Docteur Guy Baillon ce 18 novembre 2016
LAFORCADE REHABILITE DEMAY ET L’AVENIR DE LA PSYCHIATRIE EPISODE II
Mais ne révèle pas les raisons de sa censure depuis 1983 ! Et pour cause !
Ainsi Laforcade confirme la Psychiatrie de Secteur ! remarquable cette affirmation de l’Etat ! Au lieu du flou lointain ou de l’ambivalence, il affirme et détaille :
Auparavant reprenons rapidement notre propos préalable : le premier point fort de ce rapport est certainement la reconnaissance des Usagers comme acteurs à part entière rejoignant la première affirmation du Rapport Demay.
Nous avons fait aussitôt le constat que la mise aux oubliettes immédiate du Rapport Demay, a été source de quiproquos qu’il est indispensable de démasquer. Leur présence a infiltré puis déformé tout dialogue avec l’Administration. Laforcade par la levée de la censure a permis certainement de faire un pas énorme vers l’avenir, d’abord pour l’avenir immédiat.
Par exemple ce quiproquo provoqué par une censure cachée conduisant à mélanger orientations idéologiques et cliniques avec la gestion, est l’explication directe de nombre d’insatisfactions (nous allons le voir), dont celle qui a suivi chacun des 15 rapports postérieurs et a semblé justifier la demande d’un nouveau, chaque fois.
Aujourd’hui la révélation de la censure du Rapport Demay, puis la reconnaissance de son apport, devraient permettre à l’Administration de ne plus chercher à s’impliquer dans l’idéologie ni la clinique, et se tenir à la gestion (cette fois une gestion tenant compte de l’humain). Il sera donc possible d’attendre de ces textes qu’ils n’abordent pas vaguement ‘tout’ ‘l’avenir’, qu’ils dressent seulement l’étape « des cinq prochaines années », avant d’évoquer les cinq suivantes. Des Rapports d’Etapes ! C’est ce que nous espérons.
Prenons acte de ce geste fondateur des nouvelles relations possibles entre Administration et les différents acteurs, tant du côté des soins et acteurs sociaux, que du côté des Usagers.
Elle établit simultanément la continuité du Rapport Demay avec ses pères fondateurs.
Ajoutons ici un point essentiel, qui a été en réalité la raison de la censure : la proposition novatrice centrale du R Demay et qui n’a jamais fait l’objet d’un examen public : son projet de « L’Etablissement public de Secteur ».
Ce terme voulait installer un lien entre soins et gestion ‘au contact du terrain’, à la base. C’était la proposition qu’un Directeur soit présent aux côtés de chaque Responsable clinique de secteur, associant d’emblée soins et gestion, sans y mêler un débat sur l’idéologie.
Percevons que ce geste renverse la conception classique Administrative de la Hiérarchie. Ainsi l’Administration sera proche, sur le terrain. Le Ministère la voulait lointaine, car là ‘indifférente’ aux émotions du terrain, alors qu’étant ‘automatique’, elle est inhumaine.
La vraie histoire (non révélée officiellement) indique que la Corporation des Directeurs de l’époque (qui était la composante dominante de l’Administration Centrale) a jugé d’emblée que ce projet constituait une dévalorisation de la profession de Directeur, par la diminution de l’étendue de son pouvoir. Elle a violemment réagi, s’opposant aussitôt et définitivement à sa moindre évocation. La censure levée grâce à Laforcade permettra-t-elle d’examiner le rapport Demay ‘et’ sa proposition « révolutionnaire » ? Ne nous cachons pas la réalité. Ce sera difficile ! Pourtant l’avenir de la Politique de Secteur est dans cette proximité créée sur le terrain entre Clinique et Gestion. La Psychiatrie privée en est l’application, à la portée de tous.
Le troisième point essentiel du Rapport Demay est « l’abolition de toute loi spécifique » laquelle aboutira toujours à la réalisation d’un « asile ». Cette abolition de la loi de 1838 abolit l’asile, non abordée ici. La Loi de 2011 a conforté la contrainte, l’étend au domicile !
