Depuis le début, dans cette affaire, on a bien du mal à comprendre le contexte sportif dans lequel elle s’est déroulée. Si ce contexte ne peut à lui seul expliquer la teneur des propos de la réunion du 8 novembre, il donne toutefois un éclairage incontournable, à la condition que ce contexte soit clairement exposé. La volonté, de la part de la DTN, de mettre en place des quotas à critères non sportifs mais « ethniques » est proprement scandaleuse et antirépublicaine. Là-dessus, il n’y a aucune discussion à avoir et les journalistes de Mediapart ne pouvaient, puisqu’ils en avaient la possibilité, qu’enquêter sur ce projet. La réunion a eu pour effet de tourner à une sorte de discussion de comptoir où des propos maladroits et choquants ont été prononcés. Ces propos étaient-ils simplement déplacés ou relevaient-ils d’une véritable xénophobie rampante au sein de ces enceintes sportives ? Nous ne le savons pas encore vraiment puisque l’enquête journalistique semble avoir tourné court, sans doute du fait même que les personnes qui auraient pu permettre aux journalistes d’aller plus loin ne souhaitent pas agir ou parler plus qu’ils ne l’ont fait – je pense à Mohamed Belkacemi et à André Mérelle. Toutefois, sans que ce soit étayé, les deux personnes en question confirment bien un tel climat à la DTN. En parlant de quotas et en ayant ce projet, messieurs Blaquart et Mombaerts semblent les personnes à mettre en cause pour ce qui est d’une accusation de volonté discriminatoire. En revanche, le cas du sélectionneur Blanc est plus complexe.Certes, ses propos sont du plus mauvais effet, surtout à la fin de la discussion, mais ils sont contradictoires puisqu’il dit des choses positives et négatives sur les « Blacks » et qu’il précise à un moment que ce qu’il dit n’a aucune connotation raciste alors qu’il semble, vers la fin, aller dans le sens de la sélection à l’espagnole où il y a si peu de noirs. Deux considérations sportives viennent troubler son discours. Il veut revenir à une équipe privilégiant des joueurs techniques de plus petit gabarit, et sous-entend maladroitement qu’il ne peut s’agir de noirs, tous grands et athlétiques – l’inconscient collectif qui fait les Africains grands et les Asiatiques petits –, donc de blancs – ce qui est particulièrement risible étant donné que Blanc lui-même avait, comme joueur, le physique d’un noir… Malgré ces maladresses de langage et les préjugés qui vont avec, quand le sélectionneur parle de culture et d’histoire à la fin de la discussion, il ne s’agit aucunement de l’identité nationale ou de l’histoire de France mais, pour qui connaît le football, de la culture du foot en France, de son histoire, c’est-à-dire que Blanc voudrait en revenir à l’équipe technique de son époque, voire de celle des années 80 dans laquelle Platini, Giresse, Tigana n’étaient pas des monstres physiques mais qui jouaient à une touche de balle, comme l’Espagne d’aujourd’hui, au point qu’on a pu appeler cette équipe le « petit Brésil ».Mais pour comprendre la réaction du sélectionneur et surtout son assentiment concernant des quotas – quand il dit « éradiquer » puis « limiter » –, il importe de saisir le contexte sportif immédiat. Depuis 2009, la FIFA permet officieusement mais de fait à des joueurs n’ayant qu’une nationalité de rejoindre la sélection de leur pays d'origine. Ces joueurs ne sont des « binationaux » que pour le monde du football car ils n’obtiennent une double nationalité que lorsqu’ils acceptent de jouer pour ce nouveau pays – les procédures administratives étant considérablement accélérées, la double nationalité ne posant plus aucun problème : pas d’attente de plusieurs années comme pour un immigré demandant la naturalisation... Cette nouvelle réglementation a des conséquences sur le football français car, étant donné la diversité ethnique des joueurs français, les équipes nationales plus faibles viennent faire leur marché en France. Sur le plateau de l’émission Revu&Corrigé, le joueur de Lille, Obraniak, a bien dit qu’il a rejoint la Pologne parce que la fédération de ce pays est venue le chercher. Il en est de même pour les trois joueurs français que la fédération sénégalaise a convaincus de venir pour renforcer son équipe en ayant une meilleure défense. Autrement dit, ce nouveau règlement induit de fait une sorte de mercato des joueurs pour les équipes nationales, les fédérations se comportant de plus en plus comme des clubs à la recherche des meilleurs joueurs. La FFF n’a d’ailleurs pas de leçons à donner car il y a quelques années, elle a tout fait pour « débaucher » l’argentin Higuain qui fait les beaux jours de sa sélection nationale et du Real Madrid, tout cela parce qu’il était né en France et avait donc la double nationalité alors que son identité nationale était toute argentine.Voilà ce qui choque Laurent Blanc, qui le conduit à parler d’éradication d’un système, puis de limitation. Mais quand les uns parlent de quotas et d’identifier les futurs « lâcheurs », lui parle d’aider les jeunes à s’identifier. Il est malheureux que le monde sportif soit si hermétique parfois aux questions qui se posent dans la société – comme un empire dans un empire – car de ce microcosme transpirent les mêmes problèmes : identité, origine… Les acteurs du football devraient un peu plus lire la presse politique, économique, sociale et culturelle – et les gens directement concernés par cette affaire auraient dû répondre aux sollicitations de Mediapart plutôt que de nier de façon bornée. A l’inverse, la presse politique et les journalistes de Mediapart, quand ils font une enquête sur le monde du football, devraient quant à eux un peu plus s’imprégner de ce qu’est ce monde, avec ses codes, son langage (histoire, culture) et ses problématiques. Le nouveau règlement de la FIFA ne pose pas de problèmes d’éthique, mais il change la donne et les acteurs du football français en sont visiblement désorientés. Tenir compte de ce contexte pour l’expliquer clairement et non superficiellement relève de la déontologie du journaliste. Quant à l’occulter totalement, c’est malhonnête intellectuellement.
Billet de blog 11 mai 2011
Affaire des quotas: ce qui ne peut être occulté
Depuis le début, dans cette affaire, on a bien du mal à comprendre le contexte sportif dans lequel elle s’est déroulée. Si ce contexte ne peut à lui seul expliquer la teneur des propos de la réunion du 8 novembre, il donne toutefois un éclairage incontournable, à la condition que ce contexte soit clairement exposé.
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