« Or ti piaccia gradir la sua venuta :
libertà va cercando, ch'è sì cara,
come sa chi per lei vita rifiuta»
« Qu'il te plaise d'approuver sa venue :
il cherche liberté, qui est si chère,
comme sait qui pour elle a refusé la vie.»
Marianne, chère Marianne, au sein nu et libéré,
voici que je m’adresse à toi, et – qui plus est – par cette Lettre Ouverte que voici ! Et sans te vouvoyer, dans ce pays où, par le passé, l’on aima tant vouvoyer, et cela, jusqu’à un passé récent lorsque, ce même vouvoiement sut tout de même acquérir ses titres de noblesse, signifiant l’ardent respect jaillissant d’un Amour tout à fait Courtois. Oui. C’est bien ça.
Je m’empresse donc de prendre la parole, Marianne, et de me poser vis-à-vis de toi, par cette Lettre Ouverte, par moi rédigée en plein cœur de la nuit, désirant, par elle – par cette même Lettre — toucher également les cœurs de tous ceux et de toutes celles qui – à mes yeux attentifs –, tout en se différenciant profondément les uns les autres dans leurs pensées et sentiments et encore et encore dans leurs prises de parole et positions,tout en luttant farouchement entre eux justement à cause de ces différenciations, pourtant ils savent te signifier profondément, car ils nichent (dans leur tréfonds) celles que j’appellerais des véritables valeurs. Des valeurs sachant côtoyer les songes les plus fous.
Je vais m’en expliquer, Marianne. Avec toi, mais également avec tous ceux et toutes celles qui– à mes yeux pensifs – sont tes véritables enfants, même là où, parfois, ils s’acharnent à se livrer, entre eux, à d’âpres guerres et combats.
« Les enfants de Marianne ?!? Ah ! Ah ! Oh !
Oh ! que tout cela est drôle, et tout à fait
inadéquat, et incompréhensible, et de plus
absolument ridicule ! Risible même ! Mieux
encore. Dérisoire et au plus haut degré ! »
Je sais, je sais. Je les entends déjà (et de mes propres oreilles) toutes ces voix, s’entremêlant, et s’écriant contre ces mots (mais ne seraient-ils pas cesmots, devéritables paroles ?), contre ces mots, oui ! contre mes paroles, que je viens de marquer noir sur blanc, sur la page ouverte de cet écran. Puisque (c’est vrai) avec le passage du Temps, et avec ses inlassables et pourtant fatales transmutations, ou, comme l’on aime à dire, avec et parles performances que ce même Temps s’amuse tant à accomplir (et si impitoyablement),pardonne-moi, Marianne, mais tu as fini par tomber (contre ton bon vouloir ?) de ton piédestal. (Mais dis–moi, pourquoi tu t’es laissée hissersur un si faux piédestal, qui ne semble absolument pas te convenir, ni correspondre aux buts qui sont les tiens ?) Et tu as fini, malheureuse, par être saisie, brutalement empoignée, par d’autres mains, qui ne sont pas les mains, les bras, de ceux dont il fut question plus haut et tout au long de ces mêmes lignes, à savoir de tous ceux qui, en un seul mot, représentent à jamais,à mes yeux (je le répète, et le répéterai sans cesse, en m’y entêtant farouchement), ta véritable progéniture.
Tu as fini par tomber bien bas, Marianne. Parmi ces gens de rien du tout, qui, imbus d’une si exaltée soif de pouvoir, s’agitant de droite et de gauche, et de gauche et de droite, parlent et s’exclament,de par leurs voix tonitruantes, pour se faire mieux entendre, et réussir ainsi àcreuser des perpétuels sillons, dans le creux des oreilles et/oude l’intellect de ceux et de cellesqui, un brin de muguet à la main ( sans trop se savoir ?), clopinant clopinant, doucement, età chaque récurrence du 1er jour de notre mois de mai, ne manquent pas de s’arrêter aux pieds de la statue de la Pucelle (montée sur son cheval doré, et brandissant le drapeau de son peuple), pour écouter, et pouvoir donc, tout à fait, et clairement, saisir, d’où leur viennent toutes ces insoutenables souffrances, et ces atroces débâcles de leurs vies, et de leurs accablantes existences.
