Billet de blog 22 avril 2012

guy Baillon

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Les usagers-patients de la psychiatrie font appel aux futurs élus. (2)

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Les usagers-patients de la psychiatrie font appel aux futurs élus. (2)

Guy Baillon, psychiatre des hôpitaux

La souffrance des usagers. Source aussi de créativité

Cette souffrance est complexe. Il appartient aux usagers de l’exprimer. A nous de les écouter.

 Je me permets seulement ici de témoigner de ce que j’ai compris pendant plus de 10 ans après ma retraite, qui était fort différent de ce que j’avais vécu comme psychiatre de secteur. Ce compagnonnage auprès des associations d’usagers, de leur Fédération, la FNAPSY, et des GEM après 2005, m’a fait découvrir l’ampleur de cette souffrance. Elle ne peut être limitée, comme je le croyais, à l’expression de certains troubles graves comme l’angoisse et la dépression, et être dite absente lors des délires.

Il nous faut être attentifs aussi à d’autres souffrances, que nous pouvons appeler ‘subjectives’, elles sont permanentes, variables de l’un à l’autre, proches de cette souffrance existentielle que nous connaissons bien, mais d’une toute autre importance.

Jusqu’à une étape récente d’autres acteurs que les usagers avaient l’habitude de prendre la parole à leur place. D’abord les psychiatres de 1800, naissance de la psychiatrie, jusqu’à la guerre, mais ne prenant en compte que la souffrance objective associée aux troubles. A partir de 1962 les familles en créant l’UNAFAM ont pris le relais. La psychiatrie de secteur, demandée en 1960-72 par les psychiatres pour mettre un terme à l’abandon des malades par la société dans les asiles inhumains, a permis aux patients de retrouver peu à peu une vie sociale. Ce sont les difficultés rencontrées dans cette vie par les patients qui les ont incités à se mobiliser eux-mêmes, en ‘usagers’ se regroupant en associations locales d’usagers de la psychiatrie, la plupart sans hostilité envers les psychiatres se sont rassemblées en une fédération, la FNAPSY, en 1992 (avec le soutien de quelques acteurs éminents, l’audacieux Pr Edouard Zarifian.)

Ce fut leur première révolution, les usagers sont devenus un acteur social fort. La FNAPSY a eu l’intelligence pour mieux peser dans l’échiquier politique de s’unir à l’UNAFAM pour co-signer le « Livre Blanc Santé Mentale France » en 2001, avec le Président de la Conférence des Présidents de CME (représentant l’ensemble du service public de psychiatrie), et la Croix Marine, solide programme qui a inspiré la loi du 11-2-2005. Cette loi, reconnaissant l’existence du handicap psychique et ses compensations sociales, est venue compléter l’édifice de la Santé Mentale offrant aux patients-usagers la diversité des réponses à leurs besoins en continuité : associant soins, prévention et action sociale. C’est dire le rôle joué par la FNAPSY pendant ces 10 années.

Mais, brutalement en janvier 2011, l’UNAFAM a rompu cette union (nous savons tous très bien que la majorité des familles ne se reconnaissent pas dans de tels choix politiciens), sans préavis, elle a tourné le dos à la FNAPSY en publiant un Plan Psychique établissant, seule, un contrat avec l’Etat : ce plan a remplacé le mot ‘usager’ par ‘malade mental’ (ainsi infériorisé) et a proposé à l’Etat de placer dans tous les lieux de soin des familles comme ‘surveillants’ (rémunérés sur le budget des équipes de secteur) !

Il est possible d’affirmer aujourd’hui que cette rupture décidée par l’UNAFAM est une chance pour la FNAPSY, c’est sa seconde révolution, la libérant de la dernière tutelle, celle des familles. (La France est un des seuls pays où les usagers ont une Fédération indépendante, ailleurs –anglo-saxons, Canada- ils sont mêlés à des familles et divers bénévoles qui les tiennent sous tutelle, ce qui ne leur permet pas de se libérer).

Aujourd’hui le rôle de chacun est clair, car bien distinct : usagers, familles, psychiatres, acteurs sociaux, Etat. Leurs alliances vont pouvoir être refondées grâce à cette clarté.

Dans le champ social il est possible par exemple de mettre fin à la confusion apportée par leterme ‘aidant’, généreux en apparence, mais qui en fait établit une dépendance par la hiérarchie qu’il institue sur l’aidé. Il faut savoir qu’il vient de la gérontologie (la maladie d’Alzheimer et ses atteintes cellulaires) pour soutenir des personnes aux troubles physiques et relationnels croissants. Une aide est là indispensable. Mais pour le handicap psychique elle masque une mise sous tutelle de l’ ‘aidant’ sur l’ ‘aidé’.

