En guise de propos liminaire, je tenais ici à remercier vivement André Bitton, représentant très investi au CRPA (cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie) pour son aide, sa générosité et son soutien. Par son truchement et ses médiations, je suis en effet prêt à vous relater l’expérience qui m’anime dans le domaine afférent à la défense de la cause de la psychiatrie, de ses personnels soignants et bien évidemment de ses usagers et ex-usagers.
Dans un premier temps, ce qui nous a frappé, avec André, c’est le formatage du cartésianisme intellectuel qui paraît frapper les élites administratives et médicales de la santé mentale, que l’on se situe à l’échelon d’une directive administrative émanant d’une ARS (agence régionale de santé), d’une mesure soutenue par une direction des ressources humaines hospitalière pour renforcer la tarification à l’acte et la rentabilité économique de l’établissement, ou d’une prescription médicale élaborée par un psychiatre, qu’il soit chef de pôle ou non.
A partir de ces constats tout à fait courants, il paraît évident que la santé publique en France fonctionne avec des œillères et à ce rythme de fonctionnement administratif, le risque est grand de courir à une impasse thérapeutique concernant le soin, la care et le souci de l’autre. C’est à ce degré élémentaire de la réflexion quasiment empirique qu’il me paraît pertinent d’aborder quelques remarques philosophiques à l’appui de trois auteurs qui ont marqué l’histoire de la pensée occidentale.
Peut-être avez-vous entendu parler dans la scolastique médiévale de Saint-Anselme et du dilemme de l’âne de Buridan, ce quadrupède sympathique qui meurt d’inanition devant le double choix qu’on lui propose, avec un sac d’avoine sur sa droite et un sac de son sur sa gauche, car il est tout simplement incapable de faire un choix devant l’alternative qu’on lui propose. Quel sera l’avenir de la psychiatrie dans trente ans à l’échelon mondial où 1/5 des populations devraient être concernées par la montée en puissance de l’utilisation des psychotropes ? Même si l’on met en place une politique de l’offre hospitalière avec une mise à contribution accrue des laboratoires pharmaceutiques dans les processus de soins et de rétablissement des patients psychiatrisées, le risque est grand de voir l’hôpital public victime d’une embolie financière, tout simplement parce que la prise en charge des individus en situation de souffrance psychique risque de créer un puissant découplage entre le soin en tant que tel et les ressources psychiques des individus qui iront en s’amenuisant faute d’un traitement adapté et d’une méconnaissance initiale de la psyché ou de la mécanique humaine.
Si les protocoles médico sociaux mettent en place d’un côté le soin et une provision de psychotropes démesurément inadaptée aux besoins profonds de la personne en échange d’un filet de protection économico-social avec l’AAH, dans tous les cas le risque est grand de ne rien régler quant au fond, avec des assistés victimes d’une assistance publique allouée au rabais. L’ère de l’État-providence est désormais close. Le patient psychiatrisé et chronicisé risque donc de se trouver un peu coincé comme l’âne de Buridan, il risque dans tous les cas, à défaut de mourir, de s’enfoncer dans une misère personnelle indicible.
Les deuxième et troisième références philosophiques plus contemporaines que je voudrais ici invoquer avant de serrer d’un peu plus près le sujet de mon intervention ici, où je vais vous relater mon expérience de représentant associatif à ESQUI (cliquer sur ce lien) et de représentant des Usagers au directoire des HPEVM (Hôpitaux - Paris - Est Val-de-Marne), ce sont celles de Friedrich Nietzsche et de Raymond Aron. A l’instar de son prédécesseur Schopenhauer, dans le même pays, l’Allemagne, qui était devenu post romantique dans l’ère de la production des idées et qui n’était déjà plus celle de l’Aufklärung (siècle des Lumières, 18e siècle), l’introducteur du Gai Savoir avait mis en place une morale de maître, dans la Généalogie de la morale et il avait mis au point tout un cycle de destruction créatrice avec le jeu dionysiaque que je vous invite à redécouvrir dans ses écrits. A la marge de cette intervention, je vous recommande cette lecture à usage interne pour rêver un peu et forger votre esprit critique. Mais n’ayant pas l’audace intellectuelle de Nietzsche, je préfère me ranger derrière le postulat plus classique de la soumission aux instances hospitalières officielles où est généralement confiné le représentant des usagers et suivre ici l’exemple de l’intellectuel et sociologue Raymond Aron qui osait dire, à la lumière des lectures de Marx et de Hegel, mais en contrepoint de celles-ci, à l’appui de cette citation : « les hommes savent qu’ils font l’Histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font ».
