Billet de blog 20 mai 2013

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CHÈRES IMAGES DE JADIS SURGISSEZ–VOUS DES MES ABÎMES ?

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CHÈRES IMAGES DE JADIS

SURGISSEZ–VOUS DES MES ABÎMES ?

Pour les Chinois, le prénom devient le support de ce que

l’on attend, c’est une expression vivante (s.p.n.) de la

langue. Il engage le destin, détermine l'existence d’un

sujet et sa position sociale, donc son identité. Le

choix du prénom révèle le désir paternel. Souvent,

il est incarné par le grand-père ou le père.

(LU Ya–Chuan)

Et celle–là  / la voix/  chantait comme le vent de grèves,

Fantôme vagissant, on ne sait d’où venu,

Qui caresse l’oreille, et cependant l’effraye.

Je te répondis : «  Oui ! douce voix ! »

(Ch. BAUDELAIRE)

J’avais 5 ans, lorsque – par mes pleurs désespérés, et par mes cris lancinants – je contraignis ma mère à m’inscrire à  l’école primaire. Alla scuola elementare. Et  je m’y entêtai à ce point, non seulement par jalousie envers mon frère (de 5 ans mon aîné),  que je voyais entouré de livres et de cahiers, mais pour apprendre.

L’école primaire se trouvait assez loin de chez nous, au village, mais à l’époque, les voitures y étaient rarissimes, sinon inexistantes, les routes n’étaient pas goudronnées, et nous, les enfants, nous étions libres de les traverser, d’y jouer, d’y courir de droite et de gauche…

Ce village, comme je ne me lasserai jamais de le dire a un très beau nom. Il s’appelle Pratola Peligna. Or,  « prato », en italien, signifie, c’est : le pré. (Un pré d’humains, abondement fourni de poils ?)

Il s'étendait dans la Conca Peligna. Ce qui n’indique pas, n’est pas tout à fait, une vallée. Une vallée étant moins creuse, moins arrondies, et plus vaste. Du moins, il me paraît ainsi pouvoir me souvenir. Et pourtant cette Conca spécifique, était vaste…  et positionnée au centre, au cœur même  de ces montagne scoscese… brulle… della Catena degli Appennini…. dal Nord al Sud, dell’Italia

Peut–être que cette peuplade qui la nomma, et qui fut appelée i Peligni, n’eut pas, à la longue, gain de cause contre les Romains. (Comme pourtant j’aimais tellement y croire, et le répéter, à ceux qui voulaient bien m’entendre...)

Néanmoins il faut sans doute aucun rappeler,  que – dans les années qui suivirent le dernière après–guerre – les jeunes Pratolani, furent les premiers à s’aventurer au–delà de l’Océan, dans ce qui fut, pour eux, une sorte de rêve immense : une sorte de fatale ruée vers l’or… mais également vers l’inconnu… aboutissant à cette terre promise, qui était, pour eux, le Venezuela. Et cela, sans savoir parler, même pas un seul mot de sa langue,  (ni d’ailleurs de la langue italienne, non plus), sans un rond, et sans avoir jamais voyagé au–delà de la petite, étouffante, sévère ville de province, à seulement 7 kilomètres de leur village…  Sulmona – que les bandes de jeunes voyous de Pratola aimaient rejoindre, pour s’évader. (Ils s’y rendaient comment ? Par le train ? À pieds ?)

Même l’un de mes cousins du côté de la famille pauvre de mon père, à l’aventureux prénom de Riccardo – par beaucoup jugé lui aussi un voyou, et dont le père exerçait le métier de menuiser et était renommé pour ses étonnants cercueils en bois sculpté – même Riccardo, donc, poussé par ses rêves, et par les rêves ambitieux que sa mère nourrissait pour lui,  et qu’elle plaçait  en lui – le premier enfant mâle, de sa flopée de fils et de filles – s’embarqua pour les Amériques. (Mais d’où s’embarqua–t–il, avec tous ces autres ? Du port de Naples, peut–être ?)

Moi, à l’époque, j’étais tout à fait heureuse, comblée, de cette chance inouïe qui me laissait vivre, et mouvoir dans ce grand espace, qui était pour moi,  Pratola Peligna. Car j’y vivais presque toujours, jouant dans la liberté de places et rues. Mais nous, ma famille et moi, j’entends, nous n’y demeurâmes pas très longtemps, à Pratola. J’avais six ans, lorsque – à mon grand désespoir – nous fûmes obligés tous : mes parents, mon frère Alberto, Maria, et moi, de  déménager dans l’austère, si amère Sulmona. Cela, afin qu’Alberto puisse poursuivre ses études secondaires.

