Billet de blog 9 juin 2013

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TIMBRES CLAIRS ET BÀSSO OSTINÀTO (*)

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 TIMBRES CLAIRS ET BÀSSO OSTINÀTO (*)

        (Miscellanées de morceaux bien rythmés)

( Extrait )

« Oui, je suis fier […] de savourer dans tout ce que j’entends et lis [d‘Epicure] le bonheur de l’après-midi de l’Antiquité. Je vois son œil contempler une vaste mer blanchâtre, par-dessus les rochers de la côte sur lesquels repose le soleil, pendant que des animaux petits et grands jouent dans sa lumière, sûrs et tranquilles comme cette lumière et cet œil lui-même. Seul un être continuellement souffrant a pu inventer un tel bonheur, le bonheur d’un œil face auquel la mer de l’existence s’est apaisée […] »

(F. NIETZSCHE – Le Gai Savoir)

« Enfant, […] lorsque je voyais partir une personne, […] je me disais qu’il était possible, et même probable, que je ne la revisse jamais. A cette pensée, je restais auprès d’elle pour la regarder, l’écouter, oetc., je la suivais des yeux, j’étais tout ouïe jusqu’à  ce qu’elle disparaisse […] »

(G. LEOPARDI – Zibaldone)

EN PLEIN COEUR DE LA NUIT

 J’ai été réveillée par le hurlement de ta voix si fortement rythmée – James Brown –, en plein cœur de la nuit. J’ai tout de même peiné à ouvrir les yeux, à soulever les paupières, lourdes de sommeil, et j’ai d’autant plus résisté à me lever, j’ai lutté contre, pour ne pas avoir à me poser, à m’asseoir, face à cet écran, lumineux dans le noir, et tenter de l’écrire, ton insoutenable voix. Mes persiennes étaient closes, barricadées, et, en gémissant, je me suis retournée bruyamment de l’autre côté, et j’ai soupiré dru, dans mon grand lit, tout à fait VIDE. Car je voulais encore et encore dormir –  dans la nuit, qui m’enlaçait.

Lorsque, tout à coup, le souvenir de ta voix rauque, chaude, quasi criarde, dans ses rythmes martelés, s’est mis à me poursuivre – oui, c’est bien ça, c’est parfaitement ça –, tout comme la vision renouvelée du frémissement quasi cellulaire de tout ton corps. Un frémissement gémissant, sonore, tandis que d’innombrables gouttelettes de sueur envahissaient ton front, tes joues, tout ton visage noir – si noir, sous tes cheveux, noirs eux aussi, et crépus –, et tout cela m’a happée. Black and proud, as-tu chanté, dans un rythme tout effréné, niché dans ta voix : si dramatiquement insaisissable, si imprenable, si inaccessible à de simples mots, à une parole assurément trop lente, pour véritablement pouvoir (savoir ?) t’escorter.

Or, ta voix n’étant plus que rythme frénétique, incandescent, rythme s’acharnant puissamment sur la vie, sur la totalité de l’existence (sur les vies, peut-être, par toi vécues ?), dans l’incessant, brûlant, martelant et noir – très noir, oui, comme la Panse de l’Enfer – tambourinement de ton chant, surgissant de tes ténébreuses entrailles. Oui, c’est bien ça. Mais plus encore.

Please, please, please ! Et ta jeunesse rebelle, se démenant – toute – sur les planches en bois de ce plateau, remuant de long en large, de gauche à droite, et de droite à gauche –, là où tes musiciens, t’accompagnant, te suivaient de leurs yeux, pour ne pas laisser tomber au sol, pour ne pas lâcher, ne fût-ce qu’une seule de tes notes : mieux, de tes sons ! Des sons profonds, s’étalant, rugissant, de ta gorge noire, qui t’emportaient, et qui ne se lassaient pas (jamais !) de nous emporter. Blank and proud ! JA !

Honneur à toi, Mr Brown ! À toi, qui – par ces prodigieux moyens techniques de notre ère, souvent si mal-aimés, si détestés, parfois si lourdement méprisés, car si mesquinement employés par ces faux  chasseurs de paroles, mais qui savent, peuvent (pourtant !) être si précieux, en leur réminiscence –, honneur à toi, quisurgis là : déchirant toutes Lumières, et  toutes Ténèbres, nous faisant face !

 À toi qui nous reviens, sur la scène, sur ces  écrans – après ton décès, après ta mort qui suivit ta disparition théâtrale –, et qui nous fais palpiter, encore et encore, nous amenant, nous colportant d’un seul trait – nous, les spectateurs silencieusement enchaînés à la vision (à la contemplation ?) de ton show –, en plein milieu du tourbillonnement de tes voix et cris. (Heureux, ou désespérés ?… On ne saurait pas dire.)

Merci. Un grand merci à vous ! Mr Brown. À vous, qui avez disparu dans la Nuit Noire, mais qui réapparaissez, au moyen de ces machines artificielles, et qui n’arrivent plus à étonner les hommes (trop insouciants, bien qu’étroitement enchaînés à elles), nous conduisant, nous menant, tout le long de la  remontée du Temps.

Et vous voici, James Brown, en chair et en os, et tout revêtu d’une éclatante Immortalité. Non ! Non ! Soyons plus humbles ! Pas d’Immortalité. Une simple approche – songeuse, et pourtant vive, rebelle même, sensuelle, existentielle – avec ce qui fut  (et qui n’est plus ?) Ce que notre sœur, la Mort – elle, certes, à jamais Immortelle –, tissant et tailladant sans cesse toutes choses, les emporte loin, très loin avec elle. Oh ! que oui ! Loin de nos yeux, loin de notre ouïe, loin de nos mains, loin de ces paumes moites, à jamais applaudissant. Jusqu’au délire. Jusqu’au revirement. (Heureux ou désastreux, te demandons-nous ?)

(*) à Patrice Bertin & Jérôme Badini de « On ne badine pas avec le jazz »,

cet extrait d’un texte que j’avais envoyé à Kostas Axelos le 4 juin 2009,

après l’avoir entendu (presque par hasard)  parler sur France Culture.

Et il m’avait répondu un très concis billet, où il m’appelait « amie ».

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