Observations du CRPA sur le projet de recommandation de la HAS sur l’isolement et la contention en psychiatrie générale.
Paris, le 10 janvier 2017.
1. Position de principe.
Nous avons exposé succinctement notre point de vue dans nos revendications sur le champ de la contrainte psychiatrique rendues publiques le 20 avril 2012 lors d’une conférence de presse inter-organisations à propos de la décision n°2012-235 du Conseil constitutionnel du même jour sur la base d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par notre association, censurant des dispositions de la loi du 5 juillet 2011 sur les soins psychiatriques.
Notre position, s’agissant de la problématique de l’isolement – contention, était la suivante :
Nous sommes pour l’interdiction de la contention des patients en psychiatrie.
Nous sommes par ailleurs pour que les mesures de mise à l’isolement prêtent lieu à une décision administrative opposable. Ce qui implique que de telles décisions soient formalisées et soient notifiées aux personnes concernées avec une due indication des voies et délais de recours contre ces mêmes mesures.
2. Position pragmatique compte tenu de l’état de fait.
Dans les faits, compte tenu de la généralisation, depuis une dizaine d’années de la pratique combinée de la mise à l’isolement avec contention, nous nous sommes prononcés pour que ces décisions revêtent la forme d’une décision administrative qui soit opposable, et qui prête lieu à une notification à la personne concernée, avec une indication écrite de ses droits et voies de recours.
3. A propos de l’état de fait actuellement prévalent au regard d’un état du droit.
Actuellement, une ordonnance de la Cour d’appel de Versailles, R.G. n° 16/07393, du 24 octobre 2016, devenue définitive faute de pourvoi en cassation de la Préfecture des Hauts-de-Seine, peut servir de guide jurisprudentiel, en ce qu’elle déclare compétente à connaître de la contestation d’une mise à l’isolement long cours, le juge judiciaire – en l’espèce le juge des libertés et de la détention – au titre de l’article 66 de la Constitution qui fait du juge judiciaire le garant des libertés individuelles.
En l’occurrence le président délégué de la Cour d’appel de Versailles a donné mainlevée de la mesure de soins sur décision du représentant de l’Etat au cours de laquelle s’était exercée la mise à l’isolement de l’intéressé au motif que la Préfecture, comme d’ailleurs l’établissement psychiatrique concerné, ne rapportaient pas la preuve que la mise à l’isolement sur plusieurs mois du patient avait été effectuée conformément aux prescriptions du nouvel article L 3222-5-1 du code de la santé publique, introduit par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé. Cet article a introduit une traçabilité de ces pratiques, ainsi que le fait que celles-ci ne puissent avoir cours qu’en dernier recours, sur une « décision » d’un psychiatre de l’établissement (une telle « décision » d’un psychiatre hospitalier nous semble d’ailleurs entraîner en droit l’existence d’une décision implicite du directeur de l’établissement).
Certes il ne s'agit que d'une décision d'une cour d'appel, mais elle vient confirmer une orientation de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Or, l'état du droit français sur de telles questions reste en-deçà des standards internationaux et en particulier de ceux de la Cour européenne des droits de l’homme.
S’agissant du projet de recommandation de votre Haute autorité, et sauf meilleure lecture, il n'apparaît pas, selon nous, que ces recommandations, en l’état actuel de la rédaction de ce projet, tirent les conséquences de l'arrêt n°75450/12, M. S. C/ Croatie du 19 février 2015, pris par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de l’article 3 de la Convention (traitement inhumains et dégradants). Certes cette décision n'est à ce jour disponible qu’en anglais, mais on doit néanmoins considérer que la Croatie a bel et bien fait l'objet d'une condamnation au regard du placement à l'isolement pendant 15 heures d'une personne hospitalisée, au motif que celle-ci n’a pas pu bénéficier de garanties procédurales suffisantes.
Ces garanties étant ici entendues comme des possibilités effectives et efficaces, pour la personne placée en isolement (a fortiori si elle est également placée sous contention), qui lui permettent de contester une telle mesure. Cela implique nécessairement que les personnes placées sous de telles mesures doivent se voir ouvrir des voies de recours juridictionnelles ainsi que l’assistance d’un avocat.
Dans le cadre actuel de la législation applicable en France, le seul contrôle procédural systématique est celui du juge des libertés et de la détention à 12 jours puis à 6 mois. Il n'apporte à cet égard pas les garanties procédurales suffisantes pour prévenir du risque d'arbitraire de ce type de mesures utilisées de façon très inégale en France.
4. Propositions.
Afin de garantir la France contre des condamnations à répétition pour traitements inhumains et dégradants, il serait a minima opportun que, par voie législative ou réglementaire, le juge des libertés et de la détention soit rendu compétent pour statuer sur des contestations de mise à l’isolement – contention lors du contrôle de plein droit des mesures d’hospitalisation sans consentement à temps complet, mais aussi à l’occasion de saisines facultatives en-dehors des contrôles obligatoires.
