LETTRE OUVERTE À MON IMAGINAIRE
/…/ Derrière les décors
De l’existence immense, au plus noir de l’abîme,
Je vois distinctement des mondes singuliers,
Et, de ma clairvoyance extatique victime,
Je traîne des serpents qui mordent mes souliers.
(BAUDELAIRE)
Mon Robinson découvre une empreinte indéchiffrable, qui le précipite vers
l'inconnu, et le force à se tenir debout devant l'impensable. /…/
Affronter le grand souffle de l'en dehors, c'est cela l'esthétique, l'éthique et la
grande politique contemporaines.
(P. CHAMOISEAU)
… à ce moment–là, je baissai mes paupières, regardai le sol, et dis : – Qu’est–ce qu’il m’a fait souffrir ! Alors vous, vous aviez levé la tête, et m’aviez demandé : – Qui, ça ? Et moi : – Baudelaire… Charles Baudelaire…
Vous aviez eu alors un mouvement de la tête, quelque peu insaisissable, sous mes propres yeux, qui auraient voulu comprendre. (Dites : je vous insupportai par mes paroles ?)
Ce fut alors, ce fut à ce moment–là, qu’il me parut que vous aussi, vous ne saisissiez pas tout à fait, ce que j’avais voulu ( : que j’aurais voulu ?) dire, clairement exprimer, par ma parole dénudée, que vous, cette fois–ci, vous n’aviez pas laissée librement fluer. Que vous aviez glacée.
Et je me tus. Oui. Je me tus… Me rebellant à ma manière : par le silence. Un silence taciturne… Car, pourquoi – me demandais–je amèrement – pourquoi les rencontres pour ainsi dire ordinaires, ces rencontres du quotidien, marquées comme elles sont (si souvent ! ) d’inéluctables, et parfois si mesquines blessures narcissiques, ces rencontres parfois si meurtrissant, de par leur désir aigu de captation et de domination, dites : pourquoi devraient–elles avoir, sur votre entendement, sur votre âme, sur votre cœur, un impact, une puissance aussi cruciale, et vous faire pâtir davantage que la réelle contemplation, à la lecture, de ces parcours à la souffrance (atroce ! ) d’êtres aussi rares, aussi authentiques, et marqués du sceau de leurs tortures existentielles ?
… douleurs extrêmes… entrelacées de rires... douleurs et rires, montant vers les Hauteurs… se précipitant vers les Basses–fosses... s’élevant jusqu’aux Faîtes… traquant les Profondeurs… quêtant Sommets et Abîmes… de l’âme…
Oui ! Tout à fait comme la musique… Comme ces mouvements musicaux qui se succèdent… s’entremêlant… dialoguant… ou luttant à la vie à la mort !... se déchirant… se confortant … La musique… oui !… Par les humains créée… Cet incessant miracle…
Un mouvement tout ( : des mouvements, sans doute ?) à spirale, de souffrances et de joies, se développant, se signifiant, mourant, ressurgissant… En spirales et en volutes, dirions–nous… Pour tenter de les approcher… ces mouvements… et cela, avant qu’ils ne s’enfuissent…
Puisque, aujourd‘hui, en ces temps de malheurs, en ces temps parcourus d’une telle requête de sciences et de techniques, on préfère les observer, ces mouvements à spirale, et les étudier, et les définir, et les cataloguer, et les diagnostiquer. Afin de ne pas se laisser tromper ( : afin de ne pas se laisser sottement piéger ?). Afin de pouvoir persister à adroitement les « soigner », comme l’on dit. Et par différents moyens.
Par des moyens qui se veulent doux, et qui s’étalent au moyen d’une sorte d’enveloppante emprise – qui ne manquera pas de vous marquer, et au plus haut degré, gommant en vous, tout élan de possible révolte. Ou bien, par des moyens si cruels en leurs brûlantes humiliations, et qui ne rougissent nullement, jamais ! de leurs agissements, de leur Parole, mais qui, au contraire, se targuent de connaître et savoir apporter, et sans tarder, les nécessaires, urgents, inéluctables moyens curatifs.
Pourtant, ces étonnants, saisissants sens, que certains êtres abritent en leur sein, sont parcourus d’une parole ( : également d’une musique ?) hautement authentique. D’une parole musicante, qui, se détournant de son propre, particulier reflet, plongeant en ses si mystérieuse, savantes profondeurs, voudrait ( : tenterait–elle ?) tacitement quêter ( : accueillir ?) en son cœur, ce que en d’autres Terres l’on appela, et l’on appelle, le Ciel Terre.
Or, tout cela nous parvient depuis des Temps très Anciens, qui se déroulèrent si autrement que les nôtres ! Des Temps dans lesquels, toutefois, l’on pourrait, et l’on peut, encore se refléter. Surtout lorsque le champs de nos dires, se nourrit de la parole musicante, propre à nos poëtes–philosophes. Eux, si harcelés, comme l’on aime à dire actuellement, blessés, meurtris : en leurs propres chairs. Eux, qui furent et demeurèrent, non seulement à jamais fidèles à leur propre destinée, mais qui virent de leurs propres yeux, aveuglés, les chimères tout–puissantes d’autres mondes… d’autres humains… mirant, visant, d’autres échanges… d’autres amours… d’autres passions, à la saveur terrestre… allant jusqu’à souhaiter ressentir une haine, autre… à caractère plus radical… plus absolu… mais aussi : plus risqué… elle aussi à la saveur ( : d’une nature ?) encore plus terrestre…