Billet de blog 24 avril 2011

guy Baillon

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Hymne à la joie et espoir en l’homme, JC Ameisen au secours des élus et de la psychiatrie !

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Docteur Guy Baillon

Psychiatre des Hôpitaux Paris le 24 avril 2011

Hymne à la joie et espoir en l’homme, JC Ameisen au secours des élus et de la psychiatrie !

Oui c’est un hymne à la joie, un espoir dans l’homme bâti sur un éloge des sciences, toutes les sciences, sciences dures et sciences humaines, comme sur un éloge de la poésie, par l’anthropologue Jean-Claude Ameisen dans son émission du samedi sur France-Inter.

Quel plaisir, pour fêter Pâques, de me permettre de partager avec vous cette joie.

Les députés et sénateurs qui d’un seul parti majoritaire votent, sans vrai débat, une loi sur la psychiatrie, vont s’en vouloir toute leur vie d’avoir autant méprisé l’homme par cette loi, ce qu’ils n’auraient pas fait s’ils avaient pris le temps d’écouter JC Ameisen, celui-ci une fois de plus ce samedi nous apporte un merveilleux cadeau à la gloire de l’homme.

Depuis le 2 décembre 2008 et depuis le projet de loi sur la psychiatrie qui lui a succédé je ne sais parler ici que de scandale, d’indignité, de barbarie, alors que je voudrais évoquer la folie de l’homme, et ainsi ouvrir la porte sur une des plus grandes richesses humaines. Nous avons vu récemment que des professeurs de psychiatrie soutenaient au contraire cette loi pour quelques raisons dites scientifiques, allant jusqu’à prendre pour avocat certains philosophes.

Voilà un professeur de médecine, anthropologue, Président du Comité National d’Ethique, Jean-Claude Ameisen, qui dresse une fresque prodigieuse de l’histoire de l’homme et de l’humanité, et montre que, dans la continuité de la pensée de Darwin (« Sur les épaules de Darwin » est le titre de l’émission), nous voyons devant nous se déployer une évolution prodigieuse des sciences, donc de l’homme ! Contrairement à ce que voudraient certains esprits jaloux, il montre que les résultats de toutes ces sciences sont convergents, mais que rien ne peut se comprendre si n’est pas acceptée la priorité de l’homme sur les techniques.

Je n’ai eu connaissance de son livre, Jean-Claude Ameisen «Dans la lumière et les ombres. Darwin et le bouleversement du monde », oct. 2008, fayard qu’au début 2010, au moment où je tentais l’écriture d’un essai « Quel accueil sur la folie ? » dont l’intention était de rassembler les divers acteurs de la psychiatrie, j’ai été aussitôt émerveillé et éclairé par cette lecture. Mais mon enthousiasme a pris une toute autre ampleur après octobre 2010, car JC Ameisen intervient depuis sur France-Inter le samedi à 11h avec une pertinence, une simplicité, une poésie, qui touchent chaque auditeur, tout en nous donnant une meilleure connaissance de l’homme. Cette connaissance est un cadeau, certes pour tout citoyen, mais c’est une « obligation » pour toute personne ayant une responsabilité en France qu’il soit élu et veille aux lois de la Cité, qu’il soit professeur ayant la lourde responsabilité de transmettre des savoirs, en particulier si la psychiatrie est en question, car la folie touche tout de l’homme. JC Ameisen met à mal de nombreuses fausses théories sur l’homme, qu’elles soient philosophiques ou scientifiques, il s’intéresse surtout à l’avancée de nos connaissances.