L’usager de la psychiatrie au contraire souffre de sa mise à l’écart sociale, et a besoin d’une autonomie immédiate (c’est bien l’idée du ‘handicap’ qui étant attribué à l’usager, lui permet de se sentir sur la ligne de départ sur un pied d’égalité avec tout citoyen). Ceux qui sont à ses côtés doivent être nommés « accompagnants », et ne seront pas tentés ainsi de vouloir tout faire à sa place.

Cette révolution permet de resituer la famille à sa vraie place, non en terme faux d’aidant, mais dans leur rôle fondamental, celui de leur amour, qui ne saurait justifier d’être rémunéré ! Le souci fondamental de la famille rejoint alors celui de l’usager, acquérir une vie autonome, non pas en installant une nouvelle dépendance, mais en travaillant d’emblée la séparation avec la famille, étape essentielle pour qu’il crée à son tour une famille.

La force de la FNAPSY est de mettre à la disposition des usagers un nouvel appui grâce, en réalité à une ‘expérience complémentaire : celle d’un « collectif de ‘pairs’ », leur apportant un nouveau savoir-faire d’une grande force. La FNAPSY est constituée en effet de multiples petites associations locales à dimension humaine, d’usagers, certains se regroupant par troubles similaires, mais le plus souvent entre amis unis aussi par leur proximité géographique ; c’est cette proximité qui leur fait partager les petites et grandes difficultés de la vie quotidienne, petites angoisses et grandes fuites d’eau, ou ces lettres administratives qui déstabilisent tellement ; ceci entre amis que l’on connaît depuis un bon bout de temps et qui ont vécu les mêmes enfers du doute, de la peur, de l’isolement, de l’hostilité environnante ; ces échanges n’ont de force que parce que leur proximité leur permet de constamment vérifier la présence des autres à portée de main, et de voix ; le collectif leur donne l’occasion de mettre des mots sur leurs souffrances, et ainsi de ne plus se sentir seul, de faire des choix collectifs de plaisirs, de revendications , le collectif leur donne une place dans un groupe, ce qui est une étape considérable. Tout cela est possible parce que c’est simple puisque cela se passe entre ‘pairs’ en qui on a confiance (Les associations d’usagers qui se disent ‘nationales’ écrasent toute cette dynamique, obligeant à des déplacements complexes qui déstabilisent les usagers, du coup le relais est pris par des non-usagers qui parlent à leur place et ‘prennent leur place’). Une Fédération de petites associations, s’appuyant sur la vitalité et la diversité de ces petites associations, permet le grand rassemblement annuel de l’AG qui donne le poids politique nécessaire à leur reconnaissance, grâce aux élections déléguant le débat à quelques membres élus de ces associations locales, c’est une école de la démocratie.

De plus en plus d’usagers, mis en confiance par leurs pairs, parlent facilement de leur vie, même écrivent et souvent avec talent. J’en connais de nombreux. Il nous revient de leur dire que non seulement c’est important pour eux, mais que cela nous est aussi très utile, car nous comprenons avec eux qu’à chaque fois chacune de leur souffrance est différente, et ne saurait être annulée par des tentatives de classifications.

Ainsi avec le temps on peut mieux percevoir la nature de leur souffrance subjective ; au départ nous percevons que c’est celle que nous connaissons tous, tout au long de notre vie, elle est utile parce qu’elle nous avertit des différentes étapes de cette vie, présente lors de chaque changement, toute rupture, toute perte, tout événement nouveau, elle nous avertit aussi de nos limites, des dangers. Pour les usagers cela semble plus complexe car cette souffrance rend compte aussi de cette réalité psychique si difficile à vivre, à expliquer, que constitue cette présence mélangée de plusieurs moments de vie, l’un plus sous l’emprise de leur part folle, l’autre en rapport direct avec la réalité partagée par les autres. S’y surajoute toute une suite de faits qui pour certains, à certains moments constitue une violence insurmontable, la conscience progressive, ou brutale de la ‘stigmatisation’ par la société, par l’entourage, par les différents membres des institutions ; il en nait parfois une honte brutale ; parfois au décours d’un traitement, ils découvrent l’idée de maladie, mais de maladie psychique ! C’est une atteinte profonde à leurs plus intimes certitudes, leur intégrité, ici brutalement blessée. La conséquence la plus fréquente de cette souffrance est l’isolement et la perte progressive de leurs liens.

Ces souffrances subjectives sont propres à chacun, elles doivent être respectées, elles ont seulement besoin d’être « accompagnées ». Cet accompagnement se doit d’être pudique, respectueux, affectueux, sans trop pour ne pas envahir l’autre par nos perceptions et par notre propre subjectivité.

Ces vécus de ‘décalage’ entre ce qu’ils vivent et la perception un peu floue de ce que vivent les personnes de leur entourage sont occasions de souffrance, la souffrance devant ce flou peut être très pénible, résistant à toute reconnaissance, survenant à tout moment de la vie quotidienne quand il faut faire face à ce qui arrive.

