Billet de blog 11 mai 2011

guy Baillon

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Contre la loi stigmatisant la psychiatrie, choisissons l'alliance, avec « tous » les citoyens !

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Docteur Guy Baillon

Psychiatre des Hôpitaux Paris le 10 mai 2011

Contre la loi stigmatisant la psychiatrie, choisissons l'alliance, avec « tous » les citoyens !

Ne nous voilons pas la face. Cette loi est une campagne de « stigmatisation » de grande envergure ! Une loi raciste ! Marquant leurs noms du sceau du danger et de la peur. Elle va flétrir des vies entières en désignant les personnes par le comportement d’un jour.

Vous doutez ? Nous avons appris que ces jours-ci, avant même que la loi ne soit votée, dans plusieurs hôpitaux les chefs de service ont reçu de leur Préfet la demande d’organiser une salle permettant les « vidéoconférences » avec les juges ! Et pire plusieurs CMP ont reçu de leur Commissaire de police la demande de dresser la liste des schizophrènes soignés.

« La liste ». Certains psychiatres l’ont déjà donnée ! Les bons élèves.

Contrairement à ce qu’a affirmé hier à France Culture la Secrétaire à la santé Nora Berra face à Hervé Bokobza qu’elle taxait de « théologien » parce qu’il osait montrer le lien de la loi avec le discours à la TV le 12-2-2008 du Président, la loi est bien en continuité directe avec ce discours (mais cela fait mal de le rappeler), celui-ci préparant le terrain, puisqu’il en profitait pour disqualifier et flétrir toute la profession psychiatrique et ses 50 ans d’amélioration.

Hier matin, une tristesse infinie m’envahissait en constatant que nos élus dans leur loi avaient abandonné l’humain, tristesse de les voir craindre l’homme en détresse psychique alors qu’il est vulnérable, de les voir le contraindre alors qu’il n’attend dans sa vulnérabilité rien d’autre que l’amour, de les voir comme cette Secrétaire ne rien comprendre à la psychiatrie.

Par exemple celle-ci s’enorgueillit de dire que cette loi était moderne puisqu’elle « innovait » en « remplaçant » l’internement par l’obligation de soin : mais elle ne sait pas lire : l’internement est bien conservé et on « ajoute » l’obligation de soin, sinon comment obliger ?

Quand au domicile est-ce un progrès que de transformer les familles en « surveillants, gardiens, faisant avaler de force des pilules » ? Alors que le rôle formidable de chaque famille c’est d’aimer, pour le meilleur et pour le pire !

Alors abordons de face « ce danger », et son lien avec le crime qui fait si peur.

Mais nous l’avons tous décrit : le malade psychique n’est pas dangereux, il est vulnérable, il n’est pas plus criminel que les autres, mais il est beaucoup plus souvent victime de délits. Il a en fait besoin de parole, d’écoute, et il a très peur de la contrainte.

En face la nouvelle loi, clamait la Secrétaire, veut protéger le malade en multipliant ses droits à des recours.

Elle n’a donc pas écouté JM Delarue, contrôleur des lieux de privation de liberté qui a totalement démystifié cette éventualité en décrivant ce qui se passe dès aujourd’hui avec la loi de 1990 : le malade n’utilise jamais ces recours, car il ne demande rien et ne se défend pas. Les familles le savent très bien. Le redoublement de ces recours dans la loi est inutile et vain.

Continuons un instant la réflexion « clinique » sur ce point. Nous soignants, nous dénonçons la ruse dévastatrice de cette loi, au point qu’aucun texte complémentaire ne pourra l’améliorer (contrairement à ce qui est soutenu par certains) ; elle ne vise et ne concerne qu’un aspect limité et transitoire des troubles psychiques et leur donne un poids inconsidéré ; cette loi abuse ainsi du peuple : elle ne concerne que les moments du « déni », ces moments précis où la personne, saisie par sa crainte d’un monde hostile, crée son « délire » tout en pensant que tout le monde pense comme elle, elle ne se juge pas malade, -en toute bonne foi-. Dans ce moment de déni elle a besoin d’écoute, pour accéder à notre monde à nous, elle n’a pas besoin qu’on la terrasse comme un animal dangereux. Les troubles psychiques ne sont pas que ces moments-là ; ils sont précédés de troubles plus modestes, ils varient toute le vie.