Si l’on part en effet du postulat que ce sont les élites médico-administratives qui guident les lignes de force de la restructuration hospitalière, force est de constater qu’il demeure extrêmement hasardeux d’ériger un modèle de prévision concernant la prise en charge et le suivi des individus porteurs d’un handicap psychique. Là encore, ce constat, partagé avec André Bitton, est que l’on assiste à la mise en lumière d’un gouffre entre les textes, pléthoriques et inégalement suivis d’effets et la pratique du terrain auprès des soignants, qui demeurent en première ligne pour cibler les principaux intéressés, c’est-à-dire les usagers de la psychiatrie.
C’est dans ce contexte de pénurie de représentants associatifs que j’ai accepté, à la suite d’une proposition de mon chef de pôle de ce que l’on appelait encore à l’époque les hôpitaux de Saint-Maurice de devenir vice-président puis président de l’association ESQUI entre 2015 et 2019. Comme vous le savez sans doute, Esquirol est un célèbre aliéniste du XIXe siècle dont le nom éponyme a été transposé dans la mémoire même du patrimoine de ce qu’on l’appelle depuis 2025 les HPEVM, qui est le résultat d’une fusion hospitalière recommandée par la loi de 2016 sur les GHT (groupements hospitaliers de territoire). La refonte de la carte hospitalière a donc été au cœur de mon engagement militant à l’échelon du secteur puisqu’il m’a été possible de retracer les étapes de ce processus aboutissant à un quasi renoncement tacite de la politique de secteur, qui prônait l’ouverture à la ville de l’hôpital, le rapprochement entre soignés et soignants par le truchement d’une alliance thérapeutique avec le médecin spécialiste et prescripteur, et enfin la diversification des structures d’encadrement susceptibles d’aider les patients dans la reconquête de leur rétablissement tels que les CATTP (centres d’activité thérapeutiques à temps partiel), clubs et cafés thérapeutiques, hôpital de jour, activités diverses gravitant autour de la vie des CMP (centres médico psychologique).
Ainsi, pendant environ cinq années, j’ai animé et coanimé avec le trésorier, la secrétaire et le vice-président de mon association les débats qui pouvaient s’articuler autour de la santé mentale, de ses relais dans la cité et des actions concrètes de soutien. Mais force est de constater que j’ai été amené moi-même, pour représenter l’association dans un Conseil local de santé mentale (CLSM) du Val-de-Marne, à devenir une machine à produire des discours pour justifier les recommandations de l’OMS, car je vous le rappelle, un conseil local de santé mentale reste une déclination territoriale d’une structure spatiale de soins dont le but officiel est de créer un lien de proximité entre le soin et les habitants d’un regroupement de communes apparenté au secteur. Un CLSM est donc une instance institutionnelle dont l’efficience reste encore à prouver dans la durée.
J’ai eu tout de même la très rare opportunité pendant ces années de participer en intra à des réunions mensuelles de pôle, des conférences mensuelles de pôle et des journées annuelles de pôle qui n’étaient pas encore en liens avec les SISM annuelles (les semaines d’informations sur la santé mentale). Là encore, beaucoup d’observations de ma part, quelques discours dont l’un restera gravé dans ma mémoire car j’avais eu l’opportunité de me positionner intellectuellement contre le processus des GHT (groupements hospitaliers de territoire) et de la fusion hospitalière à la suite d’un remarquable rapport administratif disponible sur internet, produit par l’IGASS (Inspection générale des affaires sanitaires et sociales).
Mais au-delà d’une reconquête de l’estime de soi, de la découverte d’un jeu assez intéressant d’interactions sociales que retenir de ces années d’engagement associatif ? Dans un premier temps, avec beaucoup de recul, je dirai que je m’interdis désormais de mettre en avant un quelconque récit de vie qui mettrait en avant ou à nu ma pathologie psychique, car cet exercice – s’il peut partir d’une intention sincère – constitue en réalité une arme à double tranchant : si celui-ci peut constituer un véritable espace d’ouverture pour un partage d’expériences liées à la pathologie, force est de constater que la singularité, la trajectoire unique et donc non reproductible des expériences individuelles vécues dans le giron d’une stabilisation intérieure éprouvée grâce aux psychotropes font que les chemins du rétablissement restent par essence non transmissibles à un tiers. Chaque chemin est unique et le récit de vie, aussi édifiant, soit-il atteint rapidement ses propres limites structurelles. Après en avoir composé quatre ou cinq, on finit par se lasser de ce jeu d’écritures, et, à l’usage, le risque demeure non négligeable de tomber dans le nombrilisme ou un certain narcissisme.
