Billet de blog 14 juin 2011

guy Baillon

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Je suis fier d’être psychiatre ce soir : Les psychiatres se révoltent tous contre la loi liberticide !

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Docteur Guy Baillon Paris le 13 juin 2011

Psychiatre des Hôpitaux

Je suis fier d’être psychiatre ce soir : Les psychiatres se révoltent tous contre la loi liberticide !

Oui je suis fier d’être psychiatre ce soir.

A la veille de cette terrible condamnation à mort de la liberté par les députés par une loi qui veut faire des malades des esclaves que l’on peut embastiller aisément à la moindre incartade. Nos élus n’ont pas compris qu’ils avançaient un degré de plus dans l’infamie, en promulguant une violence « jamais encore réalisée ». En effet les malades une fois enfermés vont en plus maintenant être « obligés de recevoir des médicaments », il est évident qu’après ils ne pourront plus résister, et ne pourront qu’obéir. Nous revenons aux pires années de certains camps de l’Est ou aujourd’hui de Guantanamo. Sous médicaments les malades ne pourront plus penser comme avant, ils paraitront soumis, en fait ils auront expérimenté que ce monde leur est hostile, et après pareille violence lutteront toute leur vie contre les soins psychiatriques, ou les fuiront.

Dans quel pays une telle violence existe-t-elle ? Nous serons enfermés pour avoir tenu des propos non conformes ! ou avoir eu un comportement bizarre selon certains témoignages ! Nous serons enfermés sans aucun contrôle (pendant la garde à vue initiale de 72 h la justice n’intervient pas, pas plus que les avocats), mais de surcroit nous allons recevoir des médicaments « de force »!

Ce soir les psychiatres de service public qui jusqu’alors, en raison de l’importance de leur rôle voulant sauvegarder l’intimité de chacun, étaient en majorité restés sur la réserve, tous se sont levés contre cette loi et ont lancé des communiqués précisant sa gravité.

L’Etat, et l’UNAFAM qui soutient cette loi, savent-ils que sans les psychiatres la loi n’est pas applicable ? En effet le jour où les psychiatres décident de faire grève, si la loi est votée, il n’y a plus ni certificat d’internement (ne soyons pas hypocrite à vouloir un autre terme), ni traitement obligatoire ! L’Etat pourra sur ordre nominatif les obliger à reprendre leur travail, mais jamais il ne pourra les obliger à écrire des certificats conformes au désir de l’Etat, ni ne pourra les obliger à prescrire des ordonnances. JAMAIS ! La loi ne pourra donc être appliquée.

Jusqu’à aujourd’hui la majorité des psychiatres restaient assez confiants dans l’Etat, espérant qu’il comprendrait ses erreurs. Ils pensaient aussi que les familles de l’UNAFAM qui depuis 10 ans, en s’associant à la Fédération des patients-usagers, avaient fait preuve de grande maturité (puisqu’elles ont des positions opposées) garderaient assez confiance dans la psychiatrie, et ne se comporteraient pas avec les malades comme avec des enfants récalcitrants. L’UNAFAM a préféré cautionner la violence de l’Etat. Non contente de soutenir cette loi elle prétend dans un projet de « plan psychique » intervenir dans tous les lieux de soin pour expliquer aux équipes de soin comment soigner au sens où elle l’entend elle, c’est-à-dire, comment « faire obéir les malades » !

La totalité des psychiatres (sauf quelques conseillers se croyant valeureux) ce soir se révolte, et dit NON à l’Etat, comme à l’UNAFAM (heureusement beaucoup de familles se révoltent aussi, s’opposent à l’UNAFAM, et souhaitent la création d’une nouvelle association nationale enfin humaine), se sont exprimés en particulier :

Isabelle Montet et Jean Claude Penochet pour le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (Le Monde du 14-6)

Norbert Skurnik pour les autres syndicats de psychiatres

Ceci après les avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, du Syndicat de la Magistrature, du Contrôleur des lieux de privation de liberté, … et de nombreuses associations. En premier lieu la FNAPSY et ses associations d'usagers.

Cette loi ne fera pas plier les genoux des psychiatres. Ceux-ci ont une autre idée de leur fonction que celle d’obéir à l’Etat. Ils servent d’abord les hommes qui souffrent tout en étant très attentifs au contexte de la société dans laquelle vivent les patients. Ils sont les acteurs d’un service public qui a la mission de soigner des personnes humaines, et qui simultanément attend de la société des mesures de solidarité suffisantes pour les accueillir.

Une très émouvante vidéo[1] circule depuis ce soir sur le net où l’on voit une patiente et un psychiatre recevoir la Légion d’honneur des mains du Président de la République en son palais le 21 octobre 2009. La patiente est Madame Claude Finkelstein présidente de la FNAPSY (fédération nationale des patients de la psychiatrie). Le psychiatre est le docteur Yvan Halimi, Président de la Conférence des Présidents de CME (organisme hautement représentatif du service public). On voit le Président de la République tenir des propos éloquents : il tient à valoriser ensemble la souffrance psychique (« Cela peut arriver à tout le monde », renchérit-il), et la psychiatrie, et insiste sur la valeur hautement symbolique de cette réunion de la malade et du psychiatre ce jour-là.

Dans la même vidéo nous voyons ces deux mêmes personnes, arborant cette Légion d’Honneur, se retrouver solennellement le jeudi 9 juin 2011 devant le Parlement Européen à Strasbourg, et s’adressant au Président de la République, à nous tous, tous les citoyens (« à qui cela peut arriver » !) elles ont demandé le retrait de la loi sur l’obligation des soins en psychiatrie. Elles ont averti que si cette loi passait psychiatres et usagers n’auraient de cesse à chaque mesure de déposer une plainte auprès de ce Parlement de Strasbourg, que l’on voit derrière elles, pour viol des règles des soins. « La psychiatrie est en deuil ! »

D’autant que quelques jours avant, le 5 juin, le Conseil Constitutionnel a demandé au gouvernement de modifier le projet de loi pour que les hospitalisations d’office soient aussi l’objet d’un contrôle par les juges. Le gouvernement a-t-il le droit de ne pas écouter cette demande expresse ?

Touts ces acteurs évoqués ici déposent entre les mains du Président de la République devant les citoyens une demande de recours en grâce pour annuler la menace de peine de mort contre la liberté que constitue cette loi.

La question est suffisamment importante devant l’ensemble de la société pour justifier de préparer ensuite, dans la sérénité, un texte humain, de bien plus grande envergure que cette loi faite sans réelle concertation, sur un problème de société profond qui touche la liberté de penser et la solidarité d’un pays à l’égard de ses citoyens les plus vulnérables, et pourtant tout aussi humains que le reste de la population.

Monsieur le Président, tous les psychiatres déposent auprès de vous cette requête de recours en grâce. Le retrait de cette loi. Merci de les écouter.

Je suis fier d’être psychiatre ce soir.


[1] Sur internet faites « Dailymotion », là cliquez en haut « vidéo », puis dans les vidéo dans recherche écrivez « psychiatrie en deuil » 11’10’’

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