LA LIGNE ROUGE À NE PAS DEPASSER
ou
L’ŒIL UNIQUE DE POLYPHÈME
« (...)Nous ne jetons pas au panier l’idée. Que d’anciens patients
hospitalisés puissent aider leurs pairs(*) à l’extérieur des lieux de
soins, dans des groupes d’entraide mutuels (GEM) où dans des
associations, nous y sommes plus que favorables. »
(Le généreux avis d’un soignant)
À lire les « réponses » à l’article édité le 21 décembre dernier dans le site du Collectif des 39 – Contre la Nuit sécuritaire, et titré « D’anciens malades dans les équipes soignantes en psychiatrie », on reste quelque peu saisi, mais également éberlué. Car on s’était mis à espérer que « L’Appel » lancé en 2008, après le désormais fameux discours d’Antony, s’adressait non seulement aux positions dans l’existence (aux positionnements ?) des psys et de leurs émules, mais aussi et tout de même, aux agissements, parfois muets, de ceux que ces mêmes psys qualifient de leurs patients – leurs clients, usagers, ou comme l’on voudra bien les appeler... Qu’il, cet Appel se destinant à la bonne conscience et à la bonne volonté des citoyens et des républicains de ce pays, n’entendait pas seulement se dresser à la défense de la liberté et de l’indépendance et de la dignité des soi-disant « soignants » (soucieux de ne pas se laisser faire, dans la négation de la « créativité » de leur travail), mais aussi à ces êtres qui les définissent, qui les signifient jusqu’en leurs « vocations », mais qui sont fatalement placés, par eux, en une si hautement proclamée et absolue Altérité. Des êtres qui (et nous ne nous lasserons jamais de le répéter) sont estimés, par les yeux sains et perspicaces de leurs défenseurs, comme l’infiniment Autre. Des êtres qui pourtant (voudrions-nous ajouter, en des termes beaucoup plus banals) leur donnent non seulement les moyens de subsister, mais aussi de le comprendre – cet Autre qui leur fait face, de l’étudier (et à leur manière), tout comme de retirer (de cette même connaissance) le pouvoir de ce Savoir à majuscule, qu’ils exercent inlassablement par congrès et publications, et même... en sages renommées.
Eh bien, non ! Car aujourd’hui, en trois régions de notre douce France, l’on voudrait promouvoir cet être infiniment Autre, au rang de « médiateur » entre le patient et l’équipe soignante, afin de tenter de créer un plus fort lien dans les rapports qui s’établissent (ou qui devraient, seraient censés s’établir) entre soignants et soignés. Cela, en affirmant qu’il, cet « ancien malade » (comme on ne se lassera pas de le nommer), cet imprescriptible personnage (hors norme et hors droits), une fois jugé être sorti de son invivable souffrance, aurait « un plus », vis-à-vis du corps soignant traditionnel. «Un plus » qui pourrait aider « l’être en souffrance psychique » à se sortir de son ravin épineux. Mais, que le Très Haut nous libère de cette peste imprévue !
Voici que, à cette nouvelle, les visages enflent de colère. Voici que des gros mots et toute une hargne sans doute longtemps retenue, s’affiche au grand jour, face à celle qui paraît être une sorte d’ultime défaite existentielle. Car comment l’appeler, sinon un vouloir redresser les plateaux de la balance, et un entendre placer tout le monde sur un même plan, tout le long d’un même horizon ? Sera-t-on donc placé aux côtés de ceux qui, de par leur même essence existentielle, furent et sont, et seront à jamais taxés d’une dé–mence (au sens étymologique du terme) chronique, et, à la longue, et pour ainsi dire, jugés (estimés ?) insaisissables et même « médicalement in–traitables » ?
Ce sont surtout les infirmiers et les aides soignants, à s’être si violemment rebiffés, dans une violence qui va jusqu’à une cruelle et aveugle grossièreté d’une parole, qui surgit des tripes, et qui nous mets face à face, tout à coup, avec traces et impulsions d’un racisme immémorial. Ce même racisme, pourtant si décrié, qui se tourne parfois vers la couleur de la peau, parfois vers l’appartenance sexuelle, parfois vers l’âge etc. etc... et qui, dans le cas présent, se dresse contre – violemment contre – ceux qui leur paraissent porteurs d’un honteux (à jamais inféodé ?) manque de Raison (de Rationalité ?), et qui ne peut que rendre (ces anormaux, ces handicapés mentaux, qui en sont atteints) d’éternels (oui) « assistés ». Besogneux de l’Autre – sain et travailleur, donc – et de son assistance (plus ou moins brutale), de sa parole ordonnatrice, de son réel « plus », en tant qu’êtres bien portants, et mieux se mouvant (en liberté ? cela serait à analyser de plus près) dans cette actuelle société.
Or, ne possédant pas assez d’éléments sur le sujet. nous n’entendons pas prendre position en ce qui concerne des questions précises et discutables (c’est vrai) comme, pour ne porter qu’un exemple, le montant des salaires – dans ce débat de frères-ennemis, où, tout de même, semble se profiler le danger d’une énième, inéluctable ghettoïsations. Nous ne faisons que poser à jamais le doigt sur cette plaie béante, afin de dénoncer (sans jamais nous lasser) les côtés noirs des cœurs de nous, les humains. Des côtés ténébreux, qui peuvent surgir et se manifester, justement là où l’on croit défendre au mieux – la luminosité de son propre sentiment, et de sa propre pensée.
Néanmoins, nous voudrions simplement rappeler que la charge, le métier de « moniteur » (et non pas de « médiateur ») furent dévolus à certains « anciens pensionnaires», et mis en acte et réalisés, au cœur même de cliniques nourries de la sève de la psychothérapie institutionnelle. Mais cela, AVANT. BIEN AVANT toute réforme, tout discours gouvernemental si émeutier. En d’autres termes : bien avant que le gavage des soins forcés à des psychotiques en déni (à des sujets rebelles ?), ne s’implante fiévreusement et également là-bas : dans ces cliniques–fleurons, désormais vivotant sur les cendres de la psychothérapie institutionnelle.
(*) Souligné par nous.