Docteur Guy Baillon Paris le 26 mai 2011
Psychiatre des Hôpitaux
Quel avenir pour la psychiatrie - 3- La reconquête de la liberté. Pourquoi ? B - Pourquoi, avec qui?Pouvons-nous conclure ? L’asile-prison ou la reconquête de la liberté ?
Ne rien faire devant ce projet de loi c’est clairement accepter le retour d’avant 1789.
Le retour des « Lettres de cachet ». Au nom du Roi-Président on vous enferme, ou on vous assigne à domicile, sauf si vous « avouez » votre faute (être malade) ! Du jamais vu ! Mais en 2011 il y a un degré de plus qu’au 18ème siècle ; une fois que vous serez embastillé les médicaments à haute dose (aucun contrôle judiciaire ne pèse là) feront de vous un homme soumis (tant que vous les prenez !). Qui va avoir confiance dans les médicaments à partir de maintenant ? Ils n’ont pas compris qu’ils dévastaient tout ! Même leur propre officine. Les usagers vont-ils faire confiance aux médicaments, ou en avoir de plus en plus peur ?
Pourquoi vouloir reconquérir la liberté aujourd’hui ?
En psychiatrie la liberté serait la défense et l’illustration de la politique de secteur.
Qu’est ce qui différencie l’asile, de la politique de secteur ?
Le premier est fait de passivité et de soumission à l’autorité, mais jusqu’à « La lettre de cachet », tout de même !
Le second est la volonté de créer les conditions qui permettent de construire l’écoute et la solidarité des hommes.
C’est sur ce point que chacun choisit son camp, ses mots, ses alliés.
Soigner dans le cadre de la politique de secteur c’est refuser d’appliquer passivement des protocoles, c’est prendre des risques à tout moment pour que chaque patient se construise, c’est réévaluer en permanence ses besoins, repérer ses aspirations, c’est choisir la rencontre en accepter les surprises et l’incertitude.
Qui hésite encore ? Comment se fait-il que le gouvernement affirme que l’obligation des soins a l’appui des professionnels et des familles ?
Une seule association le soutient, l’UNAFAM, mais depuis février elle a perdu sa légitimité puisqu’elle a rompu avec la FNAPSY ; en effet elle ne peut se permettre de parler au nom des usagers. Les familles ont une souffrance mais elle est bien différente, seconde à celle des usagers ! Sans compter que le tiers d’entre eux est sans famille active. Enfin les usagers ne se cachent pas pour montrer leur différence de choix et d’élaboration avec leur famille, surtout lorsque par l’obligation de soin et le Plan Psychique elles dévoilent qu’elles veulent « maitriser les malades toute leur vie durant » !
Par contre tous les syndicats (service public, libéral, université, infirmiers, psychologues) s’y opposent, tous, ainsi que la FNAPSY. Alors dévoilons le secret de polichinelle qui circule dans les couloirs du Ministère de la Santé, autour de cette loi sur l’obligation des soins : tout le monde connait ce secret mais, comme dans l’histoire, l’intéressé (le Ministère) croit qu’on l’ignore. Cela vaut la peine de préciser au Ministère que tout le monde le voit. Ces professionnels de la psychiatrie qui soutiennent le Ministère existent en effet, ils sont moins d’une demi-douzaine, s’auto proclamant ‘éminents’. Inutile de les nommer, tout le monde connait leurs noms. C’est un secret de Polichinelle. Cependant ils ont de l’influence, ils hantent depuis 20 ans les couloirs du Ministère, ils ont leurs entrées et leurs habitudes. Mais leurs propos sont destructeurs car ils consolident le désir du gouvernement de faire des économies et une politique sécuritaire : leur bluff c’est d’affirmer que la psychiatrie de secteur n’a jamais marché, qu’elle ne produit rien de bien, les malades sont toujours malades avec elle, elle n’a donc aucune efficacité, elle coute très cher, ils affirment qu’on peut soigner autrement comme dans la plupart des pays, avec les prescriptions médicamenteuses et comportementales, plus rapides, moins couteuses (qui ose le dire quand on voit la richesse des laboratoires).
Ces ‘éminents’ collègues ne sont pas en mesure d’expliquer pourquoi en 2010 des délégations d’Obama, de la Chine, et en 2011 du Brésil, de l’Argentine veulent se former à la psychiatrie de secteur en pensant que c’est la meilleure.
Qu’en est-il ?
