Billet de blog 27 nov. 2009

guy Baillon
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La morsure de la folie

A la veille du grand rassemblement des 39 (le samedi 28 novembre) et leurs amis, un film fort, vrai, dur sur les personnes dites psychotiques et leurs familles nous oblige à continuer avec plus de précision notre travail de résistance à l'oppression pour mieux répondre à ces souffrances, et mieux construire ensuite.

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A la veille du grand rassemblement des 39 (le samedi 28 novembre) et leurs amis, un film fort, vrai, dur sur les personnes dites psychotiques et leurs familles nous oblige à continuer avec plus de précision notre travail de résistance à l'oppression pour mieux répondre à ces souffrances, et mieux construire ensuite.
D'abord il faut saluer le courage de ces familles et de ce jeune homme qui souffre Corentin, d'oser ainsi parler si directement et en public de leurs souffrances. Les familles présentes se rassemblent dans leur Association nationale l'UNAFAM.


Ce témoignage irremplaçable dépasse tout ce que les professionnels décrivent, car leur souci est de proposer une approche ‘technique', y manque constamment la dimension humaine. Ici elle crève l'écran. Ainsi le premier constat que fait le téléspectateur est que les ‘psychotiques' sont des personnes comme nous, leur part saine côtoie leur part de délire, ils expriment leur souffrance et leur incapacité à percevoir leur trouble vraiment.
Corentin est époustouflant.
La souffrance des familles reste en grande partie méconnue des psychiatres, ainsi que leur compétence. Nous leur reprochons facilement de ne pas avoir les mêmes attitudes que nous soignants, mais la réalité a été montrée toute crue : les familles sont seules ! Non seulement elles souffrent de cette blessure qu'est le trouble psychique de leur enfant ; cette douleur touche au plus profond, leur narcissisme, leur estime de soi ; mais elles souffrent ensuite en plus de n'avoir aucun appui humain, ni de conseil ; même dans les moments aigus, ici pour la jeune femme, elles trouvent porte close. Dans le même temps si nous sommes attentifs, elles ne sont pas dans la plainte, elles s'exposent avec leurs faiblesses, leur inconstance, leur doute, et pourtant elles osent aussi espérer. Elles sont ‘normales' !


Alors soyons clairs, laissons pour d'autres débats notre demande justifiée à l'Etat de soutenir le personnel et l'organisation du secteur, ce n'est pas le moment, car il y a autre chose à ne pas éviter. Il y a une réalité que les professionnels doivent prendre à bars le corps, avec courage aussi car c'est blessant, nous sommes obligés de constater que notre formation est insuffisante. Au moins, entre autre, nous devons apprendre à travailler constamment avec la famille en leur donnant aussi l'appui dont elles ont besoin, mais surtout n'attendons pas cela de l'extérieur, les professeurs sont focalisés sur les médicaments et le comportement. Le soin majeur est la psychothérapie ; la psychanalyse y apporte toujours la lumière la plus forte. Mais il faut arrêter les querelles d'école et de chapelle, faire un nouveau ‘vrai' congrès de Montpellier en rassemblant tout le monde, et avec toutes les richesses que nous avons amassées de savoirs et d'expériences depuis le début du secteur 1972, décider de simplifier notre organisation (oui, celle des soins, kafkaïenne), et rendre cohérente et suivie la formation des psychiatres. Les psychologues en général vont mieux et les infirmiers ayant été moins déformés et surtout apprenant d'emblée ‘le travail en équipe', ont en main l'outil essentiel.


Cette formation, c'est à nous les professionnels à l'élaborer en interne, ce n'est pas le rôle de l'Etat, à nous à l'organiser, et la distribuer, tout en imposant à l'Etat sa nécessité.
Car après il faudra alors se pencher sur ce qui est présenté dans ce film : la complexité de la psychiatrie, la complexité rare et dramatique des deux premières années du soin psychique pour les psychoses. Il y a des méthodes à inventer ici ; par exemple en s'appuyant sur le travail des équipes de secteur imaginer une équipe sans secteur, et disponible pour la formation des équipes in situ face à ces premiers troubles et venant consolider sur place le travail des équipes de secteur. En finir avec les tentatives d'intersecteurs, ou de spécialistes qui dévalorisent et déplacent les patients comme des êtres ‘incasables' : au contraire ce qu'il faut c'est valoriser ceux qui ont commencé, venir renforcer sur place le travail des équipes. L'un des pièges de ce film est de penser que l'hôpital est le centre du soin. L'essentiel est avant et après une éventuelle hospitalisation, mais cela nécessite des équipes souples, formées, c'est la solidité des liens avec les acteurs du tissu humain du secteur qui est l'appui essentiel du soin. Actuellement comme en 1972 la psychiatrie reste partagée entre deux options opposées : le soin autour de l'hôpital ou le soin dans le tissu de la Cité. On ne peut servir deux maitres à la fois. Trop d'équipes et trop de psychiatres ne savent pas faire un choix et tentent de faire les deux, du coup les moyens seront toujours insuffisants, et la fatigue des soignants sera extrême, et surtout familles et patients sont en miettes !
-Formation approfondie grâce à une convergence des théories, -simplification de notre organisation favorisant une psychiatrie ‘générale' (sans spécialisation), disponible, -choix de la psychiatrie de secteur plutôt que l'hôpital. Voilà ce autour de quoi il est essentiel de se rassembler.


Ce rassemblement est urgent pour la profession, car les dangers s'amoncellent de la part de l'Etat : après le rapport Couty dont rien ne nous assure qu'il soit modifié, alors qu'il met en miettes le travail des 30 ans passés, comme l'avait fait le Président le 2 décembre 2008, voilà que nous arrive un projet qui nie tout intérêt à avoir pour les troubles psychiques graves, mais qui veut faire pleurer le citoyen sur la « santé mentale » des français et par ce biais proposer une approche de la vie quotidienne sous l'œil d'un hygiéniste, expertisé par un psychiatre, ce qui veut dire que les élus se voient subtilisée leur analyse ‘politique' de la vie quotidienne ; les choix du quotidien maintenant selon ce rapport seront expertisés au regard de la ‘santé mentale' dont les psychiatres seront les experts : ainsi la psychiatrie n'a plus de limites.
C'est dire s'il est urgent de rassembler toutes nos forces, de nous allier aux familles et au mouvement des usagers, la FNAPSY (lesquels, au passage, n'ont pas même été consultés dans ce rapport sur la santé mentale !).
Pour nous aider il semble certain que la multiplication de films comme « La morsure de la folie » est souhaitable. Mais il faut les multiplier. Il faut aussi des films montrant d'autres aspects des troubles psychiques graves, montrant des liens qui arrivent à se construire et à tenir entre familles, patients et équipes de soin. Car nous n'avons pas le droit de ne montrer qu'une part de la réalité, la part la plus dure, ni à rester constamment pessimistes. Il y a quotidiennement toute une suite de réussites dans les soins en France et depuis longtemps, et nous devons tous en témoigner. Autour de tels films nous pouvons réfléchir ensemble sur toutes les questions que nous venons de soulever, et surtout, ce qui n'arrive jamais dans les élaborations et les négociations, à partir de situations concrètes, d'expérience vécues et de leurs acteurs.

Nous ne conclurons pas. Il me semble essentiel de garder en image du film, la réalité de défi que constitue le trouble psychique grave, la détresse des familles, la part de raison gardée. Gardons en l'esprit simplement la force de ces images et la violence et la poésie des mots. C'est bien de l'humain qu'il s'agit là.

A Paris, le 27 novembre 2009

Docteur Guy Baillon
Psychiatre des Hôpitaux

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