Or, l’argumentation adroite de tout cela (en d’autres termes, l’explication de la raison de tout ce qui leur arrive, de ce grand poids qui tombe, pour ainsi dire, fatalementsur leur dos), s’étale – à chaque fois, et sous leurs propres yeux –dans et par un sirutilant, si criant langage, et se déverse dans le pavillon de leurs oreilles, au moyen de motsqui sonnent (qui leur sembleraient sonner, sans doute ?) si proches del’entendement qui est le leur, mais encore, qui semblent également si vrais, si justes, dans leur simplicité extrême, qu’ils ne peuvent qu’applaudir fort, croyant leur appartenir, et de plein droit.
En d’autres termes, il s‘agirait de mots, en prise directe avec leurs cruels,désespérants questionnements. Une prise directe, toute revêtue d’une toge à la rhétorique apparemment si raisonnable, et qui, par les amples gestes de ses manches, ou de par les intonations de sa forte voix, leur explicite et indique la cible même, le véritable noyau, de leurs si amères et rancunières défaites etrévoltes, que leur poitrine abrite tacitement. Bien que (et il faut le dire) cela aussi soit en train de changer, Marianne. Ces mêmes voix se promettant de l’aguicher, cette foule bien de chez nous, par d’autres intonations de la voix – féminines, celles–ci – et qui se voudraient, par conséquent, plus calmes et réfléchies et apaisantes, et édulcorant cette rageuse violence de jadis .
Mais revenons à nous, Marianne. Tu sais bien que je ne suis pas née ici. Dans ton pays, j’entends. Néanmoins, après l’avoir – par mes propres moyens, et comme je l’ai pu – un peu mieux connu, tonpays, je m’y suis attachée à tel point, que je ne saurais plus vivre ailleurs. Car, c’estici, c’est dans tes contrées, que j’ai trouvé et rencontré(presque à mon insu) l’ESPACE qu’il me fallait pour vivre ! Et, en disant cela, je me souviens de la belle dédicace que toi, J.–V., tu avais tracée sur l’un de tes cahiers imagés, s’exclamant : « De l’espace pour Antonella ! », et qui était tracée au-dessous de l’image d’unoiseau (tout lumineux) volant rapidement (se précipitant, peut-être ?) du haut des cieux, vers un cahier grand–ouvert.
Or, je dois t’avouer, Marianne, que, tout en ayant profondément aimé cette dédicace, et le dessin qui l’accompagnait, je ne l’avais pas véritablement comprise. Je ne l’ai comprise que lorsque – véritablement – je me suis saisie de cet Espace, s’offrant aux yeux de mon cœur. Et cela (je le répète) est arrivé, Marianne, dans ton terroir, là où,doucement, et « à mon propre rythme » (comme j’aime dire), j’ai pu finalement m’exprimer. M’exprimer ?! Oh non ! Non pas m’exprimer ! Réaliser, plutôt !Me réaliser ! Et cela, à l’aide de tes enfants (hommes et femmes), qui nichent (qui recéleraient–ils peut-être ?) dans leurs cœurs, ces rêves rêvés les yeux grands ouverts, qui, au siècle dernier, furent hautement méprisés et bannis par l’intelligentsia de tous bords, qui les qualifia d’inanité, et dont elle sut broyer le caractère (trop songeur à son goût), mais que – au jour d’aujourd’hui – peut-être nommerait-on des superbes, intarissables, et à jamais renaissantes chimères–phénix. Des chimères–phénix, oui ! qui, en toute leur superbe, absolue étrangeté, ne donnent pourtant pas, et en tous leurs divers emplacements, ne donnent donc pas lieu à ces terribles rires et moqueries,auxquels je fus accoutumée dans cet autre, affreuxpays, où je suis née, et dont (à l’époque tout au moins) je crus que les valeurs, reflétaient celles de la planète entière.