Avant de nous y rendre pour y vivre, mon père m’y amena, une fois. Et j’en gardai un très heureux souvenir. Car, et pour la première fois, j’y avais découvert le tram, et puis, et surtout ! parce que mon père m’avait acheté au kiosque, Il corriere dei piccoli,  tout plein de beaux dessins colorés. Or, ce qui m’avait le plus étonnée et impressionnée, dans Il corriere, c’était sa mystérieuse odeur. Son parfum  de papier imprimé.

Aussi ses jardins publics, j’avais beaucoup admirés, à Sulmona. Or, en Italie, ou mieux  là–bas, on les appelle « la villa communale ». Et tandis que, au village, tout n’était que poussière, à Sulmona – aux anciennes, si sévères demeures aristocratiques, que j’aimais pourtant, tout en les redoutant –  sa villa communale se déroulait toute en longueur… par 2 allées… i viali… dont l’un, on l’appelait il viale degli innamorati, l’allée des amoureux. Moi, j’y irai, prendre place, m’asseoir sur un banc, pas loin de la rotonde, secrètement habitée par la bouleversante joie, d’être devenue moi aussi une femme.  Lorsque, ayant eu mes premières règles (dont je ne connaissais même pas l’existence), je ressentis avoir pleinement le droit, de m’y poser.Et de plus, elle, cette villa communale, était toute comme lumineuse… illuminée qu’elle était, par ses arbres verdoyants… et parsemée toute, di aiuole fiorite…  bordées de bossi bien taillés… que j’aimai tant, et j’aimerai toujours… à la folie.. pour ainsi dire…

Peut–être qu’on m’y amena également une autre fois, à Sulmona. Non pas, mon père. Qui ? Je ne m’en souviens plus. Néanmoins, je me remémore ce qui fut mon étonnement heureux, lorsque j’y découvris un palmier… un vrai palmier.. un arbre que jamais auparavant je n’avais vu… dont je ne connaissais pas l’existence…

Toutefois, ma vie toute entière, mon cœur d’enfant, appartenaient tout à fait à Pratola Peligna, où l’on m’attitra, où l’on me laissa posséder, même une petite chèvre, dont maman me fit cadeau. Elle était toute noire, avec une petite étoile blanche sur son front. C’est pourquoi, sans tarder, je la baptisai Stellina. Et, au retour de cette campagne, que j’aimais tant pour sa cabane en terre, et son figuier, et  ses vignes de grappes rouges et blanches, au retour de cette campagne qui s’appelait la Marsicana (du nom des Marsi, ses anciens habitants), et que je ne redoutait pas comme l’autre (si humide !) qui se nommait d’un  nom si terrible ! la Fossa del Lupo, au retour donc de la Marsicana, on nous laissait, Stellina et moi, avancer en premières : devançant, devant  tous les autres.

Et il arriva même, qu’ une fois, je me remémore… je risquai de connaître la Mort… là… à la Marsicana... Car, pour y entrer, ou en sortir, il fallait enjamber un ruisseau–petit–torrent, à un lieu précis, où on distinguait à peine 2 bas piliers, quasi enfoncés dans le sol, et recouverts d’une mousse traîtresse vert foncé. Là,  il fallait y poser très attentivement son pied, pour passer, bondir, sur l’autre rive…

Or, moi, une fois, je voulus réellement l’enjamber toute seule, et courus, courus, devant tous les autres, et hors d’haleine, pour ne pas être rattrapée, et retenue, posai mon pied, glissai, et (je me remémore parfaitement), la violence des eaux me retourna de et dans les flots, me noyant presque.

Je ne sais plus qui, parmi la nombreuse progéniture d’Ottaviana, me sauva la vie. Mais je revois encore, et avec une infinie exactitude, toute la scène. On alluma un feu, pour que je puisse me réchauffer. On m’enveloppa dans  un vêtement sec, et Ottaviana, en rigolant de ma haute bravoure, me serra fort, contre sa forte poitrine…

Ottaviana… dont la très vieille belle–mère, assise  sur une toute petite chaise empaillée, devant la porte de leur maison, filava la lana… con la conocchia… (con il fuso ? )…  filait la laine, et avec la quenouille… (avec le fuseau ?)…Tout à fait comme dans ces images que mes yeux, si brillants du désir d’apprendre, et de comprendre, poursuivaient dans les livres de contes de fées… Je l’ai vue…. Oui… De mes propres yeux, l’ai vue… On disait d’elle, qu’elle avait 100 ans !...

