Billet de blog 25 mai 2011

guy Baillon

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Quel avenir pour la psychiatrie - 2- La reconquête de la liberté. Comment ?

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Docteur Guy Baillon Paris le 25 mai 2011

Psychiatre des Hôpitaux

Quel avenir pour la psychiatrie - 2- La reconquête de la liberté . Comment?

Cette reconquête c’est retrouver la liberté de penser et d’agir en toute liberté

Nous le ferons en deux temps : d’abord des propositions concrètes, ensuite les idées qui les soutiennent

A - Comment, avec quels outils ?

La politique de secteur, qui a fait ses preuves, continue à être la source de nos inspirations. Ce n’est en rien un dogme, elle se base sur une idée forte de l’homme, de ses liens, de la société qui l’entoure ; elle cherche l’épanouissement de l’homme en situant son action à un carrefour de connaissances.

Son souci est d’impliquer l’ensemble des français en respectant la réalité de leurs liens lorsqu’ils ont comme objectif de construire une Cité, celle où ils vivent : ces liens sont essentiellement ceux d’une « citoyenneté » ; c’est là qu’ils puisent les ressources pour répondre à l’ensemble de leurs besoins ; ces espaces sont ceux où le citoyen joue un rôle actif, où il a le sentiment de participer à une interactivité qui le concerne et sur laquelle il peut avoir une influence concrète ; aussi parle-t-on de l’importance de secteur à taille humaine, d’espaces et de liens à l’échelle humaine ; cela se représente assez bien par les limites que lui impose l’utilisation de ses sens, en particulier vision, audition, toucher, et de sa motricité. L’expérience a montré qu’une population de 50 à 70.000 h. a une taille humaine sur le plan relationnel lorsqu’elle se rassemble autour d’une Cité, d’un quartier de grande ville, d’un regroupement de communes.

Nous devons d’abord nous opposer par tous les moyens à l’application même modeste de la nouvelle loi. Ce blocus sera utile pour préparer dans tout le pays l’élaboration d’une nouvelle politique de Santé Mentale à présenter le lendemain des élections de 2012.

Nous pouvons préparer l’idée d’un Plan Cadre comprenant d’une part plusieurs objectifs précis, et d’autre part un certain nombre de propositions générales dont il faut étudier l’application. Les propositions pour 2012 peuvent être ainsi présentées :

I-Six objectifs précis signeront la solidité de la nouvelle politique et doivent être décidés d’emblée pour se dérouler sur une période de 5 ans, commençant sans délai :

1 Une première décision immédiate sera le préalable : l’abrogation de la loi de juin 2011 sur l’obligation des soins, et aussi de tout plan psychique qui aurait pu être proposé entre juin 2011 et mai 2012

2 La création au Ministère de la Santé d’une instance dite « Bureau de la Psychiatrie intégrant soins psychiatriques et Action sociale et médico-sociale ». Ce bureau serait chargé de continuer à veiller à la fois à faire évoluer la politique nationale psychiatrique en fonction de l’évolution de la société, et aussi à veiller à son application

3 Le cadre spatial (localisation dans l’espace) des soins psychiques doit être impérativement recentré sur la Cité. Nous avons vu combien la localisation des soins éloignée du lieu de vie et leur concentration prouvent à l’opinion qu’il faut bannir et punir la folie. Il est indispensable que dans les 5 ans la totalité des équipes de secteur ait quitté les concentrations hospitalières psychiatriques et générales, et que pour chaque secteur soit construit en ville un immeuble modeste accueillant 20 lits, et ailleurs un à trois espaces de soins diversifiés ; ainsi les hôpitaux seront devenus inutiles. Dans les grandes agglomérations 2 à 3 secteurs pourraient avoir leurs lits dans un même immeuble, mais la proximité entre soins et lieu de vie doit être privilégiée, évitant de concentrer les espaces de soin.

4 Un vaste plan de formation clinique pour les catégories professionnelles (en raison de la dégradation récente due à la carence de l’université) doit être instauré sans délai pour permettre le développement des traitements « psychothérapiques », tout en respectant les différences professionnelles des soignants.

5 Un plan de création de logements de types variés doit être réalisé dans chaque secteur, en raison du besoin essentiel qu’il constitue pour un certain nombre de malades : la précarité est l’occasion de décompensations psychiques.

6 Un concours national d’architectes et d’urbanistes doit être lancé pour veiller dans les 5 ans à ce que chacun des 60 hôpitaux psychiatriques reconvertisse ses espaces et son terrain en « centre de rayonnement culturel et de formation multiple » (afin d’écarter toute velléité de les utiliser à des fins de réclusion ou à des fins commerciales). La pérennité de leur présence représente un danger alors que ce riche patrimoine doit être mis à la disposition de la société pour son épanouissement.

II-Le développement de la nouvelle politique de Santé Mentale doit intégrer simultanément un certain nombre de notions fortes et doit se donner des objectifs précis :

La notion de « secteur » en psychiatrie se centre sur la Cité représentant une racine forte pour l’homme, la Cité réunit des citoyens ayant une histoire, une économie, une vie sociale partagées, elle est donc une première référence, un attachement pour l’homme en souffrance psychique.

1-Veiller à réajuster les secteurs mal découpés (la division de petites villes afin que ces secteurs aient un morceau urbain associé à un morceau rural n’a aucun sens), chaque secteur doit se dessiner autour d’entités communales, cela redonnera à la notion de secteur la vraie valeur de référence pour que chaque patient se sente en mesure de développer ses liens.

2- Veiller à améliorer la distribution des moyens humains des équipes de secteur, autour d’une base minimale (un soignant pour 1000h, et un psychiatre pour 10.000h)

3- Dans chaque secteur, veiller à ce qu’un 1/6ème de l’équipe soit attribué à la fonction de disponibilité 24/24h et d’écoute : nous savons par expérience que cette fonction dédramatise la survenue de tout symptôme, analyse toute demande de soin complexe, en répondant sans délai, et en élaborant le meilleur accès aux soins, c’est là que s’instaurent confiance et continuité (elle remplace avantageusement les grands centres d’urgence qui au contraire dramatisent, et sont facteurs de rupture de soins et d’interférences venant déformer le sens)

4- Veiller à la formation permanente des soignants associant 4 pôles complémentaires : -les psychothérapies duelle et collective, -la famille et le lien social, -l’organique et le biologique, -la constante participation du corps et l’expression artistique

5- Veiller à impliquer chaque secteur dans une activité de recherche travaillant au moins l’écart entre le but décidé et le résultat des soins réalisés par l’équipe

6- Veiller à la continuité et l’articulation entre les soins et l’action sociale dans chaque secteur

7- Enrichir chaque équipe de secteur de la participation quotidienne d’un médecin généraliste, rendant inutile le renfermement des services psychiatriques dans un hôpital général

8- Veiller à l’instauration dans chaque équipe de temps d’échanges transdisciplinaires associant histoire, philosophie, sciences fondamentales, psychanalyse, arts, économie ; la réflexion sur des thèmes autour de folie, souffrance psychique, créativité, liens sociaux, interactions entre le Je et le Nous.

Un tel plan cadre n’est possible que si le sens de la politique de secteur est connu et partagé.

Si une pensée forte ne l’accompagne pas, elle n’est pas envisageable. Une fois que nous avons décidé de nous battre pour défendre et promouvoir la liberté des patients-usagers, nous devons nous interroger sur la détermination des soignants pour réaliser cette politique de secteur. Heure de vérité

Nous terminerons demain par cette dernière question : La liberté en psychiatrie pourquoi ?

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