèbres indéchiffrables qui t’enveloppent, depuis ces Trous noirs de l’Univers, au cœur desquels toi – si jeune encore – tu t’enfuis à jamais. (Pour t’y abriter ?)
Car, aujourd’hui encore, à ce moment précis où je marque les arcanes de ces paroles sur cet écran, en souffrant fort, je me questionne et ne cesse de me questionner : quelle fut, quelle a été, ma véritable lange maternelle ? Celle que – sans me tromper – je pourrais appeler : la langue de la vie ? Et voici que – à ce questionnement –, intact ressurgit en moi le souvenir de grand-mère, m'initiant, dans une station balnéaire de l’Adriatique, au cours d’une torride après-midi d’été, dans la pénombre de la chambre où nous couchions, à tourner nos mains, de droite à gauche et de gauche à droite, tout en chantonnant doucement, très doucement –, pour ne pas réveiller les autres dans leur sommeil : Ainsi font, font, font…
Certes. Et à présent, lorsque la « langue d’ailleurs » est devenue sur mes lèvres la langue de « l’ici et de maintenant », voici que, fulgurant plus que l’éclair, un autre souvenir me traverse les yeux de l’esprit. ( Les yeux du cœur, devrais-je sans doute dire ?) Le souvenir, la rimembranza amara des tendres noms de petits animaux dont toi, maman, tu n’arrêtais pas de me revêtir, en me caressant de ta simple parole. Toi, qui assurément les extrayais – ces noms, ces douces appellations – du tréfonds de ton âme à jamais enfantine. (Etaient-ils les bribes de ton jeune âge, nourri de ta « langue d’ailleurs » ?)
Je ne possède plus rien de toi, de ton passé (du nôtre ?), ni du passé de grand-mère. Plus de lettres, ombragées par des paroles d’amour… Plus d’envoûtantes photos bien classées dans des albums en cuir… Presque plus d’objets – si précieux en leurs réminiscences… L’ouragan de la vie, tout comme la sanglante tempête de celle qu’on a coutume d’appeler « folie », étant passés par là, et ayant violemment emporté toutes choses à leur suite.
Mais aujourd’hui –à la suite de tous ces puissants enchaînements de l’existence –, depuis de longues années (déjà !), j’habite cet autre pays, où je peux la parler, et l’écrire, l’autre langue. Une langue que moi aussi – comme feue grand-mère – j’aime passionnément, et dont sans cesse, j’entends me nourrir : nourrir mon âme.
Il a fallu un long, très long voyage, dans ces eaux souterraines, troubles de vie et de mort, il a fallu de si abruptes cheminements, d’aussi atroces rencontres, pour que je puisse (enfin !) librement plonger en elle – en cette langue mystérieuse – et parvenir à y conquérir l’espace d’une écriture, qui – seule – aura pu et su adoucir, la caressant, celle qui fut la plaie béante de mon cœur. Un cœur qui n’est, et ne sera jamais oublieux de sa plus vive enfance.