Billet de blog 13 mars 2012

Antonella Santacroce (avatar)

Antonella Santacroce

Abonné·e de Mediapart

LES SOURIRES LUMINEUX DE MON AMIE ISABELLE

Antonella Santacroce (avatar)

Antonella Santacroce

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

LES SOURIRES LUMINEUX DE MON AMIE ISABELLE

Je croyais n’avoir jamais rencontré ces enfants ni ces adolescents que vous nommez «  autistes ». Eh bien, non ! J‘en ai rencontrés deux. Par deux fois. Seulement que, à l’époque, je ne savais pas, qu’on les disait « autistes ». (Tout à fait comme mon frère, qui ne s’aperçut pas de ma soi disant parole  « délirante », la première fois que je me lançais – si heureuse ! – hors des sillons « battus ». Ce dont je le remercie, encore et encore. )

La première fois, donc, j’étais en vacances dans le pavillon de la mère d’une de mes amies, et cette jeune personne, en visite avec ses parents, s’entêtait farouchement à ne pas vouloir sortir de la voiture de ses parents, où elle vivait : s’y barricadant.

Beaucoup de temps s’est écoulé depuis,  et je ne me rappelle pas tout à fait  comment se déroulèrent les choses. Mais je me souviens, ou mieux : je revois la scène : je m’approchai de la voiture, et l’invitai à faire une promenade avec moi. Elle se tenait toute recroquevillée (repliée ?), abritée dans la banquette arrière, et régissant son corps d’une façon tout à fait coercitive.

Pourtant, elle accepta mon bras, et, bras dessus bras dessous, on chemina le long des palissades des jardinets de ces mêmes pavillons. Sans se parler. Le souvenir que j’ai gardé de tout cela, c’est l’attention extrême que je portais à mon pas, et la parole de sa mère qui, nous regardant  s’éloigner, dit, quelque peu émue : « Qu’elle est belle la liberté. » (Elle avait dû sentir que j’avais connu moi-même, par le passé, un état d’insoutenable coercition, par lequel on  avait cru pouvoir briser et vaincre ma liberté. Mais on n’y avait pas réussi.)

Et puis, ici, à Paris, j’ai connu Isabelle. Une adolescente qui (je crois) ne suivait pas de traitements spécifiques, mais qui s’occupait de multiples choses, faisait les courses à une vieille personne, et même, une ou deux fois, lorsque j’avais été souffrante, elle me le fit à moi aussi. (A cette occasion, elle  m’apprit – en souriant –  comment ça s’écrit « yogourts » en français – ayant comparé  la graphie de ma liste avec celle du Supermarché. Je ne sais pas si elle savait lire et écrire.)

Elle faisait du dessein, et d’autres activités créatives, qu’elle même repérait. (Je ne sais pas si elle était, ou avait été « suivie ». De toutes manières – à l’époque – on ne parlait pas de « méthodes » comportementalistes, et, si mes souvenirs sont bons, sa mère n’aimait ni analyses ni analystes.)

Ses parents, qui travaillaient comme quatre, et qui n’étaient pas très aisés, ne faisaient pas attention aux frais, lorsqu’il s’agissait  d’Isabelle, tout en lui faisant la leçon. Dans le quartier on la connaissait, et, lorsqu’on lui demandait de faire quelques courses, on lui « réglait » la démarche.

Je ne connais,  ni n’ai connu l’«histoire » d’Isabelle, qui n’habite plus par ici. Je sais seulement qu’on s’aimait et qu’on s’estimait beaucoup, et lorsqu’elle m’apercevait de loin – beaucoup plus vite que moi, qui rêvassais toujours, et même dans la rue – elle me faisait des grands signes de loin, et des grands sourires, qui me réjouissaient fort.  

Ses parents (communistes, je crois) possédaient un petit « bazar », où l’on trouvait de tout, journaux y compris. Et, surtout sa mère, m’avait beaucoup aidée dans la période où je vécus ma si dure dépression, et elle (qui me poussait à écrire) voulut à tout prix mettre en vitrine, le texte (en italien !) qu’on  m’avait édité, accompagné d’une petite phrase, dont je ne me souviens plus,  et qu’elle réussit à vendre : 2 exemplaires, si je ne me trompe pas.

