Billet de blog 20 mars 2011

guy Baillon

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Merci Monsieur «le contrôleur des libertés», vous sauvez la psychiatrie

Il est clair que les députés qui oseront voter cette loi même amendée n'oseront pas se présenter aux élections 2012, tellement cette loi est inhumaine. Ils savent pourquoi grâce à Monsieur Delarue, contrôleur général des lieux de privation de libertés, faisant des recommandations fortes après avoir visité les établissements psychiatriques (Libé-18 mars, Le Monde-20mars).

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Il est clair que les députés qui oseront voter cette loi même amendée n'oseront pas se présenter aux élections 2012, tellement cette loi est inhumaine. Ils savent pourquoi grâce à Monsieur Delarue, contrôleur général des lieux de privation de libertés, faisant des recommandations fortes après avoir visité les établissements psychiatriques (Libé-18 mars, Le Monde-20mars). La grande difficulté du législateur est de dépister dans ses projets ce qui, malgré des intentions généreuses et justes, va aboutir à l'effet inverse de son objectif.

Merci Monsieur Delarue d'avoir montré, avec votre probité et votre respect des hommes, ce que dans le champ de la psychiatrie l'expérience de la contrainte a enseigné depuis longtemps aux hommes de terrain, mais qu'ils n'ont pu, comme vous exprimer clairement, sans passion. C'est la force de l'institution dans laquelle vous êtes qui le permet, alors que pour chaque citoyen la complexité des troubles psychiques et l'illisibilité de la psychiatrie s'y opposaient.

Vous démontrez trois effets inattendus et graves de toute contrainte de soin : -l'impossible association en un même lieu de deux logiques opposées : celle de la sécurité (animée par la peur) et celle du soin (animée par la liberté), la première va dominer alors que l'autre va s'annuler ; -cette contradiction a des effets graves sur deux acteurs : sur la population générale chez laquelle la crainte s'amplifie, et sur l'ensemble des personnes soignées (en grande majorité ‘libre' qui va subir la même crainte) ; -l'absence de défense de cette population sous contrainte due à une particularité des personnes ayant des troubles psychiques graves : leur méconnaissance.

Il nous reste à travailler avec les élus la définition de meilleures réponses que le projet de loi.

D'abord le rapport de force entre deux logiques opposées dans un même lieu aboutit à l'écrasement progressif de la logique du soin par celle de la contrainte en raison de l'opposition existant entre les objectifs qui les sous-tendent.

C'est l'absence de savoir clinique qui a entrainé les décideurs : on ne leur a pas expliqué la méconnaissance qu'ont les patients de leur troubles, ils les traitent comme des délinquants qu'il suffirait de convaincre et de contraindre, cela n'a pas de sens puisque le patient ne sait pas qu'il va mal, et que toute tentative de le convaincre est vaine, ne provoque que de l'hostilité. Seule la rencontre libre installant la confiance permet le contact qui avec le temps va rendre possible le soin psychique fait d'abord de psychothérapie facteur de changement.

La logique de la contrainte au contraire s'appuie sur la peur d'un danger illusoire (tout le monde sait que les personnes ayant des troubles psychiques ne sont pas plus criminelles que les autres, mais beaucoup plus souvent victimes de délits, elles sont donc vulnérables, et de ce fait vite ‘boucs émissaires') ; de plus cette peur est à la recherche éperdue et impossible d'un risque zéro (pour le vivant le risque zéro serait la mise à mort !). Monsieur Delarue vous nous invitez à comprendre que la peur du risque une fois installée infiltre toutes les pensées, tous les comportements, et de façon masquée car ce n'est pas l'objectif de départ. C'est plus pernicieux qu'un cercle vicieux, c'est une spirale ascendante qui va de plus en plus loin, car chaque jour montre que les dispositions prises sont insuffisantes, un risque nouveau apparait qu'il faut museler. ...Pire, s'ajoute pour le soin la tentation de choisir prioritairement les soins qui ont un effet plus radical que la psychothérapie : les médicaments : ils deviennent la seule référence sans tenir compte que peu à peu ils transforment les malades en êtres semi-végétatifs, certes ne s'opposant plus parce que leur compréhension baisse, alors que le soin psychique est au contraire basé sur la nécessité de prendre des risques en permanence pour que la personne choisisse elle-même ses soins. L'état d'esprit qui règne dans les espaces sous contrainte n'est plus de soigner, mais de surveiller pour anticiper les risques.

Ensuite monsieur Delarue vous dévoilez deux conséquences fâcheuses et générales, qui existent aussi déjà sous l'effet de la loi de 1990 (celle-ci au lieu de diminuer les hospitalisations sous contrainte comme l'avait fait la politique de secteur de 1970 à cette date, les a augmentées régulièrement depuis car les directeurs voulant consolider l'hôpital ont retiré les soignants des villes, arrêtant ainsi la prévention des troubles graves et des urgences)

-d'une part la population influencée par ce climat choisit ce qui semble le plus facile et le moins ‘risqué', c'est-à-dire l'hospitalisation sous contrainte

-d'autre part dans les services hospitaliers, bien que les patients hospitalisés ‘librement' soient plus de 80%, la crainte du risque amène les directeurs et psychiatres à fermer les portes de tous les pavillons et à restreindre les libertés de tout patient, chacun aligné sur ceux sous contrainte, utilisant pour ceux-ci pour d'autres aussi, de plus en plus, cellules et camisoles (disparues en 1970).

