DE L’EROTOMANIE
« Io ti lascio, che veggo che il sonno ti viene entrando ; e me ne vo ad apparecchiare il bel sogno che ti ho promesso. Così, tra sognare e fantasticare, andrai consumando la vita ; non con altra utilità che di consumarla ; che questo è l’unico frutto che voi dovete proporre ogni mattina in sullo svegliarvi. »
(Il Genio familiare, s’adressant à Torquato Tasso, à conclusion, presque, de leur « Dialogo ».)(*)
Qu’est–ce que nous sommes érotomanes ! Nous ! Les malades mentaux… Et combien nous laissons libre cours à notre inépuisable, morbide EROTOMANIE, lorsque – enfermés en ces ( : en nos ?) lieux de soin – nous : délirons ! Et ne faisons que cela ! Bien que sous l’œil avisé/aiguisé de notre Soignant. Et en laissant jaillir, en laissant s’exprimer – sans le savoir, comme d’habitude – ces mêmes symptômes – nos propres symptômes, au grand jour !
« …nos symptômes ? ! »
Oh, que oui ! Et, plus particulièrement, ces symptômes qui fleurissent à l’ombre, et bien étroitement imbriqués à tout ce grand déraisonner que nous faisons (que nous produisons, que nous créons?), et qui nous dépasse… Et qui ne peut ne pas nous dépasser, puisque (mais cela a été dit tellement de fois ! devons–nous le redire, et le répéter encore et encore, en d’autres termes : sans cesse ?), puisque nous sommes aveugles et sourds. Oui. Aveugles et sourds, à tout ce qui nous entoure, et nous concerne (surtout !). Car (disons–nous), appelés à effectuer, à élaborer, à réaliser un travail, un labeur, que nous estimons beaucoup plus entrainant, beaucoup plus lourd, plus éreintant, mais beaucoup plus saisissant, que celui effectué par nos entours les plus proches.
Néanmoins, tout cela ( : tout ça ?) – pour notre plus grande chance ( : pour notre plus grand bonheur ?) – ne peut, et ne pourra s’exprimer que sous ce grand œil, si aigu : l’œil attentif et perspicace du Soignant ! À savoir de celui qui entend nous soigner de notre ( : de nos, si nombreuses ?) maladie(s) de l’âme. (De l’âme, ou de la mens ?) Des maladies si futées (c’est bien le mot qui s’impose, ici), qu’elles s’imprègnent et s’intègrent les unes les autres… Pour mieux détourner, mieux dérouter, et scombussolare, ces mêmes Soignants, à l’âme si charitable… Oh, que oui !
Mais voici que, tout à coup, j’entends de nouveau, voilà que revient, ressurgit à mon ouïe attentive, ce grand cri lancé par ce jeune homme à l’***. « Elle m’a touché ! Elle m’a touché ! », se mit–il tout à coup à crier. Un cri, une révolte toute, sans doute quelque peu fantasque. Et pourtant…
Cela pour vous dire, Michel Foucault, que vous n’êtes pas le seul, que nous aussi, n’en voulons pas, n’en voulons plus, de ce « Sexe–Roi »! Ou mieux… Que nous estimons que, de tout cela, il faut bien en parler, il faut attentivement en discuter – et avec perspicacité – afin de bien pouvoir vérifier, ce que serait (ce que c’est ?) que cette si répandue érotomanie, par laquelle, et à propos de laquelle, on nous rabâche tant les oreilles.Et voici...
Car, on l’a, pour ainsi dire, découverte, et tirée hors de nos âmes, et de nos pensées, à l’aide de ces pincettes, à l’air, et à l’allure si finement, si hautement chirurgicales… Après l’avoir ex–traite du dire de ces textes–traductions–hautement–freudiens, l’élevant donc au niveau d’une perpétuelle solution de tout problème. Valable pour tout–un–chacun. Et une fois pour toutes !
Comme lorsque il paraitrait que l’on ne puisse plus « nier » quelque chose, en s’exprimant par un ne pas, ou un non, ou point… Puisque il serait légitime de se demander : que cache–t–elle, que désire–t–elle cacher, cette négation ? LA négation, NOTRE négation : ainsi exprimée ? Ne serait–elle, tout de même, en train d’affirmer quelque chose, dont l’humain qui la parle, ne saurait–il pas ? N’en serait–il pas conscient ? Oh, non ! Non pas : « ne saurait–il pas ». Il faut aller jusqu’ai bout, disant, et en affirmant bravement : IL NE SAIT PAS !
Or cela, ce grand labeur, faudrait–il l’effectuer, afin d’échapper à ces nouveaux dogmes, à ces nouvelles formules dogmatico–domestiques, pour tout dire, qui, envahissant la totalité de ces/de nos espaces parlés, rendent leur parole, pour ainsi dire, quasi muette. Et aveugle, également. Encore plus aveugle, et muette, qu’à ces moments lointains, du temps–jadis, lorsque l’on ne soupçonnait même pas qu’un discours, un parler qui croyait nier quelque chose, pouvait en cacher un autre, qui, sans doute aucun, était dans l‘affirmative. Et y pesant de toute sa force. De tout son poids.