La psychiatrie de secteur s’est développée de façon inégale en France entre 1972 et 1990. A partir de 1990 elle a commencé à se dégrader parce que l’Etat ne l’a plus accompagnée mais a désigné les directeurs d’hôpitaux comme ayant mission de l’organiser alors qu’ils sont formés pour la gestion, mais incapables d’instiller la militance soignante, du coup ils ont redoublé de volonté de contrôle, ce qui a l’effet inverse. La même année la loi de 1990 sur l’internement en toilettant l’hospitalisation sous contrainte a rendu l’enfermement plus facile et a inversé la tendance à la diminution des internements : après avoir diminué depuis 1970, ils ne cessent de croitre depuis 1990. Les directeurs n’ont pas eu la formation ni le désir d’enseigner aux psychiatres recrutés par le Ministère que la psychiatrie de secteur n’est pas une « machine » qui fonctionne toute seule, mais qu’elle avait besoin d’être expliquée, d’être soutenue dans ses principes fondamentaux, et sa militance à transmettre. Parallèlement l’université a failli à sa mission et n’a pas formé les soignants à la psychothérapie. Nous voyons le résultat.
Comment un pays peut-il faire naitre la militance, le désir de solidarité dans ses services publics essentiels ? Par l’obligation ou par la confiance ?
Avec la politique de secteur en effet chacun tire de sa propre énergie, de sa créativité, les paroles et les actes sur lesquels le malade va s’appuyer pour se construire : les soignants n’agissent pas sur ordre, ni sur prescription. Ils donnent simplement le meilleur d’eux-mêmes, et pour cela se servent de leurs tripes, et retravaillent tout avec leur collectif. La qualité et l’efficacité de la politique de secteur dépend donc de l’engagement de chaque soignant, des risques qu’il ose prendre et de son implication dans le « collectif de soin ».
Si les soignants de la politique de secteur sont passifs comme dans le projet d’obligation son efficacité sera nulle et les incidents multiples.
En fin de compte nous comprenons, cela se confirme là : nous savions que ce ne sont pas les murs qui soignent, ce n’est pas la politique qui soigne, mais ce n’est pas non plus « le secteur » qui soigne ! ce sont les hommes !
Des hommes motivés vont aider les malades à guérir ; l’absence de motivation annule tout.
Par contre la lettre de cachet et le gavage par les médicaments n’ont besoin d’aucune motivation.
Ces fantômes de cabinet vont gagner, sauf si nous dévoilons que leur connaissance n’est pas clinique, ils n’ont rien démontré, mais qu’elle est partisane, pour le pouvoir.
Seule la « militance » peut en décider, c’est elle qui soutient la motivation. La militance n’est pas un argument idéologique, c’est l’intérêt que chacun porte à l’homme, soutenu par ce que nous apporte l’évolution de nos connaissances.
Tout ceci s’inspire d’une réflexion ouverte autour de l’homme et de la folie, s’appuyant sur un certain nombre de données, de pratiques, de théories, à remettre constamment en débats.
Je voudrais retenir une minute de votre attention sur un fait banal, même s’il parait loin de notre souci
Connaissez-vous un spectacle plus merveilleux que la contemplation des premiers échanges qui se déroulent entre un bébé et sa mère, en ce moment du début de la construction d’un esprit, dès la naissance ? N’est-il pas prodigieux d’assister à cette construction fantastique ? Les neurones qui relient les organes des sens au cerveau ne sont pas terminés à la naissance, ils ne terminent leur mise en place que progressivement sous la double influence de la programmation cellulaire qui soutient ce développement et de l’effet des stimulations de ce que le corps perçoit (vue, olfaction, goût, sons, toucher). Mais ce n’est pas tout. Cette construction se modèle peu à peu aussi sous l’effet des différents mouvements affectifs de la mère, vécus aussi par l’enfant, avec les interactions du père, et leurs propres interactions en retour. Les émotions d’emblée envahissantes qui les accompagnent fournissent le carburant.
Admirez ce que nous devinons, à la suite des informations des scientifiques et des psychanalystes, et dont nous voyons les effets : la connaissance de l’odeur du lait, de l’odeur de la mère, la recherche de cette odeur, le toucher, le contact du sein avec la bouche, puis les mains, les mouvements à tâtons ; l’odeur guide ; puis surtout survient l’embrasement des regards qui s’échangent, c’est comme si bébé et mère se dévoraient ; il est sûr qu’ils se nourrissent mutuellement du regard. Ces regards sont beaucoup plus forts que celui des amoureux se perdant dans l’infini de leurs illusions. Ici c’est bien avant cela : ces deux êtres « se construisent » en créant leur vie psychique. Ils regardent, enregistrent, comparent, réagissent, regardent. … Les regards « accordent » ensemble perceptions multiples (vue, odeur, goût, sons, toucher), mouvements les plus infimes du visage de la mère ; les modifications les plus subtiles de son contact sont captés par le bébé qui a sa façon à lui de vouloir, d’exiger, de réagir ; ces regards modèlent la construction des liaisons entre les neurones, intègrent tout par des répétitions avec de minimes différences. Tout ceci laisse des traces tant dans les neurones qui établissent des liens nouveaux dans leurs terminaisons intercellulaires, que dans la vie psychique et la mémoire. Les scientifiques ont précisé que la mémoire « inscrit » les évènements en s’appuyant sur la mobilisation organique et psychique provoquée par les émotions (sans émotion : pas de mémoire). Ce qui n’est pas affirmé assez c’est que les mouvements affectifs de la mère et du bébé interviennent constamment dans cette construction psychique et sont inséparables des perceptions, des inscriptions neuronales et psychiques, confirmant la convergence des hypothèses freudiennes et neurophysiologiques sur la construction de l’esprit. Chaque première trace laissé par un échange est disponible, et peut aussi se modifier sous l’effet de nouvelles inscriptions.
