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Billet de blog 15 juillet 2011

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Palestine Check Point : la pierre et l’eau pour barrage à la paix

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Illustration 1
Palestine Check Point © ATP Argenteuil

De bonnes idées scénographiques, sept plots lumineux disposés en ligne de démarcation entre cour et jardin ; d’un côté : une fontaine ; de l’autre : un bloc de pierre d’un monument antique. Et, tout au fond, sur son mirador, un garde-frontière déverse froidement le contenu d’une valise. À partir de ce posé qui fonde quelques points de lumière bien marqués dans une profonde obscurité, s’entend le clapotis discret de la fontaine qui s’écoule doucement ; c’est là, côté jardin, que la femme récupère son téléphone portable, et c’est de là qu’elle appelle. De l’autre côté des sept plots, son compagnon attend sa communication ; le réseau passe mal ; chacun ressasse ses pensées...

Sur ce motif élémentaire, c’est l’amer constat que la guerre a raison de tous ; c’est la litanie de ceux qui ne peuvent oublier le mal fait ; c’est l’espoir lucidement illusoire de celles qui voulaient préserver leur amour... Les sentiments aux prises avec le passage entre la dureté des armes, qui cassent, et l’amertume des larmes, qui désarment : la pierre et l’eau, avec, à la frontière : le check point.

Le parti-pris de direction d’acteurs force volontairement le contre-jeu : il y a une légèreté si cruellement factice dans le ton et dans les mots proférés, que l’isolement des deux personnages n’en devient que plus éprouvant ; la force du texte repose d’ailleurs en celà qu’il n’y a pas réellement dialogue, car les deux époux ne se parlent pas, ne se répondent pas, seulement, leurs monologues successifs plongent dans les affres d’un tragique sans autre réel antagoniste qu’eux-mêmes. On peut penser à Bérénice et Titus renonçant à leur histoire.

Car l’antagonisme principal réside dans leur amour, un amour rendu impossible par leurs affects respectifs, par leurs modes de vie et de penser, par leurs tensions culturelles et éducatives, en dépit de leur propre accord politique qui, seul, pourrait les relier en les dressant contre les lois israëliennes, ce dont les lois israëliennes viennent à bout au terme d’une série de techniques répressives, retorses et longuement éprouvées. L’antagonisme principal des deux amoureux réside moins dans l’obstacle de l’ennemi que dans leurs propres volontés contrariées : jamais, en effet, la femme ne s’habituera de vivre dans une terre en guerre, une guerre qui lui est étrangère ; et il est désormais devenu impossible à l’homme de pouvoir s’accommoder d’une vie loin des siens, les abandonnant aux désastres de lois iniques. Il y a de l’universel dans ces amours maudits par les conflits, et le grand ordonnateur dans leur tête donne une place prépondérante aux tracasseries arbitraires qui les empêchent de se retrouver.

Il y a de fortes chances que l’attention du spectateur retienne les listes infinies des outrages que l’occupant inflige aux populations autochtones et que symbolisent les plots déplacés méthodiquement, selon une régularité aussi imprévisible qu’implacable. C’est bel et bien une excellente illustration que ce garde-frontière massif et impertubable qui s’impose entre leux deux amants, et contre lequel se débat, avec une dérisoire fragilité, l’épouse réduite à l’impuissance d’aimer sans aucune – mais alors vraiment aucune – perspective. La stérilité, si elle existe, réside bien là, hélas : dans cette rencontre rendue impossible par l’administration du point de contrôle frontalier et qui s’impose à tous, touristes et Palestiniens en transit : le Check Point.

La sidération des victimes est décryptée sur tous les modes de l’observation clinique, au scalpel. Au sortir de la représentation, on se prend à espérer que cette formidable énergie, dans l’écriture et dans le jeu, puisse déboucher enfin, et le plus rapidement possible, sur des espaces ouvrant aux perspectives de paix.

Jean-Jacques M’µ

Palestine Check point, de Jacques Mondoloni, mis en scène par Robert Valbon dans un décor de Régis Mucheron, avec Laetita Richard (la femme), Manuel Martin (l’homme), Genséric Maingreaud (le garde-frontière), au Théâtre des Corps Saints, 76, place des Corps Saints, Avignon, à 18h tous les soirs jusqu’au 31 juillet 2011.

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