À y songer aujourd’hui, elle devait se faire beaucoup de souci, pour l’avenir d’Isabelle. Mais à l’époque, je ne le savais pas, car j’avais trop de peine à m’occuper de mon si difficile quotidien.

Or, si je parle de tout cela, c’est parce que je crois que Loriane Brunesseaux a raison de poser en première ligne (comme d’autres) une approche « pluridisciplinaire » (je ne trouve pas d’autres termes, pour l’instant), pour ces enfants « différents ». J’entends dire une approche « riche », dans le sens de « multiple », « créative ». Culturellement, véritablement « créative ». Et cela, non pas, ou pas nécessairement dans l’approche « soignante », mais dans la libre recherche « culturelle » opérée par l’enfant lui-même : à la recherche de sa vie, et de la façon dont il choisit de  vouloir la  vivre, cette vie. Et guidant, ces mêmes soignants.

Or, je préfère ne pas me prononcer quant à leurs éventuelles approches psychanalytiques, car je ne sais pas comment elles se déroulent, dans leurs cas précis. Mais je persiste à penser que les traitements analytiques « appliqués » à des adultes, ont fait beaucoup, beaucoup de ravages, que j’ai pu vérifier : sur moi, et autour de moi. Des ravages qu’on ne saurait biffer d’un trait de plume, car ils ont bafoué des existences entières. C’est pourquoi,  j’aimerais choisir et faire place au déroulement, dans les rapports interpersonnels, à une véritable psychothérapie institutionnelle, qu’on « utiliserait » d’une façon « libre » et « active », et par tout le monde, comme je l’ai déjà écrit ici.

Quant à la psychanalyse, j’estime qu’il serait préférable de s’en tenir à un usage de recherche théorique, comme l’on disait avec Guy Baillon. Et cela, non pas parce que l’on redouterait de le « penser », l’inconscient, mais parce qu’on a le droit d’interroger ces mêmes analystes qui la « réalisent » : combien d’entre eux « osent » véritablement, incessamment le « penser », cet inconscient : leur propre inconscient ? Puisque, on  ne peut pas nier que ces soi disant « acteurs », ont cumulé de graves, irréparables erreurs, et même des fautes graves – ne se souciant pas trop ni de règles ni de lois (les concernant), provoquant du laisser aller, émettant jugements malades d’omnipotence, se laissant aveugler par le culte de l’argent, et  (surtout !) par l’inavouée passion d’un absolu pouvoir.

Ce sont eux qui – actuellement, tout au moins – redoutent fort une « pensée » tournée vers l’avenir. Car ils craignent la fin de leurs acquis sociaux, ou même et tout simplement, la perte de leurs moyens de survie. Or, à cela il faut y faire face, comme beaucoup de nous y ont été obligés, au cours de leur existence.

Ces anciennes «  élites » également doivent se résoudre à regarder la vie en face, avec courage, comme tout un chacun de nous, et à faire des choix fondamentaux dans le domaine de leur éthique. C’est pourquoi, j’ai voulus signer cet appel que j’avais lu – étonnée – et qui m’apparut si simple, si traversé de fierté, si imprégné d’honnêteté, et que tout le monde avait contribué à établir, et à signer : cuisinières/cuisiniers, secrétaires, infirmiers, et autres soignants...

Or, je voudrais simplement ajouter que là où je crois, par contre, que l’on est tous d’accord, c’est sur la nécessité d’allouer des moyens financiers importants, à la vie de ces enfants, et de leurs familles.

Car, j’aime penser qu’il peut y avoir des nouvelles Isabelle (dans la chaleur de ces quartiers, qui néanmoins disparaissent de plus en plus ici, à Paris, créant aliénations et solitudes extrêmes, et même « déraisons ») – des nouvelles Isabelle marchant toutes seules et souriantes, le long des rues : à la recherche, à la découverte incessante de ce que leurs cœurs leurs dictent. – J’allais oublier : a Isabelle rien n’a manqué. Elle qui possédait beaucoup, beaucoup de choses dans sa chambre remplie de plantes vertes, dont elle s’occupait parfaitement.

Quant à ce grand débat sur le  « packing » – autiste ou non autiste, j’aurais beaucoup aimé qu’on m’en fasse un, au cours de mon dernier séjour en clinique psychiatrique. Je ne sais pas, si pour... me soigner ou pas. Tout simplement pour voir, et pour me réjouir. Oui. J’aurais bien  aimé...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.