Plein feu, de Raphaël France-Kullmann et Luc Pacini

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« Rien à foutre de ton théâtre, je veux du boulot !... »
Dans la périphérie de nos villes, et au cœur d’entre elles, ils sont nombreux ceux qui se disent qu’avec le théâtre, c’est de l’argent qui passe, et de bien belles personnes ; seulement, voilà, c’est du rêve et des illusions, tout ça. Une étincelle, un point c’est tout !... Même un éclair qui flambe un mois ne viendra jamais à bout des questions de vie qu’il nous faut résoudre à l’instant. D’ailleurs, pourquoi on y entrerait ? ça parade suffisamment dehors, entre les portes de nos maisons et celles de leurs théâtres. Ce bruit, cette agitation, ce n’est que du vent : rien à voir avec nous !...
S’installant comme acteur en 1999 dans l’extra-muros, Luc Pacini a reçu de plein fouet les réalités sociales qu’il n’avait fait que penser, jusqu’alors. Exerçant son métier à la Barbière jusqu’en 2001, et implantant sa compagnie, Le Papillon, en 2009 à Saint-Chamand, il a pu jouer avec Raphaël France-Kullmann chez les cheminots... dans le quartier des Rotondes à Avignon. La collaboration avec le comité d’entreprise de la SNCF et la région des Alpes de Provence-Côte d’Azur a bien institutionnalisé l’action engagée en accordant des espaces d’intervention, et le Off aura également reconnu l’importance et la valeur de ce travail, mais hors les murs de la ville, bien évidemment, car il y a tant et tant de compagnies reçues dans la cité des papes !... Les festivaliers et les riverains continuent de s’ignorer.
L’acteur Trou noir
Quelles volontés en présence ? Qu’est-ce qui se joue d’essentiel, entre un qui cherche sa place directement, dans la cité des hommes, et l’autre, qui la préfère indirectement, par le biais d’une scène ?...Je suis un acteur trou noir. Avant le début du spectacle je regarde les spectateurs derrière le rideau. Je suis un acteur trou noir. Je connais tous les grands auteurs de la 2e moitié du XXe siècle. Je suis un grand acteur trou noir. Je griffonne mes sensations sur des carnets oubliés qui s’entassent dans des cartons oubliés posés tout en haut sur une étagère prête à s’écrouler, mais bien calée dans l’angle d’une pièce oubliée de mon studio du 6e étage sans ascenseur dans une tour oubliée elle aussi. Les phrases griffonnées sans queue ni tête ne seront plus oubliées. Peut-être que d’ici cent ans, ça aura de la valeur, un prince charmant producteur va les réveiller un jour de leur sommeil. Je crois bien que d’ici là je serai mort. C’est pas grave.
Je suis un acteur trou noir. Je ne joue pas, j’affiche. Une fois que j’ai fini d’afficher, que les spectateurs sont sortis, je joue. Seul, mais je joue. Je suis un acteur Trou noir. Avec une de ces trouilles.Le spectacle conçu par Luc Pacini et Raphaël France-Kullmann a pris le pari de la rencontre non désirée entre un comédien et un demandeur d’emploi. C’est un risque à plusieurs niveaux : ne pas pouvoir sortir du simple constat, offrir une illusion de consensus entre deux mondes aux intérêts antinomiques et dont les désirs sont en conflit ouvert, cristalliser une improbable réconciliation sur des bases factices ou idéalisées... Force est de constater que le plaisir du jeu l’emporte, au contraire, ici, souvent dans les moments les moins attendus, les plus imprévisibles. Et surtout, on pressent que ces deux-là font du théâtre un outil de connaissance des autres et de soi... Pour faire société ensemble.
Les outils, ça dépend de qui s’en sert
Le jeu de masques participe de la métamorphose. Sur le plan dramatique, il permet aux deux personnages de prendre leurs marques et de sortir des jeux de rôles imposés par les rôles sociaux de chacun. C’est un moment métaphore qui donne du rythme et de l’ampleur à la situation. Vient le moment où tombent les masques.
Chacun retourne à sa solitude, à ses rancœurs, à ses (in)certitudes.
JEAN VILAR : Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.
LÉOPOLD : Comment ? C’est vous ? Qu’est-ce que vous faites là ?
JEAN VILAR : Ce sont des choses un peu mystérieuses, et je crois que dans la vie d’un artiste, il y a toujours cette part de mystère qu’il ne faut pas vouloir trop éclairer.
LÉOPOLD : Ça va m’aider, ça, tiens !...
La solitude devant les autres, devant celle des autres, pourrait être le fil rouge (et noir) de ces deux monologues alternés, qui cherchent à tâtons une expression poétique ancrée dans le béton de nos villes. C’est de sortir de la désespérance dont nous avons tous besoin. Le comique se révèle un dérivatif, ici, une échappatoire. Le tragique reste cette tension inconciliable entre la nécessité d’agir et les lieux de l’action. Il va de soi que la très grande difficulté de ce travail est qu’il y est question de chercheur d’emploi ; il en est donné une représentation, une parole probable, symbolisée, esthétisée, mais jouer le chômeur, ce n’est pas jouer avec lui, parler du chômeur, ce n’est pas parler avec lui. La pièce reste encore à écrire et à jouer, qui accompagnerait, mais qui ne surplomberait pas. Le beau geste commencé ici mérite un prolongement ; c’est un cadeau qui doit encore se laisser (a)percevoir par les intéressés eux-mêmes. Tous concernés, oui, mais comment ?... Et par quoi ?...
Plein feu, de Luc Pacini et Raphaël France-Kullmann ; Mise en scène : Blanche Van Hyfte ; Création lumière : Amandine Richaud ; Musique : John Valdez ; Masques : Louis-David Rama ; Graphisme : Mickaël Icard ; Administration : Pélagie Tompouo, à 16h jusqu’au 29 juillet 2011 au Théâtre de la Rotonde.
Nouveau lieu culturel permanent d’Avignon, situé à proximité du centre ville et à distance pour ne pas en subir les inconvénients, le théâtre de la Rotonde est équipé d’un grand parking gratuit, d’un accès handicapés, et d’une salle climatisée de 78 places.
Théâtre de La Rotonde - Rue Jean Catelas 84000 Avignon
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Compagnie Le Papillon
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