C’est ainsi que, dans ce contexte d’engagement militant et associatif, sur proposition de mon chef de pôle et après accord de la directrice de l’hôpital j’ai été reconnu depuis 2023 jusqu’à octobre 2026 comme membre invité puis Représentant des Usagers au Directoire des HPEVM. Avant de dresser un bref descriptif de mes interventions dans cette instance consultative, je voudrais rappeler quelques points de repère pour mieux appréhender la gouvernance d’un hôpital public.
La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) du 21 juillet 2009 redéfinit les instances de gouvernance des établissements publics de santé. Les hôpitaux sont désormais dotés d’un conseil de surveillance et ils sont dirigés par un directeur, assisté d’un directoire. Les activités de gestion de l’hôpital qui incombent au directoire sont séparées des activités de contrôle, confiées au conseil de surveillance. Le directoire, présidé par le directeur, approuve le projet médical, prépare le projet d’établissement et conseille le directeur dans la gestion et la conduite de l’hôpital. La plupart de ses membres sont des personnels de santé de l’établissement, qui peuvent ainsi influer sur la vie institutionnelle de celui-ci. Les réunions, qui durent environ deux heures, sont mensuelles et elles permettent de s’informer sur la vie de l’hôpital, où sont examinés les modalités de fonctionnement et de gestion de cette cellule territorialisée.
En somme, j’aime souvent dire qu’un directoire fonctionne à la manière d’un conseil municipal, à cette seule différence que ses membres ne sont pas élus et qu’ils n’exercent en pratique aucun pouvoir décisionnel et délibératif.
A la lumière de ces éléments, on peut donc s’interroger sur quel type de participation les usagers de la santé mentale peuvent s’appuyer pour s’impliquer à la hauteur de leur suggestions ou interventions dans les processus décisionnels qui concernent la santé publique. Il convient de rappeler comment la Haute Autorité de Santé a défini la notion d’engagement, qu’elle considère comme un continuum allant de l’information jusqu’à la codécision. Siéger au directoire permet ainsi de s’informer par exemple sur les statistiques de la contention, pôle par pôle, sur la manière dont se met progressivement en place les directives anticipées en psychiatrie, mais aussi de manière tout à fait confidentielle, comment les stupéfiants circulent à l’hôpital parmi les patients, comment une psychiatrie sécuritaire peut être évitée, malgré les procédures de contrôle et de vidéo surveillance qui sont projetées à l’intérieur des enceintes de l’établissement. A titre personnel, tout en évitant un risque de collusion, pour ne pas m’exposer aux préconisations restrictives de l’ARS, j’ai toujours cherché à bien dissocier mes activités militantes et associatives dans le domaine de la santé mentale de mes fonctions de RU. C’est ainsi que, sur la base des fonds de trésorerie de notre association ESQUI, qui ne peut plus être taxée d’association passive ou miroir, c’est-à-dire totalement inactive et dépendant totalement des subventions de l’hôpital, nous avons décidé de mettre en place des projets modestes pour la défense des droits des patients hospitalisés en intra, comme la mise en place d’intervenants juristes à la maison des usagers. Ce projet devrait bientôt être conclu dans le cadre d’un accord tripartite avec l’association Droits Pluriels, la direction de l’hôpital et l’association.
A titre personnel, et dans un tout autre domaine, dans l’attente d’une consultation avec les autres membres d’ESQUI je souhaiterai également promouvoir prochainement l’intervention de spécialistes en musicothérapie pour favoriser l’expression artistique et le mieux être des patients hospitalisés.