Mais – aujourd’hui –, aujourd’hui qu’on parle tellement de la Norme, et de sa nécessaire critique, ne faudrait–il pas faire plus attention à les débusquer, ces Normes répétitives, qui régissent nos propres discours, et qu’on ne se lasse pas de réengager ?
Mais, qu’est–ce que c’est, qu’est–ce que ce sera, l’érotomanie, en H.P. ?
Ô… une question de mots... de paroles… Pourrions–nous donc dire, parler d’une érotomanie, toute : parlée… Rêvée, peut–être?… Oui… Et que voulez–vous qu’on y fasse ! À l’H.P., l’on ne pourra se délivrer de ce lourd fardeau, que par toute une symbolique parlée. À savoir : une mise en paroles.
Certes… Mais ces symboles–parlés, ne tomberont pas dans l’oreille d’un sourd, comme l’on dit… Puisqu’ils seront entendus, et lus, par des oreilles et des yeux plus que vigilants.
Voilà.
Or, dans cette société, dans notre société, il faut le reconnaître, le Sexe est encore et encore Roi. (Un Roi ? LE Roi ?). Et cela, quoique vous en ayez pu en dire… vous, Michel Foucault. Et cela nous le savons tous. C’est pourquoi, l’on est presque poursuivis, pourchassés (: harcelés ?), par le déferlement du Sexe. Et, on a beau dire, on a beau le désirer, l’on n’y échappera pas. Jamais. Jamais, l’on ne pourra s’en acquitter... Parmi tous ces parlers savants, qui laissent libre champ : à la chasse de... Afin de tout bien savoir…
Mais comment se présente–t–il, ce Sexe ? Un Sexe à majuscule, bien sûr, et à l’état brut. Affiches, films, débats, conférences, confessions, spectacles… etc...etc… le déclamant. Tout ça, avec la fin subtile de l’établir, une (/la ?) liberté absolue… C’est tout au moins, ce que l’on nous dit. (Que l’on nous conte ?)
Bon. Inutile d’empirer là–dessus.l
Or, en H.P. … Mais pourquoi, en HP, l’on devrait rayer, biffer, éliminer à tout jamais, ce même sexe ? Et, quel est–il, quel sera–t–il, ce sexe, en H. P. ? De quel genre de sexe, on parle, parlera–t–on, là–bas ?
En dehors de l’H.P., l’on y vit, tous et toutes, bien auréolé(e)s des Hautes Qualités, et de la Prestance inouïe, de ce même Sexe. Certes… Et on en est, ou mieux, l’on en ressort, absolument abruti – de ces confrontations, pour ainsi dire : soigno–explicative ! Oui ! Or, et de nouveau, comment y échapper ? Comment s’y prendre, afin que ça se calme un peu, et ne soit plus le but ultime de Tout et Tous ? Comment y faire un peu d’ordre ? Ici ? Comment chercher, comment quêter, une nouvelle, véritable harmonie, sur ( : de ?) la Planète ?
Justement : en entrant dans l’Hôpital psychiatrique, et en s’y laissant observer de près… et même de très près – quoiqu’à une certaine distance…
Cela, pour qu’on puisse bien noter – sur feuilles–et–feuillets expressément conçu(e)s – vos paroles… Les paroles que vous prononcerez… Mais aussi, lorsque vous – dans votre absolue déperdition – estimerez, lorsque vous jugerez, qu’il ne vous reste plus rien à faire, ni à dire, sauf qu’à leur laisser apercevoir, cette inoxydable présence, qui est la vôtre… Oui… Je m’en souviens… Présence « mutique », dira–t–on, alors – à ce moment–là –, et l’on s’en tiendra à noter vos gestes. Et même votre posture… Quant à vous… vous laisserez faire… Si c’est le prix à payer, pour qu’on vous fiche la Paix !
Or, la vision de cette présence tout à coup « mutique », chez quelqu’une de si agressive, de si violente, contre ses soignants – leur laissera phantasmer que ce nouvel état, que votre nouvel état, vous est dicté par un Mutisme imbibé de « fatalisme »… Et ce soudain, inexpliqué « fatalisme », ne pourra que ramener (et encore une fois !) qu’ à une symptomatologie absolument bipolaire !
Non ! Pas du tout ! Ce ne sera, celle–ci, que la dernière carte qui sera jouée. Cette fois–ci pour tenter de l’amadouer, ce corps soignant. Après tant d’épreuves ! Après toutes ces journées vécues ainsi : enfermée à double tour, cruellement emprisonnée ! Cette dernière carte déposée sur le tapis, sera celle de la « non–violence »…
Tout comme, à ceux qui t’ont dit et répété, que tu es vraiment féroce : mordant, griffant, donnant des coups de pieds, à tes si doués soignants, tu auras beau leur expliquer – après coup, et vainement – que ce n’était que de la « légitime défense » de ta part… En d’autres termes, la défense acharnée – bien qu’impuissante – de ta liberté. Une liberté qui n’en voulait pas (come c’est son DROIT), qui se refusait à avaler ces « Traitements », qu’on te proposait… Et de ne pas en vouloir, non plus, de ces innombrables, infatigables piqures, pour injecter lesquelles, il n’y avait plus de place, sur tes fesses… Que des hématomes…. Et ce haut cri à toi, de ne pas accepter, d’éconduire, et une fois pour toutes, la terrible violence de cette chambre de contention, que, pourtant ! à la fin, tu seras prête à regagner, pourvu de ne plus les voir, ceux qui croient (/que disent ?) t’entourer de leur bonne–volonté.