Finissons-en avec cette stigmatisation ! sachons accueillir ces personnes vulnérables à tout moment, et le plus possible avant ces moments aigus, pour leur proposer écoute, soins, et appui social, ceci dans un climat ouvert, « libre ». Les patients témoignent.

Alors ma tristesse ce jour ? Oui. Une dépression ? Non ! certes pas.

Regardez cette revue que m’a donnée un jour Hélène Chaigneau : le N° 1 de l’Information Psychiatrique107 pages dressant le bilan de la France et de la psychiatrie en 1947. Tous les psychiatres s’étaient réunis en mars 1945, les auteurs Daumezon et Bonnafé évoquaient leurs débats travaillant les réformes qu’il fallait appliquer au lendemain de la guerre. Rappelez-vous que c’était avant les neuroleptiques (1952), avant la psychanalyse appliquée aux psychoses (1951), avant la psychothérapie institutionnelle (1952). Préparant la naissance de la psychiatrie de secteur (1960) ils dénonçaient l’organisation asilaire de la psychiatrie et donnaient le titre suivant à leur dernier chapitre (qui sera souvent repris, en particulier lors du Livre Blanc de la Psychiatrie de 1955) : « L’internement, cette conduite primitive » ! et ils invitaient la société dans son ensemble à accueillir simplement les malades, faisant appel à tous les citoyens. Déjà ils affirmaient que l’on pouvait soigner sans interner.

Que disent de cela, affirmé avant toutes nos découvertes et avec si peu de moyens, ceux de nos collègues qui ne jurent que par les médicaments, par les chambres d’isolement et se disent sans moyens ? Les élus, les familles les croient, même certains usagers : en fait en psychiatrie, plus on a de moyens, plus on a de techniques, plus on se spécialise, plus on démissionne de notre humanité, et plus on est paresseux. La loi de 1990 a rendu les internements plus faciles, de ce fait on les utilise de plus en plus depuis ; avec la nouvelle il n’y aura plus de limites.

Voilà pour le danger, mais le crime ?

Je vous invite à lire ce petit livre de JB Pontalis « Un jour, Le crime » paru ce mois-ci chez Gallimard. Voici un grand psychanalyste qui a permis par ses travaux de rendre accessible les œuvres de Freud tout au long de sa vie, dans un langage clair, une écriture parfaite. Ici vers la fin de sa vie (il est aussi entre autre amateur de bons vins, et de la beauté de l’harmonie) il nous livre son obsession, depuis toujours, sur ce fait incroyable, les crimes : Un crime ! Pourquoi ? Son sens ? Folie ? ou pas ? ou quoi ? Alors pour nous aussi il passe en revue ces crimes, ceux qu’il a connus, dont il a entendu parler, qui ont fait grand bruit, ceux qui sont passés inaperçus, ceux dont on n’ose parler, telle cette réunion dans un bel immeuble de la banlieue de Berlin le 20 janvier 1942 : autour d’une grande table 15 hauts dignitaires sous la houlette d’Heydrich veulent appliquer une demande de Göring : il faut en finir avec ce désordre qui fait tâche, l’existence des juifs. Ces 15 hommes vont décider de la solution finale, dans le calme, sans débats, avec deux soucis forts : faire que tout le peuple soit acteur ; et qu’aucune trace ne soit laissée de cette décision et de cette réunion. Puis d’autres crimes.

Il continue à passer en revue, fouille dans les archives des maisons d’édition et journaux spécialisés, mais il ne trouve rien, pas d’explication, simplement partout la fascination.

Il conclut ainsi : « Au commencement était l’acte. L’acte était la mise à mort. Ce commencement est sans fin »

A notre tour, à cette lecture, nous comprenons qu’il n’y a donc aucune explication au crime. On comprend aussi que celui qui passe à l’acte se sent soulagé peut-être d’une tension. Il y a autre chose : on constate que cet acte fascine le lecteur de tels faits, qui se voit jouer deux rôles : être criminel, et ne pas l’être en observant. D’où l’impact de certains médias.

Nous voyons en fait que l’acte vient en lieu et place de la parole, de la pensée. L’acte « court-circuite » la pensée.

« Un jour, un crime » ?

Au fait, ce titre ne vous rappelle rien ?

Un crime, une loi ! Vous avez remarqué ?

Nous sommes en pays connu.

Et brusquement on se dit que ce petit livre, après avoir lui aussi disculpé la folie, met en cause le « pouvoir ». Le pouvoir n’est-il pas le royaume du passage à l’acte ?