Pour conclure ce long narratif relatif à mon engagement dans les instances hospitalières et y adjoindre quelques éléments de réflexion supplémentaires, je voudrais ici rappeler combien il est capital de mettre en œuvre intérieurement et extérieurement des ressources d’expression de soi-même et de créativité pour mieux décrire la situation de l’hôpital psychiatrique en France, qui reste caractérisé par une pénurie de psychiatres, la fermeture de lits, le recours à l’intérim pour pallier les manques de personnels, qu’ils soient des soignants ou chargés de l’entretien ménager des pôles, comme les AESH. Ne nous voilons pas la face. Nous assistons à l’usure ou à l’obsolescence d’un modèle de soins qui nous donne l’impression de partir à la dérive, nonobstant les progrès des prises en charge en soins en ambulatoire, qui permettent d’extraire le patient d’une hospitalisation en intra, souvent synonyme d’une privation de libertés individuelles.
C’est donc à partir de ces derniers constats que je vous soumets la lecture d’un article de mon cru, à connotation poétique,qui est paru dans la revue l’information psychiatrique de septembre 2025 et qui dresse un focus sur la situation des HPEVM du point de vue d’un patient qui restera toujours redevable d’un modèle de soins et d’un service public à la française synonymes d’un suivi psychiatrique régulier.
Le texte suivant porte sur le restructuration du site historique des Hôpitaux de St-Maurice, autrefois appelé Asile de Charenton.
Histoire des Hôpitaux de St-Maurice ( cliquer sur ce lien)
Si un chantier naval fabrique des navires qui vont fendre les flots, la psychiatrie est un autre monde qui est censé produire des soignants et rétablir des patients qui deviendront plus tard des usagers en quête de rétablissement, un mot bien conventionnel dont le sens ne doit pas nous méprendre car il est loin d’être une sorte de « graal » figé dans un futur immédiat. Je suis peut-être arrivé au midi de ma vie mais il me revient ce soir cette chansonnette d’enfance « il était un petit navire (x2) … qui n’avait jamais navigué … » … Et Dieu seul sait si la psychiatrie est une discipline exigeante, longue, coûteuse et répulsive pour toutes celles et ceux qui ne s’y sont pas frottés de près. En somme, elle se rapproche d’une thérapie au long cours pour patients chronicisés. Tous ces petits navires qui vont devoir bourlinguer de par le monde découvriront les poisons et délices des ajustements de traitement particulièrement exigeants à maintenir dans la durée et pour éprouver leurs coques, gouvernails et gréements, ils devront parfois être à quai pour effectuer les radoubs.
En Ile-de-France, ce port d’attache possible s’appelle l’hôpital Esquirol, désormais coiffé d’une terminologie administrative supra sectorielle, les Hôpitaux de Paris-Est-Val-de-Marne (HPEVM). Et dans ma souffrance réduite à l’épreuve d’un strict individu confronté à son rapport au monde, j’ai eu effectivement la chance de connaitre les bâtiments coiffés dans leur écrin patrimonial (classés aux monuments historiques), arbustif (des arbres centenaires qu’il convient de préserver) et thérapeutique (des espaces ambulatoires, présupposé nécessaire à toute sortie de l’hôpital). Ce triptyque trouverait sa correspondance dans une devise : respirer, se déplacer et guérir vaille que vaille, car la vie est tout de même une expérience exceptionnelle qu’il convient de ménager le plus loin possible. Aujourd’hui, ces joyeux équilibres ternaires sont gravement mis à mal par un projet immobilier qui vise à « optimiser les flux » et à accroître au m2 dans de nouveaux bâtiments le nombre de patients disponibles réunis sur un seul site. Les personnels soignants ne font pas recette en termes d’effectifs car ils sont trop peu nombreux et le projet de la direction n’est pas particulièrement séduisant car il risque de saboter la végétation et les arbres au détriment d’un cadre paysager qui était pourtant bien appréciable. Avec du béton, on peut tout faire, même remplir un cahier des charges mais ce constat est tout de même particulièrement blessant intérieurement car avec l’onction des « grands travaux », on retrouve un nouveau triptyque beaucoup moins enchanteur : « produire plus pour parquer plus de patients et rentabiliser l’équation immobilière ». Mais d’autres solutions existent et il appartient aux décideurs de les trouver autrement que par des « oukases » quelque peu brutaux. C’est à ce prix que l’on parviendra à maintenir le lien entre la respiration, la déambulation et la stabilisation des humeurs.
Références :
2025-11-08 - Un faux semblant de démocratie sanitaire en psychiatrie : l’exemple des CDSP
Pour citer le présent article : http://psychiatrie.crpa.asso.fr/257
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