Enfin Monsieur Delarue vous attirez l'attention sur un autre fait qui a totalement échappé au législateur comme aux Inspecteurs de la Santé parce qu'il est, comme la ‘méconnaissance', de nature clinique. Alors que le législateur est fier d'avoir entouré la loi de toute une suite de mesures permettant au patient de contester et de combattre l'obligation de soins, vous nous informez que les patients ne s'en servent pratiquement jamais. Pourquoi ? Parce que les malades en raison de la méconnaissance de leurs troubles ne pensent pas être malades (et l'obligation n'y change rien), ils ne demandent rien, et ne cherchent pas à se défendre !

Concluons sur le projet de loi : ces trois conséquences, existant déjà avec la loi de 1990, dévoilées et dénoncées par Monsieur Delarue, vont être amplifiées considérablement par ce projet animé plus encore que l'autre par la recherche de sécurité et du risque zéro : inflation massive des hospitalisations, multiplications des ‘erreurs' d'appréciation, surtout aggravation des sanctions (cellules, camisoles, refus de sortie), au total un gâchis humain massacrant à la fois les soignants et les patients, et une incompréhension croissante dans l'opinion de la pathologie psychique. ... Alors que la France avec la ‘politique de secteur' accompagnée par la ‘loi 2005 sur le handicap psychique' est reconnue comme la plus avancée au monde (l'an dernier encore Obama envoyait un conseiller personnel et la Chine une délégation nationale en France pour ‘apprendre' cette psychiatrie !).

Il est temps de se tourner avec vigueur et passion vers l'UNAFAM et la FNAPSY pour à partir de ce rapport les aider à se sortir du piège dans lequel elles ont été prises.

Ce sont vous, en effet, familles et usagers, qui nous avez appris à nous soignants ce que nous n'avions pas compris : qu'en raison de leur méconnaissance des troubles et des effets des traitements, les malades ne se défendent pas, ne demandent rien, car ils ne comprennent pas. Et c'est cette affirmation qui vous a donnés la combativité nécessaire pour obtenir du Président et des élus la reconnaissance du handicap psychique dans une loi permettant de leur proposer des compensations sociales. Vous ne réagissez pas contre cette loi alors que vos enfants ne sauront pas y contester la contrainte !

Ce sont vous, familles et patients qui nous avez dit que vous avez tout essayé avec votre malade : la séduction comme la contrainte familiale, l'amour comme la menace, et que comme tout cela était sans effet vous vous êtes tournés, à regret, vers nous.

Aujourd'hui vous ne pouvez pas croire que par enchantement cette nouvelle loi beaucoup plus répressive que les autres va guérir ce que chacun de vous ou de nous s'il est seul ne peut faire.

Vous savez que par contre des équipes de secteur ayant retrouvé votre confiance et celle de l'Etat peuvent réaliser dans le long terme le soin, et les équipes de l'action sociale l'accompagnement social en continuité, ils peuvent ensemble avec vous permettre à votre proche de reprendre sa place dans la Cité. Rien n'est possible dans la division ni l'obligation.

Nous ne devons pas oublier les deux raisons graves qui vous ont amenés à accepter l'an dernier la loi imposée par l'Etat : -le constat que vous faites d'une psychiatrie mise dans le chaos (alors que les soignants présents sont de haute qualité), -et surtout l'absence de rencontre simple avec les psychiatres de tant d'équipes (alors que les équipes de psychiatrie de secteur infanto-juvénile font de ces rencontres un outil essentiel du soin depuis le début).

Ce sont ces objectifs en priorité que nous devons travailler tous ensemble, écartant toute loi inspirée par le seul souci sécuritaire, ne pouvant être qu'un outil inhumain comme le montre Monsieur Delarue. Faisons ensemble des propositions concrètes dès aujourd'hui : installons un débat avec tous les français encadré par les élus. Et prenons déjà deux décisions :

-Qu'il y ait dans chaque secteur un ‘Conseil de santé mentale local' (ne pas confondre avec toute autre instance) ayant comme seul but la concertation locale, encadré par l'élu et le psychiatre du secteur.

-Que chaque équipe de secteur associée avec des acteurs sociaux déploie un quart de ses moyens pour être ‘disponibles' 24/24h (et par l'effet de cette prévention diminue les soins).

Ainsi ensemble écartant les effets prévisibles néfastes de la loi nous mettrons un terme à la stigmatisation des troubles psychiques et de la psychiatrie, si présente dans le projet.

Merci Monsieur Delarue de nous donner une possibilité d'anticiper les effets de cette loi en nous restituant les constats et l'analyse que vous faites de la situation actuelle.

Nous avons par ailleurs entre les mains les éléments essentiels qui doivent animer le soin psychique et la réponse à la folie, dont il est temps de ne plus avoir peur, mais au contraire de sonder les richesses.

Docteur Guy Baillon Paris le 20 mars 2011

Psychiatre des Hôpitaux

Merci Monsieur ‘le contrôleur des libertés', vous sauvez la psychiatrie

en dévoilant aux députés les pièges de la loi qu'ils vont voter.

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