Le Dr Guy Baillon me propose de partager ce texte écrit il y a quelques jours, c'est une réaction à la publication de Terra Nova, que vous pouvez trouver à cette adresse
http://www.tnova.fr/note/quelques-rep-res-pour-la-psychiatrie-publique
G. Baillon nous propose d'en débattre
"Les citoyens sont aptes à donner leur avis. Ce n’est pas une question de spécialistes, ni un domaine réservé."
En septembre 2012 un « Thinktank » qui se veut progressiste ? Terra Nova, publie une proposition pour sauver la psychiatrie « de service public », signée de deux directeurs.
L’intention est pertinente, ce service public est en fort mauvaise santé, mais pour des raisons qui ne sont pas celles évoquées par ces directeurs ; selon eux elle est « déboussolée et en recherche de repères », c’est inexact, son orientation est claire, définie par une politique « dite de secteur », née en 1960, mise en application depuis 1972, réalisée de façon progressive et inégale pendant plus de 20 ans sans planification d’où ses inégalités, légalisée enfin en 1985. Par contre ce qui est vrai c’est qu’elle est constamment mise en difficulté, mais par les prises de position contradictoires de l’administration, ceci à partir d’un quiproquo constant que ce texte de directeurs met bien évidence, une fois de plus.
Certes nous sommes perplexes de voir ces auteurs féliciter le précédent quinquennat, alors qu’il a saccagé le service public ; quinquennat marqué, disent-ils, par les ‘tonalités sécuritaires’ du discours de Sarkozy à Antony en 2008 (en fait ce discours a stigmatisé avec la plus extrême violence un trouble psychique grave en le désignant comme futur criminel qu’il était juste d’enfermer, jamais pareille violence avait été commise), discours traduit en actes par une loi, celle du 5-7-2011, qui ‘aurait permis des avancées réelles’ selon les auteurs (alors que cette loi oblige les malades à reconnaître leur maladie, tel un délit, et qu’elle leur impose internement et soins chimiques). Nous ne revenons pas ici sur l’analyse de ce discours et de cette loi, nous en avons largement débattu avant le changement de gouvernement.
Nous constatons seulement que Terra Nova, ce « Think tank » progressiste, se voulant ‘patenôtre’ et pour plaire au plus grand nombre approuve largement l’action du précédent gouvernement et n’y voit aucune contradiction avec ‘la politique de secteur’, ce qui se s’expliquera quand nous aurons pris connaissance de la définition qu’ils en donnent.
Il n’y aurait selon eux aucune différence pour la psychiatrie entre programme de gauche et programme de droite (en fait on sait que le clivage est plus subtil, il sépare ceux qui ont peur de la folie, il y en a à gauche comme à droite, de ceux qui savent qu’elle est l’une des facettes de tout homme et qu’elle doit retrouver sa place dans la société, et ne jamais être un prétexte pour exclure des hommes). La question est d’importance puisqu’elle permet de séparer une psychiatrie désincarnée et donc scientiste et inhumaine, celle de ces directeurs, et une autre, respectueuse de l’homme et de ses valeurs intégrant certains progrès scientifiques.
Le quiproquo sur la ‘politique de secteur’ doit être élucidé pour comprendre ce qui a opposé si vite les soignants et leur administration jusqu’à la confusion récente qui en est l’expression extrême.
Selon nos auteurs « la psychiatrie de secteur repose d’une part sur le découpage du territoire en environ 800 unités de taille comparable et d’autre part par l’articulation obligatoire de soins en hospitalisation et en ambulatoire ». Et ce qui pour eux est un principe, la continuité entre unité d’hospitalisation et consultations extra-hospitalières se traduisant par une diminution des hospitalisations qui serait due aux médicaments, devrait être complété par leur soutien à la création de pôles cliniques regroupant plusieurs secteurs.
