CHER CHRISTOPHE BOURSEILLER…
At the age of five, he /Michelangeli/ took part in the annual concert together with other pupils from the school. He wore a short skirt, the way children used to do by that time. When he appeared on the stage, he stood up motionless in front of the piano stool for a few seconds, then, without saying a word, he went back behind the scenes. Everybody thought he was afraid, and they pushed him back on the stage. But young Arturo retired a second, then a third more time, without speaking, until someone eventually understood that he just needed some help to raise up on the stool, still too high for him. Then, he began to play quietly, perfectly at his own ease.
(Ch. L. D.)
In 1968, after the record firm BDM, where Arturo Benedetti Michelangeli was a partner, went bankrupt, the Italian authorities sequestrated two of his pianos. He never forgave Italy for such an outrage. Even if he never changed his official place of residence as Bolzano, he left Italy in a voluntary exile /…/
(Ch. L. D.)
Cher Christophe Bourseiller,
merci de nous avoir rappelé, ce matin, que – aujourd’hui, le 12 juin – c’est le jour de la récurrence de la mort de Arturo Benedetti Michelangeli, dont vous avez fait écouter l’interprétation de cette Ballade de Chopin. (Je ne saurais plus dire laquelle, mais dont je connais par cœur, chaque note, chaque silence.)
Ces quelques lignes pour vous dire, Christophe Bourseiller, que Arturo Benedetti Michelangeli – à mes yeux, tout au moins – n’était pas, comme vous l’avez dit, et comme l’on dit souvent : « austère ». Il était tout simplement un véritable « italien ». L’un de ces italiens, qui vivent, ou qui ont vécu, parmi ces millions et millions d’êtres applaudissant hystériquement la puissance d’un Berlusconi, ou d’un Mussolini. L’un de ces italiens qui n’aspirent qu’à une majeure dignité, à une majeure éthique, dans leur, parfois tacite, désespoir.
Quand j’étais encore en Italie, je n’ai assisté à aucun concert de Michelangeli, mais il était (aussi par son admirable stature éthique) mon pianiste préféré, surtout ( : pour ce moi, d’alors), dans ses interprétations de Chopin.
Je l’admirais également pour ce qu’il disait, à propos du « port », pour ainsi dire, des musiciens, du « port » du pianiste , face à son piano. Car, là, il (le pianiste) – à ses dires d’alors – devait garder toute sa dignité, tout son aplomb. Non ! non pas une sorte de « rigidité », mais une droiture même dans le maintien de son propre corps.
Or, Arturo Benedetti Michelangeli, était admiré et si aimé par moi, aussi par ce qu’il n’oublia pas, dans le passage du Temps, de réaliser, de mettre en acte, l’un de ses plus beaux songes. Lorsqu’il réunit, et créa, dans une maison de campagne ( : dans la si belle Toscane ?) ce « rassemblement » de jeunes musiciens doués ( : n’ayant pas beaucoup de moyens ?) auxquels, au cours des nuits d’été, il leur lisait des poèmes et de pages philosophiques de Giacomo Leopardi.
Et je n’éprouve plus honte aucune, désormais, à avouer, l’avoir appelé, pour ainsi dire, auprès de moi, dans mon propre appartement. – Si chaotique, à ces moments, et où je ne cessais de m’entourer d’êtres amis, aimés et hautement estimés : morts ou vivants, qu’ils fussent ! En d’autres mots : à ces moments où je m’éloignai du soi–disant réel. Le réel du quotidien ? De notre quotidien ?
De ce même quotidien, dont l’éloignement – pour vivre une vie, une existence, où la vie et l’arte, se réunissant, s’entrelaçant indissociablement entre elles – ne créérait et ne pourrait créer, aux dires de Christian Boltanski, que la folie :
« Ne pas faire la différence entre l’art et la vie quotidienne, ça mène à la folie. » Cela «même » ajoute–t–il « si cet écart /entre la vie et l’art/ est réduit. »
Je crus, alors, qu’il, Michelangeli, était, demeurait en Enfer, et qu’il était remonté sur la Terre, pour me visiter. Et j’en fus éblouie. Et j’aurais voulu qu’il y demeure, sur la Terre – avec nous tous. Avec tous ces morts que, moi, (de par le rayonnement périlleux que mon nom de famille paraissait m’indiquer?) je crus avoir, de par mon labeur, « ressuscités ».
Mais – à ma requête ardente, et à mon grand… désespoir – Michelangeli me répondit ne pas vouloir demeurer sur Terre. Puisque cela, l’exister sur cette planète, l’aurait trop désespéré.
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