Il serait également opportun que soit institué, par voie législative, qu’au-delà d’une certaine durée de mise à l’isolement – contention en continu (par exemple 5 jours), il y ait un contrôle juridictionnel obligatoire opéré par un juge des libertés et de la détention, avec assistance obligatoire de la personne isolée avec ou sans contention, par un avocat ou par une personne de confiance. Cela correspondrait à une judiciarisation de la poursuite d’une mise à l’isolement – contention au-delà d’une durée de 5 jours.
Dans l’attente d’une telle régularisation de la situation des institutions psychiatriques françaises au regard des normes de la Cour européenne des droits de l’homme sur ce sujet, votre Haute Autorité peut instituer, dans le cadre de la recommandation ici discutée que toute mise à l’isolement avec ou sans contention devant durer plus de quelques heures, prête lieu à une notification écrite à la personne concernée de cette décision, en tant que décision administrative écrite et motivée, avec indication de ses droits et voies de recours, accompagnée d’une information délivrée à la personne de confiance désignée par l’intéressé de sorte que cette personne de confiance puisse servir de porte-parole au patient concerné, et s’il y a lieu, organiser sa défense.
5. Sur la formation des personnels des services hospitaliers psychiatriques.
Tout d’abord se pose une question de terminologie. Il serait plus adéquat de parler de « désamorçage » d’une situation clinique critique, plutôt que de « désescalade », ce dernier terme renvoyant de façon ennuyeuse aux problématiques liées au terrorisme, ce qui ne correspond pas, en général, aux situations en unités psychiatriques.
Assurer dans les unités de soins en milieu fermé un nombre suffisant de personnels serait hautement nécessaire afin de limiter le recours aux pratiques d’isolement – contention. Cela suppose de recruter des personnels en nombre suffisant, mais aussi de former les personnels de l’ensemble de la chaîne hiérarchique d’une structure psychiatrique à une approche humaniste et relationnelle des patients, et non – ainsi que tel est le cas très massivement actuellement – de continuer dans le sens d’une gestion routinière et bureaucratique, dans le cadre d’une conception purement symptomatologique et neurobiologique des troubles mentaux.
En effet, le recours fréquent à l'isolement témoigne souvent de la difficulté d'un patient à rompre l'isolement entre lui et l'équipe soignante. Une équipe qui s’isole des patients les isole plus facilement. On ne voit que trop des personnels des unités psychiatriques claquemurés dans le bureau infirmier, rejetant tout contact avec les patients, et en cas de demandes réitérées de certains patients, placer ceux-ci en chambre d’isolement avec contention, afin de se débarrasser d’eux et de leurs demandes. De telles conduites devraient être strictement interdites et être passibles d’un envoi en comparution du personnel concerné devant le conseil de discipline de l’établissement.
Il serait idéal de favoriser dans la pratique quotidienne des équipes qui interviennent dans les unités hospitalières psychiatriques, des entretiens infirmiers anxiolytiques. Il s’agirait ainsi de former les soignants en psychiatrie à la contenance relationnelle, et à favoriser les espaces partagés entre patients et soignants, par exemple les réunions soignants – soignés, pour évoquer et reprendre les faits marquants. Il ne suffit pas de reprendre uniquement avec le patient, il faut également travailler l'ambiance générale du lieu de soin pour qu'elle soit accueillante et non hostile.
6. Sur les recommandations elles-mêmes.
Une protocolisation importante de la mise en isolement – contention telle que le projet de recommandation de votre Haute Autorité l’a développée, n’appelle pas d’observations spéciales de notre part, sauf les observations générales qui précèdent. En effet selon nous la moindre des choses est que les pratiques d’isolement – contention soient fortement encadrées et protocolisées.
Les auteurs de ces observations sont : Me Raphaël Mayet, avocat au Barreau de Versailles, le Dr Mathieu Bellahsen psychiatre des hôpitaux, et André Bitton, président du CRPA.
Ces observations sont publiées sur le site internet du CRPA à l'adresse suivante : http://psychiatrie.crpa.asso.fr/598
La prochaine réunion du groupe de travail formé sur ce projet de recommandation est prévu pour le 19 janvier prochain, la publication de cette recommandation étant prévue pour le mois de mars 2017.
Je vous signale que selon un arrêt du Conseil d'Etat du 27 avril 2011 les recommandations de la HAS sont opposables en tant que textes à valeur réglementaire.
CRPA - Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie [1]
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 | Ref. n° : W751208044
Président : André Bitton.
14, rue des Tapisseries, 75017, Paris | Site internet : http://crpa.asso.fr
[1] Le CRPA est agréé pour représenter les usagers du système de santé en Île-de-France, par arrêté n°16-1096 de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France du 6 septembre 2016. Le CRPA est également partenaire de l’Ordre des avocats du Barreau de Versailles (Yvelines) sur la question de l’hospitalisation psychiatrique sans consentement, et est adhérent au Réseau européen des usagers et survivants de la psychiatrie (ENUSP – REUSP).