Ces quelques lignes montrent que les administrateurs ont compris que cette psychiatrie se lit comme correspondant à un schéma organisationnel ; en fait elle s’appuie sur une observation longue et précise des troubles psychiques dans leur milieu naturel, cad la société, et sur leur nature, sur leur évolution, sur la multiplicité des moyens à employer pour leur traitement.
Le quiproquo est considérable, c’est comme si des administrateurs ayant entendu une description anatomique d’une lésion hépatique en déduisaient une fois pour toutes, la forme et la nature des outils que devraient employer les chirurgiens pour opérer toute tumeur du foie !
Cela a commencé dès l’origine lorsque l’administration a demandé quelle serait la population d’un « secteur », le quiproquo a commencé. Pour les fondateurs de cette psychiatrie il fallait absolument affirmer que c’était la qualité de la population qui importait, sa qualité de soutien, de tissu conjonctif, d’appui relationnel à la personne malade ; de ce fait la référence était d’abord d’ordre historique, économique : le secteur c’est un groupe humain ayant partagé une longue histoire comme les habitants d’une Cité, de plusieurs villages proches, d’un quartier d’une grande ville ; et un chiffre, puisqu’il fallait donner un ordre de grandeur, a été ‘jeté’ celui de 66.666,6 (où le plus important est la virgule), car il correspondait en 1950 à une dimension ‘humaine’ de l’équipe envisageable pour des soins, mais ce chiffre était secondaire par rapport à la notion de liens entre les hommes et à la qualité des soignants.
La donnée de base sur laquelle cette politique a été conçue était le constat que les troubles psychiques graves d’une personne précise duraient des dizaines d’années et qu’il fallait imaginer un soin capable de durer ce temps. Ceci ne pouvait s’envisager que si l’on pouvait s’appuyer sur la mémoire des troubles et la mémoire des soins donnés, car le trouble évoluait selon une logique propre qu’il fallait soutenir, donc les modes de soins utilisés devaient avoir une logique commune. Le premier principe a été de définir ce qui pourrait soutenir une même équipe soignant tous les malades d’une population donnée, celle d’une Cité, ayant une histoire humaine commune. Les soins étaient d’emblée reconnus comme multiples : relationnels-psychothérapiques, chimiques, et institutionnels (les espaces de soin), l’essentiel était la professionnalité de soignants consistant dans leur capacité à établir la permanence d’une « disponibilité » de soins et donc d’attention, ce qui nécessite, non pas ‘obligation d’articulation de lieux de soin’, mais abnégation, modestie, disponibilité, générosité et rigueur.
Car la plupart des troubles psychiques graves ne sont pas les conséquences de seules lésions ou dysfonctionnements organiques, mais sont des difficultés survenues sous l’influence de multiples raisons, y compris organiques, et figeant la fluidité du psychisme en réponses toujours répétées identiques. La chimie permet de calmer les troubles de surface angoisse, agitation, insomnie, dépression profonde, mais ne changent pas la nature du trouble. Seul le travail de soin psychique, la psychothérapie, permet une mutation psychique retrouvant une part de la fluidité psychique de départ ; les soins institutionnels, grâce à la richesse des échanges collectifs, permettent d’exploiter les apports de ces mutations.
Au total le soin essentiel se déploie sur les « liens » interrelationnels de la personne avec son entourage, que ce soit l’entourage artificiel des lieux de soin, ou surtout l’entourage de base normal que sont la famille, les voisins, des personnes des différentes institutions sociales (mairie, hôpital général, Sécu, travail, formation, écoles, espaces sociaux et médico-sociaux, ).
La création de l’esprit chez un tout jeune bébé n’est pas le produit des l’effet des gènes, mais le produit des interactions incessantes entre le bébé, son capital et son entourage, donc la multiplicité de ses actions et réactions devant la survenue des multiples faits de la vie quotidienne.
Des troubles se greffent chez certains à certains moments, c’est le travail sur les liens relationnels qui va permettre d’en modifier l’évolution.
