Le festival Jazz in Marciac s'achève la semaine prochaine. On laissera les érudits signaler les confirmations et révélations musicales (on peut d'ailleurs revoir quelques concerts sur le site d'Arte) pour s'arrêter sur d'autres voix. Et plus précisément sur un documentaire Les voix de ma sœur, diffusé en salle le 1er août à Marciac, dans le cadre du festival.

Cette programmation est à l'initiative du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire (mouvement rassemblant depuis 2008 des professionnels de la psychiatrie, des usagers et leurs familles luttant pour «plus d'humanité» dans la psychiatrie), collectif lui-même accueilli depuis trois ans à Marciac par la Ligue de l'enseignement du Gers.
Les voix de ma sœur pourrait se résumer à un documentaire sur la schizophrénie. Cécile Philippin, la réalisatrice, filme sa sœur Irène, 41 ans, mais aussi ses deux autres sœurs, leur mère et une voisine d'Irène (plus quelques professionnels de la psychiatrie), toutes parlant de la maladie d'Irène et des liens qui se tissent autour.
Mais parce que ces 50 mn ne sont pas seulement signées Cécile Philippin et qu'il est d'emblée précisé «avec la collaboration d'Irène Philippin», la démarche est toute autre. Irène parle de sa pathologie ; raconte ses voix («il y a les voix extérieures et les voix intérieures» dont les injonctions ne sont pas du même registre) ; donne à sentir le moment où elles viennent à la rescousse d'un être excessivement vulnérable qui en sera ensuite un temps prisonnier ; explique l'effet des médicaments ; se souvient des années de stabilité où elle pu apprendre avec un immense plaisir la musique, où elle a pu travailler, vivre dans son appartement, être en société ; et revient sur sa dernière longue hospitalisation, peu après le décès de son père. L'hôpital, tantôt lieu d'internement sous contrainte, tantôt lieu de refuge volontaire. Irène parle aussi d'une tentative de suicide et de toutes les petites victoires au quotidien sur la maladie.
Irène parle, Irène choisit de dire. Et on l'écoute.
Les voix de ma sœur entendait au départ «déstigmatiser les personnes souffrant de troubles psychiques». Au final, c'est bien plus que cela. Car Irène n'est pas un cas sur lequel on se pencherait comme des mandarins hospitaliers. Sans doute parce que Cécile Philippin a produit seule ce film, a pris le temps de le faire au rythme et dans la forme qui convenait à sa sœur (dont au début n'apparaissent que les pieds et les mains avant qu'elle accepte de parler face caméra), a associé Irène au montage, ce film (premier Prix du Festival international du film de santé de Liège et Clé d'argent du Festival international ciné-vidéo-psy de Lorquin) est davantage un journal intime qu'un documentaire.
Et ce journal à quatre mains permet à chacun d'apprivoiser la maladie d'Irène.
Parce qu'on écoute Irène, elle parle. Et les autres parlent à leur tour. La mère se souvient de «l'épouvante des premières crises», les sœurs de leur grande difficulté à accepter la réalité de la maladie. « Dans les familles, quand un proche perd la raison, c’est un peu toute la famille qui part en vrille, raconte en voix off Cécile Philippin. D’abord on se sent coupable, c’est une constante bizarre...»
Irène le sait, et Irène est là, dans toute sa douceur, pour s'enquérir de l'angoisse qu'elle pourrait provoquer chez ses sœurs. Irène et son rire franc, quand elle tente d'expliquer à sa voisine les raisons d'un comportement bizarre. Irène et ses sourires quand elle reprend confiance auprès du personnel médical dont elle apprécie toute «la bonne volonté».

Irène Philippin ne peut pas affronter les salles obscures emplies d'anonymes. Elle a donc confié à sa sœur Cécile, une lettre à lire à l'issue des projections: «tout le film repose sur la parole, écrit Irène. La parole permet d’exister, elle brise les tabous, les craintes, elle déstigmatise, elle crée des liens, c’est grâce à elle que les choses peuvent progresser. Mais cette parole doit circuler à l’intérieur d’une alliance solide entre famille, soignants et malade ! L’alliance, c’est le cheval de bataille du film.
Je sais aussi qu’il est très important que vous puissiez vous retrouver entre vous, familles d’un côté, soignants de l’autre, pour réfléchir et vous entraider. Mais s’il vous plait ! Ne mettez pas vos proches malades à l’écart. Ne vous découragez pas, faites en sorte qu’ils ne soient pas toujours un « problème », mais plutôt une personne, qui a besoin du soutien de ce que j’appellerais ses « partenaires » à savoir vous, la famille et les soignants. Le malade, il faut le responsabiliser, l’aider à se dire, à se mettre en parole pour ne pas être celui à qui l’on ne demande rien et que finalement sans le savoir, l’on rejette…» Que dire d'autre ?
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