Billet de blog 14 octobre 2011

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Penser encore une psychiatrie démocratique

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Bonjour!

Au risque de vous casser les pieds, je reproduis ici le dernier texte de Jean Pierre Martin, qui vaut mieux que l'enfouissement sous des tonnes de billets sur les "guignols de la politique"

Une psychiatrie ou la liberté est thérapeutique

14 Octobre 2011 Par jean-pierre Martin

UNE PSYCHIATRIE OU LA LIBERTE EST THERAPEUTIQUE

Parler de psychiatrie, c’est parler de liberté, car, qu’on le veuille ou non, quels que soient les débats qui peuvent et doivent se dérouler, à partir de cette proposition fondamentale : la psychiatrie n’existe que du fait que des hommes sont en difficulté sur une problématique de liberté.

Lucien Bonnafé, Dans cette nuit peuplée, 18 textes politiques, Paris, Ed. Sociales, 1977

La déclaration d’entrée en résistance à la loi sécuritaire du 5 juillet 2011 relative « aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge » et ses décrets d’application, ouvre le débat et l’action, sur quelles modalités de défense d’un soin psychique psychiatrique et d’une « politique de santé mentale » qui refusent l’imposition de la contrainte et le contrôle social comme organisation du soin en psychiatrie, de l’hôpital au domicile, sous la nouvelle appellation aberrante de soins sans consentement. Par là même elle met en avant une position soignante dans sa qualité relationnelle qui ne soit pas dégradée en « expertise de dangerosité », en contrôle social contraint en ambulatoire, mais aussi le refus de la situation actuelle faite de souffrance psychique, d’errements dans le sens des pratiques et de désillusions dans de nombreuses équipes.

Cet engagement accompagne les luttes actuelles de défense de la dignité et des droits fondamentaux de tous ceux que la précarité, l’absence de logement et de travail, le statut de migrant, mettent à mal. Les patients de la psychiatrie en font partie intégrante, et sont tout autant les cibles de la disqualification sociale et humaine, ses répressions et son fichage, des politiques néolibérales du pouvoir actuel. Le projet gouvernemental d’un nouveau plan de santé mentale concerne donc l’ensemble des exclus de la réussite individuelle, et c’est dans cette globalisation que la résistance peut se construire. La psychiatrie s’affirme ainsi au carrefour de l’ensemble des politiques publiques, que ce soient celles de la santé, de l’éducation, de l’action sociale et du logement, de la justice, du droit au travail et à l’emploi, de la culture et du développement. En lien avec les luttes organisées par les professionnels, les usagers, les militants des droits de l’homme, il s’agit dans le développement des droits de remettre en cause, le statut d’exception du « fou » et de son enfermement. Nous refusons que la psychiatrie et la santé mentale soient embrigadées comme faisant partie des polices de la société.

Cet engagement à résister est une actualité brûlante :

- avec les politiques de la peur, les atteintes portées aux libertés et aux droits sociaux, la surveillance sociale des vulnérables et précaires stigmatisés en « classes dangereuses » et le fichage généralisé de tout fauteur de trouble et mauvais élève potentiel, avec la création d’« casier psychiatrique » des « malades mentaux », sans véritable « droit à l’oubli ».

- avec les nouvelles gouvernances néolibérales aux logiques entrepreneuriales et de casse du service public et de la politique de secteur en psychiatrie, comme ceux de la santé promues par Hôpital 2007 et la loi HPST de 2008.

Une politique démocratique de la santé mentale et de la psychiatrie est donc l’enjeu d’un débat national, dont les contours et les contenus relèvent :

- d’un soin psychique bien conçu articulé au droit commun, où la contrainte ne peut se faire, en cas d’extrême nécessité, sans l’autorisation et le contrôle du juge civil. Elle passe donc par l’abrogation des lois du 27 juin 1990 et du 5 juillet 2011.

- la mise en chantier d’une loi programmatique pour une psychiatrie démocratique qui rompe les plans de santé mentale actuels et annoncés, et se détermine avec les différents acteurs sanitaires, sociaux, associatifs et politiques. Si le soin psychique est élaboré par les professionnels sur le plan thérapeutique, il s’inscrit dans une politique globale comme des pratiques collectives fondées sur l’éthique du prendre soin.