Mais paradoxalement ce sont aussi à ces moments que l’usager fait acte de « créativité quotidienne ». Entre plaisir et douleur, il parvient à s’approprier une donnée de ce moment et à construire quelque chose qui va être un moment une illusion, puis un temps plus tard une réponse concrète différente de ce qui existait avant, donc une création. Se succèdent perceptions inquiétantes et plaisirs devant la possibilité de vivre pleinement quelque chose qui paraissait si étrange l’instant d’avant. (voir les belles pages du premier chapitre du livre de D.W Winnicott ‘’Lectures et portraits’’ NRF, fév. 2012)

Cette rencontre avec la réalité constante mais fragile de la créativité des usagers est certainement la grande victoire remportée par les GEM, du moins les GEM parrainés par la FNAPSY, c’est à dire ceux qui sont conduits par une association dont la majorité des membres et les postes clés sont occupés par des usagers. Il est regrettable que l’Etat, en créant ces espaces d’autogestion pour les usagers, n’ait pas obligé chaque GEM à être parrainé à la fois par la FNAPSY, l’UNAFAM et la Croix Marine, tout en laissant la place de leader à la FNAPSY. Sans elle il est clair qu’il ne peut y avoir d’autogestion ; les parents ont créé un maximum de GEM avant les autres parrains, sans attendre que se constitue un groupe d’amis initial qui est pourtant le noyau fondateur, là ils ont repris leur certitude que leur enfant ne peut rien faire seul, les soignants de leur côté aussi, … dans ces GEM les usagers reperdent leur liberté, … Ensuite la tentative d’évaluation faite par l’Etat a bien mis en évidence le rôle du parrain : moteur (la FNAPSY) ou frein (UNAFAM, Croix Marine), de ce fait aucune évaluation n’est fiable actuellement.

Nous pouvons pressentir que la FNAPSY ne fera pas des GEM une question de vie ou de mort pour elle. Certes elle regrettera beaucoup que les GEM disparaissent, transformés en clubs privés philanthropiques ou en structures de soin. Elle a toujours dit que ce qui lui importait était son rôle de militance.

Mais la FNAPSY sait par expérience que les petites associations d’usagers qui se rassemblent en son sein sont déjà et seront toujours des espaces équivalents à des GEM, mais des GEM ‘sans moyens’.

Sur ce point il est assez humiliant de voir que la France ne subventionne pas la Fédération des usagers comme dans les autres pays, et alors qu’elle subventionne l’UNAFAM. Subventionner la FNAPSY permettrait de la libérer de ses tâches administratives disproportionnées avec sa fonction de militance et de conseil.

Nous voyons enfin plus clairement aujourd’hui ce que peut être la relation entre les psychiatres et les usagers sur le plan national : une estime mutuelle.

Un épisode qui a défrayé la chronique en octobre 2009 l’a déjà montré : la Légion d’Honneur accordée par le Président de la République simultanément à une patiente, et à un psychiatre, tous deux ‘élus’ par leurs pairs, la première Présidente de la FNAPSY, le second, Président de la Conférence des Présidents de CME (donc représentant l’ensemble du service public de psychiatrie). C’est ce Symbole fort qui a forcé la main de ce même Président qui avait tenu un discours meurtrier un an avant, et, un an après, a continué sa politique de stigmatisation des malades et de destruction de la psychiatrie.

Ce symbole a bien montré qu’il y avait là une révolution : le patient et le psychiatre se tenant par la main, et honorés pour avoir créé ce lien.

La psychiatrie de service public outre ses soins personnalisés pour chaque patient doit reconnaître  aux usagers réunis en collectif cette capacité citoyenne de se rassembler en association et de témoigner là d’une autre façon, collective, de ses souffrances et de ses droits, et d’être ainsi en mesure de les dépasser. N’est-ce pas la meilleure gratification mutuelle pour chacun des acteurs de la Santé Mentale ? Car les usagers se montrent là enfin libérés des chaines que la maladie et la société ont accumulées sur eux. N’est-ce pas ce que cherchent à la fois usagers et psychiatres (représentant les équipes), et aussi les familles en général ?

Dans une France qui se sera choisi de nouveaux élus nous pensons que les souffrances des usagers de la psychiatrie seront aussi entendues. Ces élus tenant compte à la fois de ce qui a marqué l’histoire de notre pays et de la place distincte de chacun dans le champ de la Santé Mentale sauront, ainsi éclairés, redonner à la France un cadre nouveau à la psychiatrie où la solidarité et l’accueil de l’autre seront à nouveau sources de confiance en interne et de rayonnement à l’étranger.

Note : UNAFAM : union des familles et amis de malades mentaux, FNAPSY : fédération des associations de patients de la psychiatrie, GEM : groupe d’entraide mutuelle.

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