Le reste du rapport Laforcade de façon déterminée et tout au long de son texte, met en valeur la Psychiatrie de Secteur, dont il détaille l’essentiel, c’est remarquable :
-le centrage du soin sur le domicile d’abord en est la donnée capitale : « la racine » de chaque patient, tout en découle, c’est encore à approfondir … (avec toutes ses conséquences) …
-le parcours des soins pour chaque patient est aussi important, il ne doit pas être entendu comme un déplacement géographique, mais comme la ‘succession des soins dans le temps’. Ainsi le soin est conçu comme ‘discontinu’, puis composé de temps successifs, entre lesquels une ‘continuité’ doit être proposée, objet constant du travail de « l’équipe soignante ». Le sens du terme ‘équipe’, fondateur de la nouvelle pratique, se justifie là. Elle permet au patient et à son entourage comme aux soignants d’habiter sa propre histoire, et celle-ci, avec le domicile, devient la ‘racine’ complémentaire du patient validant le terme de parcours, …
-l’appui indispensable du soin auprès des diverses personnes de l’environnement humain de chaque malade. La famille, les proches, le généraliste pierre angulaire entre le souci du social et le souci du corps, les divers soignants, les liens plus sociaux jusqu’au ‘politique’ vecteur des liens sociaux et de la démocratie, … tout est évoqué, au risque de craindre de s’être perdu en chemin, si l’on énumère tous les acteurs possibles et l’infini des modalités de relation avec le patient. Un fait magistral est acquis ainsi. Nous sommes à une distance infinie de … ‘l’enfermement’ qui était le seul recours de la psychiatrie ancienne, … et qui revient en force avec les tentatives démagogiques actuelles de la « sécurité » et du tout sécuritaire. Laforcade heureusement ne rappelle pas ce drame humain et politique que fut le discours de Sarkozy le 2/12/2008 à l’Hôpital d’Antony… Claude Finkelstein Présidente de la FNAPSY était là, elle s’est vécue enfermée sur place ! Cet autre oubli, censure volontaire de Laforcade, ne doit pas faire oublier que le retour aux pires réalités peut se faire en un instant, avec un seul discours s’appuyant sur une foule auparavant savamment travaillée par la peur et les médias, là encore, la peur de la folie ! suivi de la reconstruction des murs dès 2009 de l’asile et la loi 2011.
Ce rappel douloureux d’un fait réel et récent, qui semble lointain du concret, montre au contraire la pertinence et la portée de la multiplication du travail et des liens des soignants et des acteurs sociaux avec la diversité des membres de la société environnant chaque patient. Donnée fondamentale précisant que non seulement le patient est ainsi vraiment soigné en s’appuyant sur cette richesse relationnelle, mais aussi, et c’est fondamental, que « l’ensemble de la société est soigné, et justement dans sa peur viscérale de la folie » idée un peu osée !
Pourtant certains auteurs ont cru nécessaire, voulant faire face au désordre social, de dire qu’il fallait ajouter de la ‘démocratie’ à la santé ! N’ayant pas perçu que la pratique de la Psychiatrie de Secteur témoigne que la Démocratie ‘fait déjà partie’ de la Psychiatrie de Secteur, qu’en quelque sorte elle la secrète, ce qui n’est pas le moindre de ses effets. Nul besoin d’en rajouter, comme le pense l’Administration actuelle, et donc Laforcade.
-ensuite la reconnaissance de la nécessité d’une « diversité des soins », non seulement psychique, psychothérapiques, physiologiques, chimiques. Mais surtout institutionnelle surtout dans la psychiatrie de service public cantonnée jusqu’à la dernière guerre à n’exister que dans l’enceinte de l’hôpital, et de ce fait totalement marquée par l’enfermement, le recours à une diversité institutionnelle, des espaces à développer hors hôpital dans le tissu urbain et communal de chaque secteur. L’inspiration de cette pluralité institutionnelle est née des suites du travail de la Commission Demay, se nourrissant des témoignages émanant du terrain et de l’inventivité des équipes soignantes de secteur créées depuis 1972. La CMM qui lui a succédé n’avait plus qu’à rassembler ces expériences et en proposer une première mouture. Ainsi est née la palette de 12 structures de soin décrite dans l’arrêté du 15 mars 1986, liste restée malheureusement figée dans le marbre ministériel (JF Bauduret son auteur, notre interlocuteur majeur au Ministère pendant une longue période, dès la Commission Demay, voulait sa révision tous les 3 à 5 ans).
Une erreur grave sur le sens et l’utilisation de cette diversité s’est malheureusement introduite dans l’Administration après cette époque, et a trouvé son expression la plus malheureuse dans le terme ‘panier de services’. Nous le verrons.
Pour autant, reconnaissons aussi les limites de tout éloge, ne nous laissons pas enfermer dans notre mouvement, ni impressionner par la stature reconnue au Rapport Demay.
