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Billet de blog 20 juillet 2011

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Des yeux aux éclairs bleutés effrayants

Marie-Claire Clausse, mère d’Arthur dans “V. Rimbaud”.Il n’y aura pas d’image pour ce spectacle joué seule dans une petite salle d’Avignon ; elle est connue de quelques familiers, il arrive qu’on débouche sur elle au hasard, place des Trois Pilats ; et la méridienne n’est pas une heure très propice.

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Marie-Claire Clausse, mère d’Arthur dans “V. Rimbaud”.

Il n’y aura pas d’image pour ce spectacle joué seule dans une petite salle d’Avignon ; elle est connue de quelques familiers, il arrive qu’on débouche sur elle au hasard, place des Trois Pilats ; et la méridienne n’est pas une heure très propice.

Le thème est connu : tenter de saisir la personnalité de celle qui fut la mère tant décriée d’Arthur Rimbaud. Le spectacle d’origine était prévu selon un autre texte inspiré des livres de Françoise Lalande(1), avec quelques autres comédiens(2). L’adaptation en solo est la cicatrice de ce rêve de scène transféré sur Avignon(3). La comédienne est portée par son rôle de femme souffrante qui fait souffrir, portée par ces autres rôles, d’hommes, de père, d’époux, de maître d’école, de médecin, et portée encore par l’absence de ce fils poète que la postérité admire sous les couleurs de la révolte précoce. Le spectateur travaille à reconstituer le puzzle à travers les éléments de ce qu’il retient des grandes dates de la vie de l’auteur et de ses plus fameux poèmes.

D’emblée, la présence de cette petite femme portant veste et pantalon de lin blanc dans une salle aussi noire qu’une boîte d’allumettes fermée annonce l’entreprise chronologique. La parole de la comédienne s’efface vite derrière celle de Vitalie Cuif, celle qui a perdu sa mère alors qu’elle avait 5 ans, et qui restera grandir à la ferme auprès d’un père souffrant, à accomplir des tâches d’homme au milieu des hommes. La lumière de la régie sait suivre ce parcours de jeune fille et en rendre toute la froide candeur, comme une attente de bonheur qui serait muette pour mieux pouvoir regarder le monde autour, effrayant parce qu’on n’en sort pas.

Les transformations à vue se font par des chaussures avec lesquelles il n’est pas question de marcher : l’exiguïté de l’espace renforce l’enfermement qui va piéger le personnage.

La rencontre avec le capitaine Rimbaud est habilement restituée ; on y pressent toutes les promesses des amours, sauf celle des caresses. L’évocation des naissances successives révèle les carences affectives qui vont anéantir le couple parental. Vitalie se choisit le V de la veuve. Elle est morte à l’amour, aux voyages, aux autres. Désormais repliée sur elle-même, le ton devient cassant, et sa dureté soudaine tranche pour le coup avec ce qui habitait l’innocente fermière des débuts.

Le jeu de Marie-Claire Clausse est à la hauteur de cette misère existentielle : à hauteur des attentes déçues, à hauteur des conditions faites aux femmes réduites à ignorer leur féminité pour tenir un rôle face à la société où le fils fonce fonce fonce pour tenir sa place jusqu'à en perdre la jambe !... Le jeu de Marie-Claire Clausse est à hauteur de ces tentatives de se trouver sans perspective d’une seule caresse pour atteindre sa part de tendresse. Le pathétique des situations reconstitue le gâchis de ces êtres autour d’un poète aux chaussures de vent.

Illustration 1
A. Rimbaud © Centre dramatique d’Arlon

Jean-Jacques M’µ

Ces représentations de nos misères d’humains s’accommoderaient-elles si mal de la frénésie festivalière ?... Il est vrai que chacun cherche ce qu’il ne faudrait (surtout) pas manquer, ici, et ne prend guère la peine du risque de la rencontre, ou, tout au moins, du flux de ses propres expériences en se hasardant hors des sentiers battus et des horaires d’affluence. Car, pour en revenir à l’art dramatique, il se découvre sur la scène noire de l’Isle 80 un mystère puissant que va débusquer cette heure en compagnie d’une mère dressée, seule et butée, face à tous au fur et à mesure que se ratatine au contraire son besoin d’aimer de plus en plus contrarié. Ce renvoi muet à nos propres errances devrait rendre plus modeste l’effervescence bruyante de nos contemporains à courir après le résultat immédiat. La parole poétique devient à cette occasion ce qui voudrait se dire et s'entend si peu.

(1) - Madame Rimbaud, biographie, Presses de la Renaissance, Paris, 1987; Ed. Presses Pocket, Paris, 1991 et 1992; Labor, Bruxelles, 2000 et 2002. Traduction : La madre de Rimbaud, Ed. Funambulista.

(2) En novembre 1991, création de Mother (Madame Rimbaud), par le Centre Dramatique d'Arlon (Maison de la Culture du Sud-Luxembourg), en co-production avec le Théâtre d'Esch-sur-Alzette, dans une mise en scène de Jacques Herbet.

(3) V.Rimbaud, par Marie-Claire Clausse, à l'Isle 80, Place des Trois Pilats, Avignon, à 13h jusqu’au 31 juillet 2011.

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