Ce 23 avril 2011 JC Ameisen, a commencé son émission comme d’habitude avec des citations splendides, variées, autant philosophiques, scientifiques que poétiques (et musicales), (F Cheng, M Blanchot, E Dickinson, M Buber, A Michaels, S Freud, Simone Weil, L Wittgenstein, A Akhmatova, J Semprun, A Damasio, W Blake, N Danziger, P Ricœur, R Girard, A Sen, et une dizaine d’auteurs scientifiques récents de Nature et autres revues les plus pointues) il évoque avec eux une multiplicité de questions dont il montre les liens entre elles : les secrets (biologiques et affectifs) de l’amour, les secrets de la mémoire, de l’oubli, de la répétition (des mots, des gestes, des actions), du flou dans lequel notre esprit peut se trouver, de l’avant des mots et de l’avant le langage, de l’indicible, des sentiments, de l’empathie, de la sympathie, de l’intime (au passage citant Freud il précise que le mot allemand mal traduit en ‘inquiétante étrangeté’ serait plus exact en ‘non-familier’, ce qui éclaire beaucoup les freudiens), du plaisir, du déplaisir, de la souffrance, de la joie, de la peur, de l’émotion, des réseaux sociaux émotionnels, des liens, du racisme (au passage il est cocasse de le voir montrer que le racisme a des racines biologiques qui en définit la présence chez tout homme : nous comprenons que seule la réflexion permet d’écarter notre racisme de base ; c’est là ma reprise personnelle de son propos, mais cela nous aide pour parler avec ceux que nous jugeons plus racistes que nous, même certain parti, ainsi pourrait-on en déduire que ce parti « ne penserait pas », ce qui donne un espoir, … sauf qu’il n’est pas le seul à manquer de penser !). Aujourd’hui en cette émission donc très large, il montre que tout discours qui se veut « monoscientifique » est absurde : la psychanalyse n’est pas écoutée, la biologie seule mène à des culs-de-sacs terrorisants (comme la loi ajoutons-nous) ; il montre que la notion de « programme génétique » n’a pas de sens pour la vie psychique (nous comprenons que contrairement à ce que disent certains psychiatres professeurs et chefs de laboratoires il ne saurait y avoir de gènes de l’autisme, ni des autres maladies psychiques, car tout comportement est toujours le résultat d’un choix humain que fait chacun de nous à chaque moment, quelles que soient les données biologiques de sa personne et de ses troubles). A l’inverse de ces mises à mal d’un certain nombre d’affirmations « pseudo-scientifiques » il montre les convergences entre les différents champs scientifiques, par exemple entre Freud et les découvertes actuelles neuro physiologiques les plus récentes mais aussi entre beaucoup d’autres ; il cite une expérience récente fort réconfortante faite avec les souris, ces souris se sont montrées plus sensibles à la présence de la mère qu’aux médicaments pour lutter contre la peur ! (cela pourrait nous donner des idées, à l’encontre de ce que prêchent les laboratoires sur ce qui est le plus efficace contre l’angoisse de nos chers bambins !). Ainsi le « tout-pouvoir » des médicaments tout au long de cette émission est profondément remis en cause face à l’importance déterminante du choix humain.

JC Ameisen qui aborde donc un très grand nombre de questions, sans désordre, très liées entre elles (et la notion de « lien » est centrale) termine en évoquant, il en avait déjà parlé, la fameuse expérience de « la soumission à l’autorité » faite aux USA il y a près de 50 ans. Elle est fort éclairante pour notre débat actuel : si on demande à des étudiants d’envoyer des impulsions électriques de plus en plus fortes, jusqu’à la mort, à des « malades » observés au travers d’une vitre insonorisée, et qu’on les invite à écouter les interprétations que le « scientifique » donne des propos de ces malades à ces étudiants, la quasi-totalité des étudiants vont suivre les conseils du scientifique et envoyer sans hésiter les impulsions extrêmes jusqu’à la mort (ce qui ne sera pas le cas, savons-nous, puisque les malades sont des comédiens). Jusqu’où peut aller la soumission à l’autorité, jusqu’à abolir tout esprit critique.

Il me semble que ceci vient conforter la constatation de JM Delarue (contrôleur des espaces de réduction des libertés) sur l’écrasement du soin dans les hôpitaux psychiatriques et les prisons, dans la mesure où se trouvent là face à face deux « logiques », la logique « sécuritaire » et la logique « du soin », (j’ai ajouté la « logique gestionnaire »), il montre que la plus forte est la logique sécuritaire, et qu’elle va écraser la logique du soin (d’autant plus qu’elle est confortée par la logique de l’évaluation quantitative).

Grâce à JC Ameisen nous comprenons que ces « logiques » sont en réalité des « autorités » auxquelles les acteurs se sentent « obligés » de se soumettre ; l’autorité est représentée par le pouvoir de l’Etat, et le savoir de l’université, cela nous permet de mieux comprendre le débat actuel, et la puissance de ces logiques qui s’étend hors de toute institution dans la société même : les élus ne peuvent que se soumettre à l’autorité du chef de leur parti, plus encore s’il est chef de la Nation ; les professeurs vont avoir eux aussi une responsabilité considérable, car l’autorité du savoir est la seule à avoir l’audace de rivaliser avec l’autorité du pouvoir. De ce fait leur intervention publique, en dehors des bancs des universités, va avoir un retentissement considérable, chacun pensant qu’ils ont en mains des arguments non réfutables travaillés avec les meilleurs outils (beaucoup de familles ont montré qu’elles leur étaient soumises).