Des chimères–phénix (j'aimerais ajouter), dont quasi physiquement, quasi charnellementje nécessite, et je nécessitai. Que mon cœur réclame, et réclama à tout prix, et à tout jamais. Qui m’accompagnent dans cet avancer constant de mon pas,et qui m’accompagnèrent toute ma vie durant. Des chimères–phénix, si puissantes en leur imaginaire, mais si mal vécues dans ces terres, où mon enfance et ma première jeunesse si cruellement, si tristement, tentèrent de survivre, qu’elles (ces mêmes chimères : méconnues, inassouvies) me firent basculer, dans l’impossibilité absolue où je me trouvais de pouvoir les parler, ou d’être par elles parlée, me firent donc dégringoler dans ces terroirs, qu’on appela vite ! et tout de même, et sans trop se soucier, sans trop y réfléchir, les domaines propres à la folie.
Or, dans ces terres, dans tes terres, si aimable et pourtant si rebelle Marianne, doucement, calmement, en plein cœur d’une solitude fertile et ensorcelante – par moi requise et acquise –, j’ai pu me réapproprier ma propre parole, et également mon cœur (au sens ancien du mot). Et j’ai pu également – calmement, doucement – soupeser Vivants et Morts, et revivre, pour ainsi dire, leurs pensées, leurs paroles, et comparer tout cela et, à jamais pour ainsi dire, également tout soupeser, et choisir donc (ou tout simplement : suivre ? poursuivre ?)celui qui me paraissait être mon véritablechemin.
Voilà qui est dit. Or, je sais, je sais, que je dis cela en un moment de l’histoire de ton pays, Marianne, où il paraitrait qu’aucun véritable chemin à parcourir ne saurait s’entrouvrir face ànos yeux. Et même, plus que ça. Qu’aucunchemin paraitrait plusse dessiner, à notre horizon même. Que toutes choses, tous passages, tous développements du cœur et de l’esprit, sembleraient s’enfuir et vite ! loin, loin de nos yeux (et de la prise de nos mains aussi), s’enfouissant, et finissant par s’évanouir totalement dans le néant. Car, il y a eu Mort d’hommes, chez toi, Marianne,dans tes terres brûlées !
Et pourtant... Dans mon tréfonds, je me dis, et m’entête à penser, que nous saurons, tous ensemble, nous en sortir, de cette cruelle impasse. En luttant, bien sûr, mais aussi en recherchant (au fond de notre cœur), ce qui correspond véritablement à nos valeurs. (À ces à jamais renaissantes « chimères » ?). Des chimères–phénix qui, désormais sont affichées à la va viteégalement par ces comptables–banquiers, qui, s’estimant riches aussi en astuces, sont nos actuels Marchands du Temple. Certes...Des Marchands du Temple qui, foulant de leur pied grossier, ton sol, Marianne, voudraient, à l’heure actuelle,se faire passer pour nos spectaculaires, avenants Anges Gardiens. Oui ! Et voici que, tout autour denous, ce n’est plus qu’un persistant grouillement d’une Armée entièrede ces si obéissants Anges (mais où es-tu, Lucifer ?), qui ne voudraient, qui ne sauraient agir que pour notre bien, que pour notre unique et prestigieux salut. En nous protégeant bien sûr, et étroitement, de l’Ennemi, mais aussi de nous-mêmes. Et cela (ce Grand Combat de nature angélique et celestiale) se déroulant vis-à-vis de la Vie (de notre propre vie), mais aussi face à la Mort : face à notre propre mort, Marianne. Tout ça ne pouvant se réaliser, qu’en extorquant de notre cœur, son souffle vital, qui est et qui sera à jamais, notre inentamable, et à jamais renaissant libre arbitre.
[1] Virgile s’adressant à Caton d’Utique, « le vieillard solitaire », et lui expliquant la démarche existentielle de Dante qui, après avoir visité l’Enfer, pourra (par le vouloir divin) accéder au Purgatoire, et même aux harmonieuses sphères du Paradis. Ces quelques vers rappelant la souffrance de Caton, qui choisit le suicide, lorsque la République fut renversée, à Rome, par le triomphe de César.
[2] DANTE, La Divine Comédie, Le Purgatoire, Traduction, introduction et notes par Jacqueline Risset, GF Flammarion, Edition corrigée, 2005.