Docteur Guy Baillon
Psychiatre des Hôpitaux
Paris le 12 mars 2011
Monsieur le Président, notre Parlement peut-il ignorer que l’obligation de soin en psychiatrie est ‘inconstitutionnelle’ ?Elle est inhumaine.
En contraste ne pensez-vous pas que la leçon de JC Ameisen, suivie au cours des trois volets de ce triptyque, peut nous aider à retrouver le chemin de l’humain jusque dans la psychiatrie ?
Notre vie psychique, nous l’avons vu, a bien sûr besoin du corps. C’est à partir de lui que s’épanouit notre esprit, et c’est notre vie psychique qui crée « l’humain ».
Cependant le corps seul réduit notre fonctionnement à des ‘automatismes’. A partir des ‘émotions’, qui sont à la jonction du corps et de l’esprit, notre vie affective se développe, utilisant toutes nos capacités psychiques. C’est à partir de là que l’homme effectue ses « choix » sur lesquels nous construisons nous-mêmes notre vie.
Notre émerveillement sur les capacités de notre corps, de nos organes, de nos sens, sur la synthèse menée par notre cerveau, va se poursuivre grâce à des talents comme celui de JC Ameisen. Cependant, comme lui-même le souligne le mystère de la naissance de l’esprit, à l’origine de l’espèce humaine, comme pour chacun d’entre nous, reste entier, comme celui qui entoure l’idée de Dieu, ou la notion de ‘mal’ (même si nous en voyons aujourd’hui encore se déployer les expressions les plus cruelles).
Les recherches menées sur le corps par toutes les sciences fondamentales, comme celles menées sur la vie psychique, telle que le fait la psychanalyse, nous aident, elles-mêmes, et par leurs convergences aussi, à devenir plus conscients et à épanouir les potentialités de l’homme (comme les découvertes sur le monde provoquent notre souci fondamental à l’égard de notre environnement : terre, mer, ciel).
Ainsi j’ai pris le risque, dans les textes précédents, de rapprocher les lésions de nos sens précisées par JCA (vision, audition) des troubles graves de notre vie psychique, pensant que la vision binoculaire et l’audition avec nos deux oreilles (créant la perception en 3 D et le relief sonore) nous permettraient de réfléchir autrement sur notre fonctionnement psychique (la partition que nous notons chez une personne créant un délire, existe déjà chez chacun de nous dans notre esprit, entre part consciente et part inconsciente).
Nous avons constaté grâce aux données des découvertes récentes (depuis 15 ans) que les capacités de notre plasticité cérébrale (lors d’une lésion d’un œil ou d’une oreille, des circuits neuronaux non utilisés sont investis et recréent des connexions), ou nos liens ‘émotions-mémoire’ rappelés au secours, viennent surmonter les conséquences de nos lésions, ainsi notre cerveau récupère la perception du relief visuel ou sonore.
Qu’en est-il sur le plan de notre vie psychique ? Un délire survenant chez une personne va transformer sa partition habituelle en part saine et part troublée s’ignorant totalement l’une l’autre ; ceci bloque gravement sa vie qotidienne. Il n’y a pas, semble-t-il à ce jour, notion d’une plasticité cérébrale pour y pallier. De ce fait la personne sans soin va être de plus en plus envahie par son délire, et s’isoler dans un retrait psychique et social, bientôt dramatique. Les médicaments utilisés seuls diminuent angoisse, dépression, agitation, retrait, mais simultanément diminuent aussi la rapidité de nos associations d’idées, de ce fait altèrent nos capacités créatrices quotidiennes, sans pour autant modifier le délire. Les thérapies comportementales et cognitives utilisées seules, en facilitant certains actes de la vie par des apprentissages, vont plaquer sur notre fonctionnement des attitudes nouvelles qui en réalité sont extérieures à nous, car ne sont pas nées du désir de la personne, elles nous transforment trop facilement en automates.
Ne pouvons-nous faire l’hypothèse que la psychothérapie puisse par contre jouer sur le plan de la vie psychique le rôle que joue pour le cerveau la plasticité cérébrale pour recréer le lien entre les deux yeux, les deux oreilles, ou recréer leur souvenir ? La psychothérapie établit une fonction de ‘tiers’ ou de ’médiation’ entre les deux parts de notre personnalité en créant des ‘passages’ progressifs entre elles.
Ainsi réapparaissent peu à peu nos potentialités de choisir, d’aimer librement, potentialités bloquées antérieurement. La médiation psychothérapique entraine un changement psychique interne qui peut paraitre être une analogie avec la plasticité cérébrale, à ceci près que là ce n’est pas le cerveau qui commande, ni le médiateur, mais le désir seul de la personne même. L’amour, l’affect, la capacité de choisir retrouvés, permettent à l’humain de s’épanouir.
Ainsi un traitement ‘obligatoire’ n’a aucun espoir de guérir la vie psychique d’un homme.
La contrainte, l’obligatoire nient l’humain.Une loi obligeant à se soigner est ‘anticonstitutionnelle’ !
Monsieur le Président, comme ce fut le cas avant vous pour la peine de mort, ne pensez-vous pas que vous avez avec le procès intenté à la folie, la pleine capacité de faire advenir l'humain dans la Constitution française ?