Or, et à propos de réponses « démentielles », que tu auras données, en voici un exemple. Le plus éclatant !
On te demandera si tu souffres de quelques allergies. (Afin de pouvoir les respecter, tes allergies !) Et, à cette question, tu leur répondras que l’unique allergie dont tu souffres, c’est les humains ! Et ils ne manqueront pas de les marquer, ces mots, tes mots, dans leurs cahiers. Noir sur blanc.
Tout à fait comme l’on reconnaitra – à un moment donné – que les effets bénéfiques que l’on espérait déclencher en toi, par ta mise en chambre de contention, sont désormais épuisés. Que faire, donc ? Oui. Que faire d’autre, pour ton propre Bien ? ...
Mais n’oublions pas, en cours de route, cette problématique, si cruellement entrelacée à l’érotomanie…
Et interrogeons–nous, questionnons–nous, en nous demandant :
« Et si l’érotomanie – sous d’autres haillons, sotto altri orpelli – c’était quelque chose de bien spécifique, le soi–disant socle de nos sociétés d’aujourd’hui ? Et si elle était un processus, une mouvance qui se déroule également, et pesant de toute sa puissance et intensité, en dehors de l’H.P. ? Si, au contraire, ceux et celles qu’y demeurent (en H.P.) n’étaient que ceux et celles – si peu nombreux ! – qui se rebiffent, qui se révoltent, contre ce Sexe–roi, clamant, en leur for intérieur, d’autres valeurs, un autre réel, quoique ne pouvant, en toute honnêteté, pas y échapper, à ce réel à eux contemporain ? Tout en étant par lui poursuivis, pourchassés, harcelés (comme l‘on aime à dire, dans notre langage aux fourbes allures de plus en plus planétaires), hantés, de par ses allures à lui, si âprement vindicatives ? Car le Sexe (qu’on le veuille ou pas) est véritablement Roi. Ici. Chez nous. Dans ces sociétés à nous contemporaines.
Oh ! Alors, il faudra reconnaître, que l’érotomanie vécue ( : dévoilée ?) en milieu hospitalier, ce n’est qu’une très, très légère forme d’érotomanie. À savoir : une érotomanie tissée de mots. Souvent même de paroles. Certes. De paroles… En d’autres termes : un songe. Oui… Un songe, qui pourra et saura se traduire également en cauchemar… Songes et cauchemars… rêvés… les yeux grand–ouverts… seulement rêvés ? Ou également : vécus, par le passé ? Auxquels rêves ou cauchemars – l’on voudrait bien se soustraire… y échapper… Et par des chemins propres… Mais, pourra–t–on échapper ; se soustraire, à cette si lourde marque, estampillée sur votre front, où on lit, où l’on peut lire : « maladie mentale », suivie et accompagnée, de toutes ses différents étiquetages – et chimiquement si bien nourrie ? Et puis : comment la mener, cette lutte ? Il suffira de lutter, bien que dans ce qui fut dit : l’esseulement ?
Car, toute révolte, là–bas, dans les si cloisonnés, si cadenassés H.P., sera fatalement interprétée, comme une opposition maladive et malveillante. Une opposition irréaliste, et même irréelle. Qui voudrait s’opposer aveuglement à la Lumière Blanche, étincelante, de cette si fameuse « santé mentale », que ces Soignants, qui n’en démordent pas, aimeraient vous apporter… Dont ils aimeraient vous revêtir… (Seraient–ils les derniers descendants des Missionnaires, en nos Terres d’Occident?)
Et puis, quelle importance peuvent–ils donc avoir, auront–ils, ces faits d’obéissance absolue, dont on commence à peine à parler, et contre lesquels on commence, bien qu’avec une peine extrême, à lutter ? Dans ce tissu tout troué… de cette expérience vécue : la vôtre… Souvent si dramatique. Pour ne pas dire : tragique… également…
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(*) G. LEOPARDI – OPERETTE MORALI, « Dialogo di Torquato Tasso e del suo Genio familiare ». (1)
(1) Note de Giacomo Leopardi :
« Ebbe Torquato Tasso, nel tempo dell’infermità della sua mente, un’opinione simile a quella famosa di Socrate ; cioè credette vedere di tratto in tratto uno spirito buono ed amico, e avere con esso lui molti e lunghi ragionamenti. Così leggiamo nella vita del Tasso descritta dal Manso : il quale si trovò presente a uno di questi o colloqui o soliloqui che noi li vogliamo chiamare. »