Le rapport Demay a aussi ses faiblesses. De plus son travail a été écourté, devait durer plus :
En particulier il n’a pas su réparer dans les esprits une coupure créée auparavant, et qui a tant limité le développement de la psychiatrie dans son ensemble et dans sa cohérence. Cette coupure avait déjà eu des conséquences qui se sont aggravées. Il n’a pas perçu la profondeur des blessures graves ainsi laissées. Il s’agit de la coupure ‘installée’ entre le soin et le social par une loi couvrant l’ensemble de la médecine, et donc la psychiatrie, promulguée sans que les psychiatres ne s’en rendent compte, jusqu’à ce que JF Bauduret en 2003, (Bauduret JF et Jaeger M ‘’Rénover l’action médico-sociale’’Dunod), ne rende publique sa portée. La loi de décembre 1970 « portant réforme hospitalière » pour l’ensemble de la médecine, créait une séparation entre ‘les troubles aigus’ réservés à l’hôpital, des ‘troubles chroniques’ attribués au champ social sans lieu précis. Hélas au passage, elle devait aussi diviser la psychiatrie en deux, une partie sanitaire, l’autre sociale, alors que dans le même temps (1970-1972) la décision était prise de diviser l’ensemble de la psychiatrie, non pas entre aigu et chronique ! mais entre les (820g+311ij) équipes de secteur couvrant tout le territoire, chacune assurant tous les soins ! Les équipes de secteur ont été ainsi créées progressivement dans la totale méconnaissance de cette division budgétaire générale, entre deux ministères, (Soins et Affaires Sociales) qui allait déséquilibrer leur développement. Certes les soins allaient se développer, mais l’appui social indispensable restait en jachère, et surtout séparé ! Basaglia et la Psychiatrie Italienne avaient bien noté cette ‘boiterie’ de notre nouvelle psychiatrie. La Psychothérapie Institutionnelle s’est développée et s’est validée dans cette ambiguïté en tentant de créer un lien entre les deux espaces.
Les membres de la Commission Demay en 1981, non informés de cette loi, ont certes travaillé sur les contraintes budgétaires sans percevoir qu’une loi récente était en cause et ont invité simplement les équipes à intégrer les soins et les activités sociales avant que plus tard l’étau financier du Ministère des Affaires Sociales ne se resserre et empêche la continuité de tout travail entre soin et social. Tony Lainé, membre de cette Commission, allait lui-même le faire en psychiatrie infanto-juvénile en ouvrant un restaurant avec des autistes dans les années suivantes. Il s’est fait massacrer par l’Administration Sociale et y a perdu la santé précocement ! Cette coupure, confirmée par les lois de 1975 sur les ‘handicaps’, allait persister jusqu’à la loi de 2002 sur les établissements pour handicapés, et surtout celle de 2005 sur la personne dite handicapée, toutes deux prenant le relais des lois de 1975. Trop tard pour lui, et trop tard pour que soient évitées partout toutes les blessures et les incompréhensions entre soignants et acteurs sociaux s’accusant mutuellement d’une incompréhension de leurs actions respectives, vraiment ‘complémentaires’, au lieu de les considérer comme ‘rivales’ et les dévaloriser. Ces blessures persistent. Un travail aujourd’hui reste à faire : celui d’apprécier les conséquences persistantes de cette habitude prise dans les comportements et les esprits de séparer sanitaire et social pour des troubles qui sont durables et qui se développent et évoluent dans la totalité des espaces de vie.
Ceci n’a pas été pris en considération par Laforcade, surtout l’exemple même de la Commission Demay et suivant ainsi le silence de son Administration. Elles expliquent la difficulté opposée, malgré eux par beaucoup d’acteurs à travailler la continuité des soins et du social et à maintenir une conception globale du trouble psychique. Il est urgent de les évoquer.