Bon ! J’aimais si fort Pratola Peligna (je ne le saisis,  je ne le comprends qu’aujourd’hui, après autant d’années, après un si grand éloignement du Temps), parce que je la sentais vivante, nourrie d’autant d’imaginaire. (Ou peut–être faudrait–il dire : d’autant d’imaginaires… au pluriel… Des imaginaires se nichant, et parlant par la bouche de chacun de ses êtres, une parole si humaine… car, si comblée de créativité.) Et dans cette vie si libre, si aventureuse, que j’y menais, avec mes petits camarades de jeux, j’allais, j’allais continuellement, par une sorte de mouvement, une sorte de joyeuse ronde inépuisable ( : inlassable ?), j’allais à la rencontre, à la découverte ravie,  de cet Imaginaire, si proche de Mère–Nature. M’en réjouissant senza sosta… sans attendre…. Et sans les dévoiler, ces songes de mon cœur, sans les  conter à personne... même pas à maman...  

Parfois, cet Imaginaire à la vie vivante, de nous tous, là–bas ( : les affinités électives de nos Imaginaires ?) était même lourd à supporter. Comme il m'arriva alors... au pied de cette maison qui me terrorisait, parce qu‘elle avait tout en haut, sous et tout le long du  toit, delle finestrelles, pour ainsi dire, ricamate – des toutes petites fenêtres brodées, et à arcades, tout comme dans ces habitations dites moresques, qui, je ne sais pas pourquoi, m’ont si longtemps paniquée. (À la suite de ces chants  paysans sur les invasions turques,  dans le Midi de l’Italie ?)

Car, c’est là, précisément là, non loin de chez nous,  sur la raide descente qui menait au redouté portail de cette maison, que le vieil homme, bossu, devint la risée, l’objet de risée, de tous ces enfants en haillons, qui se mirent à lui jeter des pierres… en se moquant fort de lui...

Et c’est également là que, prenant la relève de toi, père, à savoir, en imitant celles qui me paraissaient être tes Hautes Gestes, je me précipitai devant ( : aux côtés de ?) cet homme, et réussis à éteindre, et à chasser, toute cette risée… de ces enfants moqueurs... (Comment je m’y pris ? Que puis–je bien leur dire ?) Ma mère sut tout cela de cet être bossu, qui alla la remercier, et lui conta ces événements, per filo et per segno.

Je viens de dire que je t’imitai mon père. Oui… c’est vrai. Car, s’il est peut–être vrai, que notre prénom, le prénom qu’on nous donne, signe notre destinée dans l’existence, le prénom de mon père, était : Rocco, le saint protecteur des lépreux. J’ai vu son image, l’image de San Rocco ( : mais où ?), debout, et qui, sans crainte, soulève un pan de ses haillons, pour montrer ses plaies. (Serait–ce pour cela, que toi, père, tu aimas tant  Dostoïevski, et défendis avec autant de passion, persécutés et meurtriers des Abruzzes ?)

Or, s’il est vrai (et je le pense) que notre prénom nous assigne le chemin que nous allons parcourir ( : poursuivre ?), en secrète correspondance au désir formulé en leur cœur, par celui ou par celle qui vous l’assigna, il faut tout de même dire, ajouter, que mon prénom, Ant–onella, ne fut pas choisi par père, ni par maman non plus. Maman… qui ne désirait pas du tout, accoucher d’un deuxième enfant. Ni – ce qu'elle redoutait le plus ! – accoucher d’une fille, qu’elle craignait ne pas savoir élever. (Ne pas savoir lui dévoiler la connaissance des secrets de la vie sexuelle ?) Maman, qui avait choisi, dans un premier moment, de me donner le prénom de  Don–atella.

Ce fut grand–mère Camilla, qui choisit mon prénom, assez rare à l’époque, et qu’elle avait rencontré au cours de ses inépuisables lectures de livres, en italien ou en français. Et elle le proposa à maman, qui était une  fervente admiratrice de Sant’Antonio de Padoue, protecteur des orphelins, et à qui elle (si superstitieuse !) s’adressait, pour qu’il lui fasse retrouver toutes ces choses qu’elle, dans sa distraction, et dans son empressement, ne faisait qu’égarer.

