Billet de blog 12 juillet 2023

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Vous avez dit désinstitutionalisation

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Désinstitutionalisation semble devenir le maitre mot de la politique française du handicap.

Il est repris couramment par le chef de l’état, sans que l’on ne puisse percevoir concrètement le projet politique (cf Libération du 9 Juin 2023).

Il faut dire que nos dirigeants se retrouvent coincés entre les associations d’handicapés dites « validiste » qui ont obtenu l’appui de certaines instances internationales et des associations d’handicapés et leurs familles qui craignent pour la protection des plus vulnérables et redoutent la privatisation totale du secteur médico-social. L’exemple des EPHAD n’est pas fait pour rassurer.

Retour sur un exemple … pragmatique :

Quand Franco Basaglia (psychiatre italien 1922 - 1979) « casse » les murs de l’hôpital psychiatrique San Clemente à Trieste, il ne « désinstitutionnalise » pas, du moins, au sens que semble appeler de ses vœux Emmanuel Macron .

Nonobstant le titre de son principal ouvrage 1, Basaglia ne détruit pas l’organisme de protection et de soin qu’est l’hôpital.

Il en préserve précieusement le caractère pluridisciplinaire, promeut toujours plus le travail d’équipe, il en conserve les missions essentielles mais le dépasse en l’ouvrant, portes et fenêtres, sur la ville.

En même temps, il sait que tous les parcours de vie, peuvent à tous moments se déréguler, devenir chaotiques et engendrer souffrance et isolement. Il ouvre ainsi une demi-douzaine de centres d’écoute, d’accueil et d’urgence dans le territoire.

Ceux-ci, ouverts jour et nuit, joueront un rôle essentiel dans la sortie de la logique centralisée incarnée par l’hôpital.

Celui-ci perd ses murs, se voit traversé par une grande voie centrale au milieu de son emprise, et bénéficie bientôt d’une école, d’une crèche et de divers lieux culturels.

Bref, Basaglia et ses équipes “désenclavent ”San Clemente, pour mieux le réimplanter dans la cité.

Ainsi celle-ci traditionnellement, ouverte, multiculturelle et cosmopolite (on est dans l’ex-grand port de l’empire des Habsbourg) viendra irriguer l’ancien hôpital et sa population.

Au terme d’une grosse décennie, celui-ci ne compte plus que 76 ex-pensionnaires (contre près de 1800 au départ) mais il demeure un lieu de référence et de passage pour tous , y compris ceux dont la réinsertion sociale a entièrement ou partiellement abouti.

Quant aux 76, ils obtiennent le statut d’hôtes de la municipalité et obtiennent des appartements redécoupés dans les bâtiments de SanClemente.

L’entreprise a duré plus de quinze ans, elle a constitué en un vaste travail de raccommodage du lien social, tant dans les histoires individuelles de ceux que l’on ne nomme plus patients et encore moins internés, qu’au niveau de la politique de la ville et de la province.

C’est un long et besogneux travail de recherche des familles, des entourages et des opportunités de réinsertion extérieure qu’ont mené les équipes avec des échecs (les 76) mais aussi nombre de succès dans une terre non épargnée par la guerre et les migrations (on est trente ans après la guerre aux confins de l’ Italie et de l’ex-Yougoslavie).

Il a fallu aussi “déstigmatiser” les handicaps psychiques et mentaux, tant auprès de la population que de ses représentants.

On peut y voir là les prémisses des actions contemporaines des multiples associations autour du handicap, et de son acceptabilité.

Surtout ce processus est double : la ville alimente l’ancienne communauté asilaire, celle-ci vient mettre ses compétences et talents longtemps ignorés, des professionnels comme des ex- patients, au service de la population.

Basaglia ne tue pas l’institution, il en extirpe ses racines totalitaires, ses pratiques autoritaires et oppressives, mais en préserve l’aspect pluridisciplinaire, le travail d’équipe, l’écoute et le soin tout en les décentralisant dans l’ensemble de la ville.

Que l’on songe aux épisodes totalement erratiques de fermeture des hôpitaux psychiatriques ici comme dans le monde anglosaxon, fermetures qui n’ont fait, faute d’aucune préparation, que déverser dans la rue (et dans les prisons) un flux quasi continu de personnes hautement vulnérables.

Si l’épisode demeure emblématique, il n’est en rien anecdotique : l’influence de Basaglia se poursuivra avec la loi 180, obligeant à la fermeture des hôpitaux psychiatriques italiens et surtout marquera de façon durable toutes les politiques du handicap en Italie, politiques souvent citées en exemple, notamment par des instances internationales si critiques à notre égard.

Trieste nous l’enseigne : la désinstitutionalisation ne se décrète pas .. Elle est le fruit d’un long travail sur le terrain, sans rupture des collaborations fonctionnelles que les équipes ont construites ça et là ,en en chassant tous les héritages bureaucratiques, aveugles et opprimants dont souffrent tant les usagers et leurs proches.

Ainsi dans un IME des Hauts de Seine que je connais bien, à l’équipe jeune et motivée, accueillant des adolescents autistes, n’ayant pour la plupart, bénéficié que de peu (voir de très peu) d’inclusion scolaire, nous avons au départ rencontré les pires difficultés à nouer des liens avec les institutions scolaires du voisinage.

Logiques institutionnelles différentes, réflexes craintifs réciproques, sortie des pratiques habituelles (et confortables) semblaient de part et d’autre difficilement dépassables… jusqu’à ce que nous inversions les choses: au lieu d’artificiellement pousser nos jeunes vers l’école, nous avons progressivement reçus ceux de l’école  dans L’IME!

Beaucoup, en particulier de lycéens, d’âge équivalent aux jeunes de l’IME ont répondu avec enthousiasme … tout une panoplie d’activités communes s’est ainsi développée petit à petit mêlant plusieurs fois par semaine nos deux « tribus ». Des amitiés et des solidarités individuelles se sont tissées et nous voyons maintenant certains de nos lycéens partenaires s’orienter vers les métiers du médico-social et du handicap ,chose qu’ils n’avaient jamais envisagée.

Il faut donc partir du terrain, de tous ses acteurs et s’y adapter en construisant des projets en cohérence avec celui-ci.

Il faut respecter l’existant quand il est vertueux et le réformer vigoureusement en cas contraire.

Il faut tenir compte tant de chaque individu que de son environnement sans se réfugier dans des discours enflammés, binaires et généralistes.

L’institution n’est pas le problème mais plutôt à quoi et comment on l’utilise.

Bref il faut d’abord renoncer à ce que nous aimons tant : la systématisation, le gout (pervers ?) pour les impasses idéologiques, le verbe et les éternelles tentations jacobines.

Richard Horowitz

Pédopsychiatre

Ancien président de la Fédération des CMPP

1 LFranco Basaglia :L’institution en négation réédition 2020 Editions Arhé

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