La Commission Demay n’a pas pu totalement désamorcer le piège de l’urgence, urgence qui allait être pourtant bien travaillée grâce à la création de Centres d’Accueil de l’arrêté du 14 mars 1986. En effet ces Centres (pour une à trois équipes) ont pour vocation de faire face localement à toute expression dite d’urgence, leur création a été trop peu nombreuse. Mais n’ont pas été prévues la fausse réponse qu’a été sauf exception la création d‘équipes mobiles’, dont Laforcade souhaite la multiplication sans comprendre qu’elles sont contradictoires au Secteur. La « mobilité » est bien au cœur de l’objectif de la ‘pratique’ du travail de Secteur pour ‘toute’ équipe. Son centre en est bien comme le rappelle Laforcade, le « domicile » de la personne. Il est évident que l’Equipe de Secteur rayonne donc autour de ce domicile, sans se limiter non plus à ces déplacements, sans y réduire ses soins, mais en s’appuyant sur le contexte propre du patient, la proximité et la continuité étant assurées à partir de là ! Par contre il est clair qu’il doit y avoir quelques exceptions comme ‘La Maraude’ à Paris, à Lyon, en raison du nombre des ‘sans domicile fixe’, vouloir l’étendre serait dissoudre le Secteur !
La question de l’urgence reste encore à expliciter sur le fond, on voit clairement que s’infiltre là une mauvaise compréhension de la Psychiatrie. Celle-ci certes apparaît souvent avec une réelle acuité, sans être pour autant d’une nature différente. Elle s’exprime ici avant à la demande directe de certains usagers, avec sa souffrance extrême, elle traduit la souffrance propre à cette partie de son entourage, voire de son généraliste, qui ont accumulé tant de ‘peurs’, insistant sur sa force, sa densité à l’instant même. Le mot ‘urgent’ est tout à fait utile mais ne désigne pas une partie à part de la psychiatrie. Et ce sont justement les outils élaborés par la pratique de Secteur, évoqués ci-dessus, qui vont permettre de la comprendre et « dénouer » au mieux et au plus vite la souffrance et le trouble, mais grâce à l’appui immédiat de l’entourage et la connaissance qu’a son Equipe à la fois de celui-ci et de l’histoire du patient et des siens. Même si des joueurs de flute, ceux du Conte d’Andersen (peut-être un autre !), ont donné l’illusion qu’eux pouvaient vraiment répondre à l’urgence. De telles propositions qui se multiplient toujours autour de la psychiatrie, comme pour le reste du champ médical ne doivent pas nous effrayer. La soif commerciale est elle aussi source de pseudo novations … Mais nous devons protéger les usagers de ses excès.
Cette méconnaissance clinique ne peut être reprochée à Laforcade ! Administrateur.
Une question se pose là, inattendue, comme souvent avec ce rapport, et que semble-t-il personne n'a vu venir, pas même la Commission Demay, mais que vivent les Usagers depuis quelques années sans l’avoir beaucoup formulée. Elle interroge vivement les Usagers appelés à siéger dans les instances officielles. Leurs interlocuteurs, soignants, Administration, Société n'ont pas pensé que l'arrivée des Usagers à leurs tables ne pouvait se réduire à une simple addition : 1 + 3. S'y ajoute la ‘qualité’ de l'invité. Nous percevons aussitôt que c'est une question à double tranchant, en fait seulement "pointue". L’évoquer c'est se préoccuper des particularités des Usagers, et aussitôt laisser croire qu’il faut les protéger. Certains partenaires aussitôt se sentent là pousser des ailes, et veulent par exemple " parler à leur place" ! Vrai danger ! Quelle serait donc cette singularité ? Par exemple, ils montrent qu'ils ont un autre rapport au temps que nous, en particulier dans le cadre des Institutions : ils ne se sentent pas à même d’être présents à toutes les séances des réunions officielles, ni à leur durée. Et cela leur convient ! C’est la première de leurs « qualités » ; à repérer comme une de leurs « singularités ». Certainement quelques autres, peu nombreuses, mais qui doivent être entendues dès maintenant. Qui va élaborer cette question épineuse avec eux ? Ne pouvons-nous penser que c’est tout à fait du ressort du nouveau CNSM ? Seule instance à même d’y réfléchir sans être juge et partie. Urgente cette question ! Il ne faudrait pas prétexter de l’avoir soulevée pour mettre les Usagers sur la touche ! Par contre il est possible aussi de mettre en garde l’Etat à ne pas exiger leurs présences aux plus petites instances, le nombre de ceux qui sont constamment actifs est limité, c’est une autre donnée. Peut-être d’ailleurs que cette question aura des retombées pour le reste du fonctionnement des autres partenaires ? Par exemple impliquer une dimension « d’humanité » dans les échanges, non prise en compte jusqu’à ce jour ? Pas inintéressant. Qu’en pensez-vous ?
Laforcade nous ouvre donc à des questions au total fondamentales, ici des ouvertures. Quelles nouvelles surprises nous réserve-t-il encore ? Suite EPISODE III