Mais alors : ce désir, mon désir d’écrire, et de me signifier existentiellement par l’écriture, un désir que j’estimais surgir des désir conjoints de mon père et de ma mère, jaillirait–il donc et également, du désir de grand–mère ? Elle, prénommée Camilla, par sa mère Charlotte, qui savait bien que ce prénom de Camille, dans sa langue maternelle, peut signifier soit un garçon, soit une fille. Or grand–mère Camilla, à mes yeux d’enfant, fut  véritablement une sorte de femme virile… telle les femmes de l’Antiquité romaine… de la République de Rome… la vergine Camilla… Cela, à mes yeux d’alors… assurément trop jeunes, pour pouvoir et savoir en percevoir aussi  la vengeresse cruauté…

Grand–mère Camilla, oui, qui me fit connaître, et feuilleter (et jamais je ne l’oublierai), non pas les contes pour enfants, mais  ce volume si gros, si lourd, enfermé à clef dans l’une de ses mystérieuses armoires : le volume de La Divina Commedia illustrée par Gustave Doré… Grand–mère Camilla, qui me laissait également feuilleter, sa superbe collection de cartes postales : en carton, en métal, en cuir… Grand–mère qui, bien que toujours habillée des mêmes robes longues, en soie, bleues ou noires, agrémentées de petits dessins blancs, recevait des journaux de mode, qui lui parvenaient… de France ?… Et, aux côtés de laquelle, debout, mais m’appuyant un peu sur ses genoux, tout à coup silencieuses, toutes deux, j’écoutais moi aussi, le parler, les dires inconnus, de cette radio française, dont elle se mettait à l’écoute… attentive… fidèle…  le soir… au tomber de la  nuit…

Or, il ne faut pas l’arrêter, s’arrêter, il ne faut pas que je m’arrête, en cette quête, paraît–il, dictée par le destin… une quête, que nos prénoms peuvent ( : sauraient–ils ?) nous dicter… en nous y guidant... (En nous l’imposant, également ?).

… on me choisit bien 5 prénoms, pour mon  baptême. Mais père (à l’apparence trop submergé par le bonheur d’avoir obtenu du ciel ce qu’il désirait le plus, au monde : une fille), en oublia, à l’église, les 4 derniers,  et m’assena ( : afin que je les supporte ?) les prénoms des 4 femmes qui avaient conté le plus, pour lui, dans son existence… (De quel lourd héritage, fallait–il se libérer ! pour pouvoir vivre… )

 Et, j’ai colporté, et colporte, le si beau prénom de ma mère, prémoniteur, annonciateur d’un désir de terres d’ailleurs : Lidia ; le prénom de ma plus jeune tante du côté paternel : Vittoria, qui ne signifiait guère, qu’on ne saurait pas traduire, par Victoria, mais par « victoire », à savoir, l’une des victoires réellement remportée par l’armée italienne,  au cours de la guerre 14–18. Et, puis, pour fermer ce cercle,  les respectifs prénoms de mes 2 grand–mères : Carolina et Camilla, dont je ne connaitrai que Camilla.

Seulement à présent, en explicitant tout cela, je réalise  (je crois réaliser ?), que ce choix du prénom Camilla, apposé à mon nom de famille, pour signer mes textes parus dans Critique, n’était pas dicté  (comme je le pensai alors, sciemment) par mon (seul ?) désir de « réunir », de « pacifier », d’« harmoniser », de quelque façon, ces deux familles auxquelles j’appartenais. Et qui furent si cruellement marquées par leur si sombre, si dramatique, si divergente, appartenance de classe…

C’est également, et encore, et encore, mon labeur souterrain, une sorte d’obscur trajet de l’âme, par lesquels je désirais remercier grand–mère Camilla, par moi si admirée, si aimée, en tant que femme.  Car elle seule  m’apprit, lorsque j’étais si petite, à affronter l’épouvante… l’épouvante dans les arts…  Et qui me fit faire face, aux ténébreuses gravures de Gustave Doré – dont l’art, l’arte (mais je ne le saurai que maintes années plus tard, et ici en France) fut si admiré(e) par Baudelaire, qui l’estima propre à illustrer la page, de ses jalouses Fleurs du mal.

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