La psychiatrie de secteur s’appuie donc sur la cohésion d’une équipe de secteur pour savoir réaliser la continuité de sa disponibilité d’attention et de soin. On comprend que ce n’est en rien un découpage de territoire, mais la qualité des liens entre les membres de l’équipe, qui va déterminer la qualité des soins, c’est aussi sa disponibilité dans la durée. Le travail minutieux qui attend les membres de l’équipe est de s’appuyer sur la confiance construite au départ pour peu à peu tisser des liens avec l’environnement relationnel de chaque patient.
De là se déduisent la préférence des soins à temps partiel aux soins à temps plein, leur localisation à proximité de leurs lieux de vie, et l’on privilégie l’appui constant des soins sur les personnes de leur entourage (alors que les hospitalisations multiples et durables isolent le patient de son milieu, détruisent ses liens).
Il est clair que parler de découpage géographique de population et de l’organisation d’articulation d’espaces de soin, c’est réduire tout le soin à une vision mécanique, éloignée des facteurs humains qui eux permettent de construire des liens humains et de travailler sur eux pour soigner. Le découpage est une conséquence de ce choix de s’appuyer sur une population, mais son existence n’entraine en aucune façon la création des attentions multiples qui permettent de créer des liens, de travailler sur leur évolution. Décider dans la foulée de privilégier des soins intersectoriels, comme les auteurs le préconisent, c’est à dire rassemblant plusieurs secteurs et donc faire des soins pour 200 à 400 mille habitants, correspond à une logique de gestion visant à faire des économies, mais s’éloigne de la logique de soin qui cherche à maintenir les dimensions humaines et la proximité des soins en se limitant à la population d’un secteur.
L’objectif de ces directeurs est de poursuivre la politique sécuritaire de Sarkozy en pensant que c’est aussi l’objectif de la société. Certes. Tout va dépendre des moyens employés.
D’un point de vue mécanique, inhumain, il faut selon eux multiplier les internements soit disant ‘préventifs’ et renforcer les dispositifs mécaniques de sécurité : les murs, les grilles, les ceintures de contention, les cellules, les surveillances. Toute disposition, pourtant ne respectant pas l’homme qui souffre et le traitant comme un délinquant qui voudrait cultiver sa maladie.
Ce n’est pas l’objectif de la psychiatrie de secteur, qui multipliant les liens entre le patient et son environnement, et cherchant à construire la qualité de ces liens, va constituer un tissu de plus en plus solide entre le patient et son environnement, multipliant la capacité de ce milieu à émettre des signaux pour consolider ses liens et faire connaître leur évolution.
C’est le contexte humain du bébé (mère, père, proches) qui va lui permettre de construire son esprit en s’appuyant sur son corps et ses capacités.
C’est le contexte humain du patient psychique qui va nous aider à construire les liens thérapeutiques nécessaires pour soigner. Ce sont les soins réalisés dans la continuité d’attention de l’équipe et sa disponibilité qui vont permettre au patient de reprendre pouvoir sur lui-même, et de devenir co-créateur de ses soins, et acteur de sa vie à part entière.
Ce qui compte c’est la formation des soignants.
Les directeurs ont là un rôle de protection des équipes et de leur qualité, cela les rend indispensables, au delà de leur fonction de gestion.
Mais ils ne sont absolument pas en situation de préciser les bases cliniques du soin psychique. Il est indispensable qu’ils les comprennent et qu’ils les soutiennent. C’est à partir de là qu’ils peuvent en déduire pour eux-mêmes les modalités de gestion qui vont protéger la bonne marche des soins, ils ne deviennent pas pour autant des soignants.
Ne doivent-ils pour cela faire confiance aux soignants ?
Il est temps de retrouver les liens entre administration et soignants qui respectent le rôle de chacun. Des deux côtés il s’agit de se mettre à portée de l’autre. Est-ce impossible ?
paris le 15 octobre 2012
Docteur Guy Baillon
Psychiatre des Hôpitaux