Pour la penser nous ne manquons pas d’expériences et de pratiques, avec :

- les acquits de la politique généraliste de secteur psychiatrique et des pratiques anti-asilaires, du rapport Demay de 1982. Celui-ci dans la promotion d’Etablissements publics de santé mentale qui s’appuient sur l’élaboration des besoins et de nouveaux dispositifs dans les conseils locaux de santé mentale remet en cause un cadre centralisé par les ARS et l’administration des hôpitaux,

- le refus d’une application attentatoire au soin psychique d’une gouvernance médico-administrative économiste et hospitalocentrée.

- la reconnaissance pleine et entière des associations de patients et des familles, où les droits des patients promus par les textes de 2002 restent largement à appliquer.

Cette expérience fait apparaître des besoins et une éthique des pratiques qui se déclinent comme suit :

- L’accès aux soins et leur continuité se réalisent dans la communauté, l’hospitalisation n’étant qu’un temps du soin. L’ensemble est pensé comme une politique d’accueil, de prendre soin et d’hospitalité,

- Le soin psychique est fondé sur une clinique de l’altérité avec sa dimension relationnelle et les approches institutionnelles, dans le respect de la dignité et de l’intégrité du sujet en souffrance. Toute pathologie ou souffrance psychique est évolutive et ne peut reposer sur la prédiction de la récidive. Il s’élabore, de façon incontournable, dans le respect de l’intimité du patient, en lien avec les tiers.

- Les réseaux, cartographie de ressources, sont une proximité essentielle et doivent être reconnus comme un outil à financer.

- Le soin est indépendant des entreprises privées pharmaceutiques et de technologie biomédicale.

- Son évaluation est d’abord qualitative et ne peut être soumis à de strictes considérations gestionnaires et managériales. Les patients ou leurs représentants doivent donner leur accord à tout collectage de données,

- Les patients sont reconnus dans leurs droits fondamentaux, qui se réfèrent à autant de « besoins pratiques », au même titre que tout membre de la société,

- Les droits des patients et des familles (où leurs substituts sociaux et juridiques) doivent être inscrits dans le code civil, en particulier les mesures de protection qui ne peuvent être que transitoires, liées à l’état psychique du moment. Les recours se font de droit au juge des libertés à tout moment. Ceux-ci ont la priorité sur toute mesure préfectorale. Les mesures de contrainte ne peuvent être qu’exceptionnelles et donner lieu à un droit à l’oubli après 2 ans.

- Les professionnels sont indépendants comme corps constitués, tant dans les contenus des soins que dans leurs formations. Leur recrutement, leur carrière et leur retraite, comme praticiens du service public repose sur un statut national garanti par l’Etat.

- Un observatoire des pratiques doit être mis en place, en lien avec le contrôleur des libertés, pour tout recours éthiques et techniques.

- La question de l’insertion sociale est reliée à cette démarche globale et liée étroitement à une protection sociale fondée sur la solidarité, et à toutes les créativités culturelles. La lutte contre les exclusions en est aujourd’hui un élément majeur qui mobilise la santé, l’action sociale, le logement, l’éducation, le travail, la culture et l’accueil des immigrations. Son financement doit être une priorité nationale.

- Les besoins de financement sont décidés par les établissements publics de santé mentale après consultation des conseils locaux de santé mentale. Les budgets locaux, régionaux, nationaux doivent être individualisés entre soins psychiatriques et actions de santé mentale, et relever comme pour les prises en charge des dépendances dans la notion d’ayant droit de la sécurité sociale.

Ces propositions s’inscrivent donc comme une perspective de résistances concrètes quotidiennes, une désobéissance civile politique, que représentent, dès aujourd’hui, de refuser de donner un avis ou de saisir des données sans avoir eu un entretien avec le patient, la « visio-surveillance » comme une machine à faire délirer, à demander de soins obligatoires sous contrainte à domicile. Elles sont en rupture avec un discours de pouvoir biopolitique et de surveillance généralisée, avec des gouvernances de démantèlement du secteur de psychiatrie publique au profit du privé et de l’assurantiel.

Jean-Pierre Martin

   

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