Les émissions de JC Ameisen forcent nos professeurs à descendre de leur piédestal pour venir discuter dans la rue, devant le peuple et les élus.

Déjà des médias s’interrogent : Est-il possible de contester l’université en matière de folie ? Le débat qui s’est lancé dans Médiapart à la suite de ma réponse aux professeurs qui avaient pris le parti de la loi dans Le Monde.fr a attiré l’attention d’un grand hebdomadaire qui va faire paraître le 11 mai, une double tribune, d’un côté les professeurs prônant la loi, de l’autre les psychiatres de base détracteurs de la loi. Etant l’auteur de l’article contestataire de Médiapart j’ai été appelé à répondre, en m’associant avec un ami. Le texte que j’avais prévu a dû être écourté pour deux raisons ; il ne pouvait excéder 3000 signes (tâche d’une violence inouïe pour un psychiatre de base !), et j’ai dû composer avec mon ami signataire qui tenait à ajouter des affirmations plus politiques. Il a fallu négocier, j’ai admis que ses affirmations étaient prioritaires sur certaines des miennes. J’ai promis aussi de trouver l’occasion de donner ces arguments supplémentaires au service d’un projet pour une psychiatrie qui serait moins centrée sur les psychiatres et plus ouverte sur les autres acteurs, en particulier les « usagers ».

Pour montrer que vouloir désigner les malades psychiques comme une autre « espèce humaine » était une erreur scientifique et une non attention aux preuves qui nous entourent, je citais -JC Ameisen et sa réfutation du pouvoir exclusif des gènes dans l’évolution de l’homme tout en insistant sur le rôle du « contexte », -le professeur Roger Mises employant le terme de « mutation » pour désigner le changement psychique dont la psychothérapie est capable, alors que la chimie n’obtient pas ce résultat, et -G Benedetti psychiatre psychanalyste expliquant autour de quelle proposition, une forme d’écoute du délire, la psychothérapie, peut prétendre guérir des troubles dits schizophréniques. Mais est-ce que les professeurs l’enseignent ?

Enfin j’apportais comme argument concret, argument que chacun peut constater en France, ce qui se passe dans les GEM, illustration de l’espoir : la France a eu l’idée, dans le cadre de la loi de 2005 officialisant le handicap psychique, de créer 330 Groupes d’Entraide Mutuelle où des ‘fous’ (usagers en cours de soins) gèrent eux-mêmes une association 1901, ils montrent à qui veut l’entendre que la folie complète n’existe pas (comme l’ont affirmé à Bicêtre, dès 1800, Pussin, Marguerite et Pinel, et comme depuis tant de psychiatres semblent l’avoir oublié, dont certains professeurs) et que ces usagers peuvent avoir sur la souffrance, les joies, la philosophie, l’art, des propos d’une haute tenue, preuve d’une haute capacité de penser. Chez chacun de ceux qui sont fous un moment, persiste une part de raison gardée. D’où le traitement par la parole instituée dès 1800, puis oublié, et repris par Freud, et par tous les psychiatres qui ont retrouvé leur capacité de « penser ». D’où cette joie simple partagée par les usagers dans leurs GEM.

La loi et les professeurs qui la soutiennent veulent que les médicaments soient le seul traitement de la folie, cette chimie va transformer les patients certes en êtres soumis, calmes, mais dont « l’évolution, dont parle JC Ameisen, sera arrêtée ».

Jean-Claude Ameisen au travers d’une émission hebdomadaire qui est de plus en plus écoutée par les français, ouvrant considérablement le débat, au travers de son regard anthropologique sur l’évolution de l’homme et de l’humanité, montre qu’il n’en est rien.

Chaque mois il est possible d’écouter en décalage ces émissions grâce à la « mémoire gratuite » de France-Inter. Il faudrait lancer une campagne de souscription pour aider, au moins en urgence les élus, puis les professeurs, afin qu’ils puissent écouter toutes ces émissions (certaines sont rééditées plusieurs fois, étant donné leur importance). La folie seule n’a pas de sens. Là encore la loi nouvelle sur la psychiatrie est un total « contre-sens ». Ce qui est vrai et essentiel c’est la folie replacée dans le contexte de la société concernée, aujourd’hui, et dans sa culture, celle de la France actuelle, elle aide à réfléchir sur l’homme.

Merci Jean-Claude Ameisen de ce beau cadeau pour une fête œcuménique comme celle de Pâques. Merci de cette confiance en l’homme et en son évolution.

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