Cette construction commençant au premier jour se continue intensément à chaque moment suivant, se consolide par les répétitions, se modifie avec les interactions, celles des acteurs entourant la mère et le père pendant les 5 premières années, les évènements, puis se continue toute la vie. Prodigieux. Infini.
A remarquer que l’outil essentiel de cette construction est le temps (St Exupéry avait deviné), la répétition inlassable de l’expérience confirmant la voie privilégiée, les ajustements constants lors des déviations, la continuité de participation des mêmes acteurs, mère, père ; alors que l’interférence inattendue d’intervenants suppléants, d’évènements peu cohérents entre eux peuvent rendre la construction de plus en plus difficile, les absences répétées ou durables laissent des traces vides, non réparables ; mais constamment la couleur de l’affect, amour - violence, entre les personnes modifie l’évolution.
Si nous nous intéressons maintenant aux troubles psychiques graves qui surviennent au fur et à mesure que l’on avance dans la vie, nous savons qu’ils ont certes des causes encore en grande partie méconnues, mais qu’elles sont toujours multiples, il n’y a jamais un seul paramètre, la biologie n’est jamais qu’un facteur parmi d’autres. Mais ce que nous devons comprendre c’est que de toute façon cela importe peu pour l’élaboration des traitements. L’élimination éventuelle d’un facteur causal nous oblige encore à nous interroger sur les réponses : celles-ci sont toujours la même : il s’agit de construire un fonctionnement psychique capable d’épanouir l’ensemble des potentialités de la personne. Nous sommes devant les mêmes questions évoquées, mises en place au début de la vie : à ce début il est évident qu’aucun médicament ne peut remplacer l’élaboration d’échanges physique et psychique, soutenu par l’affect et les émotions. Aucun médicament, aucune éducation ‘forcée’ ne peut remplacer ce travail de construction bio-psycho-psychique. Certes il est très différent de ce qui se passe au début de la vie ; mais il utilise les mêmes ingrédients, le temps, la répétition, les émotions et l’affect d’amour tout simplement indispensable.
Les médicaments, ici quant à eux, ont pour seul effet de calmer les dysfonctionnements physiologiques, mais n’ont aucune action sur les mécanismes de la construction psychique qui constituent l’intelligence et laissent chacun maitre de faire ses choix entre différentes pensées et différentes actions, le maitre mot ici étant la liberté.
L’obligation de soins est donc une double erreur : elle donne toute la place aux médicaments alors que leur effet est très limité, et elle interdit tout travail psychothérapique alors qu’il crée des liens entre des données éclatées, éparses, surtout elle détruit toute confiance, ce qui est le plus sûr barrage contre tout amour, donc contre toute vie créative.
L’exercice de la liberté est bien la seule possibilité pour l’homme de développer ses potentialités. Mais l’exercice de la liberté ne se décrète pas, cette liberté a besoin de l’amour de l’autre pour s’épanouir.
Décréter la psychiatrie de secteur n’entraine pas sa réalisation !
L’obligation de soins est décidée et résolue en une simple loi
La psychiatrie de secteur à la conquête de la liberté a besoin de se conquérir chaque jour par la pensée et l’action de chacun et de son collectif.
Qui gagne, le Roi, ou l’homme ?
En réalité, la dépendance, la vassalité sont notre état primitif, nous partons de là à notre naissance. Regardez le bébé : sans le regard de sa mère il ne peut savoir où bouger sa tête, se nourrir, marcher, conquérir le monde !
Se croient-ils si puissants, m’a rappelé un ami, ceux qui nous gouvernent, pour oublier cette voix toute simple ?
- Qu'est-ce que signifie «apprivoiser»? dit le Petit prince. - - - C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ca signifie «créer des liens...»
Le Petit Prince (1943)
Antoine de Saint-Exupéry