Et alors nous constatons que nous avons actuellement en France un champion du passage à l’acte, que dis-je un futur médaillé olympique « du tir à l’acte » !

Un évènement survient dans ce grand pays ? Une décision sera prise aussitôt ! On comprend la double jouissance du tireur à l’acte : il passe à l’acte, et ses Chambres enregistrent l’acte. Le Parlement en effet lui aussi est soulagé : il n’a plus besoin de penser.

Cela nous interroge sur la nature de la démocratie. Ne pouvons-nous affirmer que la démocratie ne saurait être le royaume du passage à l’acte, où la pensée s’éteint ? La démocratie est le pays où règne la parole, ce pays où l’on peut penser, et où l’on parle ; certes on apprend qu’il faudra mettre des limites, mais pas au point d’interdire la parole.

L’acte permet au roi d’agir à la place des autres, ces autres qui sont contents, car ils n’ont plus rien à faire, surtout pas à penser.

Difficile l’exercice du Pouvoir ! Futurs candidats réfléchissez, avant, pour notre bien !

Quel est donc l’avenir de la psychiatrie maintenant que cette loi fainéante et stigmatisante est votée ? Même si comme nous le pensons elle ne peut être appliquée, elle va empoisonner la vie de tous et augmenter les souffrances des patients, qui comme pour les médicaments condamnés, vont fuir la psychiatrie, jusqu’au dernier moment, par manque de « confiance », comme a dit ce soir Hervé Bokobza, soulignant que c’était le pire.

Ne faut-il faut donc dans l’année qui vient tenir rencontres et réunions sans fin pour effacer cette double flétrissure de la folie et de la psychiatrie, et obtenir des futurs élus l’abrogation de cette loi inhumaine et préparer l’avenir en rassemblant ces débats ?

Affirmons ici que les psychiatres et les équipes soignantes de secteur ne sont plus seuls à le préparer : depuis 2000 nous avons fait des découvertes grâce aux « usagers » et aux « familles » ; nous avons compris que personne ne connait tous les besoins des patients, et que personne ne connait toutes les réponses. Il faut être ensemble. Nous avons découvert que les acteurs sont très nombreux, et qu’un seul est inefficace, ou fait des erreurs (nous l’avons constaté, hélas, avec l’UNAFAM qui voulant rompre avec les usagers et la FNAPSY en janvier a accouché d’un triste « plan psychique » voulant mettre les familles dans un rôle de grand superviseur, en lieu et place d’aimer).

Les besoins des patients-usagers sont à la fois du côté du soin et du côté du social.

La folie, nous le savons, est la tentative d’une personne de se sauver seule, de rompre, et de croire pouvoir faire ce chemin seule, à distance de la réalité des autres.

Notre repère en 2011 est clair, c’est « L’ALLIANCE », l’alliance forte entre tous les acteurs, et autour de deux axes inséparables : -la parole, et -le lien social.

Une ALLIANCE entre : -les usagers-patients, la FNAPSY, -les familles (l’UNAFAM lorsqu’elle aura fini son chemin solitaire, jusque là elle a perdu sa légitimité), -les professionnels de la psychiatrie, mais tous, car sachons qu’aujourd’hui ils sont trop divisés, publics, privés et professeurs, et associant tous les traitements psychothérapie, chimio, institutions, ceux-ci tous encadrés par la parole, la psychothérapie, -les professionnels du champ social, si attentifs à ce qui construit le groupe, la citoyenneté, -les associations 1901, écoles de démocratie, -les élus, faisant lien entre la Cité et l’Etat avec le Conseil de secteur et de santé mentale de proximité.

Nous savons que la construction d’une telle « alliance » collective rend inutile la loi, comme Daumezon et Bonnafé, nos anciens, l’affirmaient dès 1947.

La construction de cette alliance permet de mieux comprendre la folie et de lui redonner sa place, son inspiration créatrice..

Ce constat pour conclure : la folie adresse un message fort à nos sociétés du passage à l’acte :

Le but de la société n’est pas la recherche de la seule réussite individuelle pour chacun. C’est à la fois la reconnaissance de l’importance d’une place accordée à chacun, et en même temps la construction d’une vraie solidarité et d’une vraie fraternité avec eux, entre tous. C’était déjà le message de 1947 et celui du secteur. Ce message justifie l’alliance et l’espoir. N’est-ce pas la grandeur de la folie que de nous y inviter ?

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