Billet de blog 29 mars 2020

nourredineb@orange.fr

Psychiatre psychanalyste

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Covid 19 : Parler

Parler dès maintenant sans obéir à la fausse injonction citoyenne prônant la mutité pour cause d'unité nationale. Influer dès maintenant sur les décisions susceptibles de sauver des vies : tests massifs, masques, respirateurs. Jamais la prise de parole n'aura été aussi cruciale pour peser sur l'immediat et penser le futur pacte de solidarité.

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  1. Parler

Ainsi donc il faut se taire. Les temps sont difficiles et la critique, outre qu'elle serait malvenue pour cause d'unité nationale, serait de surcroît facile. Car nous dit-on cela ne pouvait s'anticiper. Bref, circulez, il n'y a rien à discuter sauf à encourir l'accusation fatale : polémique politicienne ( notons au passage comme le mot poli-tique, pourtant censé indiquer la préoccupation citoyenne pour les choses de la cité, se trouve dévalué par les politiques eux-mêmes et hélas par trop de citoyens ).

Comment ne pas se soumettre aux fausses injonctions citoyennes ?

C'est que parler ne va pas de soi. Peu de gens ont accès à une parole qu'on écoute. Ils peuvent parler. Mais le réel de leurs paroles se brise sur le mur de la légitimité de classe, de savoir, de pouvoir. L'habileté rhétorique conjuguée à l'appui de réseaux influents est décisive. Tout le monde n'a pas ses ronds de serviette dans telle ou telle émission de radio ou de télé.

Il est arrivé que des donneurs d'alerte troublent et brisent le barrage. On sait avec quelle violence on les poursuit dans le but de les jeter dans des geôles si possible.....jusqu'après leur mort. On ne plaisante pas. Et les démocraties laissent tomber ces voix qui ont dévoilé un ordre du monde dont on eût aimé qu'il ne fût pas porté à la connaissance du citoyen--des fois qu'il lui viendrait la fâcheuse idée de s'occuper de ce qui le regarde.

Le réel déborde désormais de toutes parts. Une foule de mots montent dans la vague : masques, tests, respirateurs, fpp2, surblouse, gel hydro alcoolique..Ces mots creusent le champ signifiant des jours qui nous emportent et exténuent notre pensée et brisent nos boussoles. Ils parlent de vie et de mort, de protection, de moyens se révélant cruellement manquants. L' éthique est le mot nommant l'égard que devons à toute vie humaine. Or c'est ce pacte de base qui se trouve malmené, déchiré : quand des soignants ne sont plus protégés, quand les lits manquent, quand on en viendrait à choisir entre nos parents et les plus jeunes.

C'est ce réel qui dérange. Pas seulement le virus, et le défi qu'il représente pour tout pouvoir qu'on ne saurait accabler à la hâte, mais ce qu'il révèle des choix d'un pays, de ceux d"un monde obsédé par la finance et la mise à terre des services publics. On souligne souvent ce que ces derniers coûtent sans rappeler ce qu'ils permettent : sécurité, santé, énergie, transport, qualité de l'eau et des infrastructures. On découvre que sans eux toute l'économie mondiale vacille--car le covid a accru sa virulence en profitant de la faiblesse de nos services publics et de l'obession économique qui a imposé partout sa loi. Nous ne savons pas si c'est cette obsession qui a joué un rôle, au moins partiel, dans les altermoiements précédant la décision de confinement ( mot que le Président de la République répugne à employer).

Il faut prendre date. Dès maintenant. Non pour diviser. Mais par solidarité avec tous ceux qui travaillent à l'hôpital, en cabinets de ville, les caissières, les routiers, les aides à domicile, les gendarmes. Qu'ils sentent notre profond soutien, notre refus de voir notre pays amputé de sa créativité et de son autonomie. Le bon camp est celui de la sécurité et de la santé dues à tous. Le mot idéologie est devenu infâmant, trop associé aux déluges sectaires et sanguinaires du siècle dernier. Mais on peut en garder la notion d'idées à défendre, à faire entendre dans des combats.

Combat. Oui. Car rien n"est donné. Je ne dis pas violence aveugle. Qui serait indigne de ce que nous vivons. Mais combat car les forces qui ordonnent le monde et qu'on a vu renaitre après 2008, sont puissantes. Très puissantes au point de nous laisser dans l'énigme : fascinées par elles-mêmes, il y a longtemps qu'elles sont entrées dans une étape délirante faisant peu de cas de ce que ce virus vient rappeler : le caractère inaliénable de toute vie humaine. L'homme n'est pas marchandise, pas plus que la santé, pas plus que la planète.

Rien n'est facile pour vivre en paix et en sécurité. La raison est toujours un travail d'equilibre, une négociation redoutable.

Pour l'heure, ce combat continue au plus près des patients. Nous devons l'amplifier pour protéger dès maintenant nos concitoyens. Le ministre de la santé semble entendre les messages et promet une pratique massive des tests ( indispensables partout et encore plus dans les Epahd), des masques, des lits, des respirateurs. Il faut vite rétablir la confiance. Les Français, comme toujours, se montrent solidaires et veulent ce respect de chacun.

On a parlé de grand débat. Il en faudra un, après la crise, sur le fond, proposant une charte à même de poser notre nouveau pacte de solidarité.

Puisse la parole de nos gouvernants ne plus sonner de ces accents faux attestant d'une difficulté tétue à entendre ce réel dont j'ai parlé pudiquement plus haut-car s'il fallait le décrire et l'écrire, il serait insoutenable. Il est rare de voir les médecins témoigner comme ils le font des conditions inacceptables dans lesquelles ils travaillent. La parole de O Veran ouvre un peu les fenêtres au réel : comme autrefois les gays atteints du SIDA, il nous revient de pousser le pouvoir vers une vraie politique de santé et de solidarité. Parler intensifiera la lutte.

L'expérience humaine montre les capacités inouies de déni face au pire : vielle pensée magique qui voudrait annuler les effets du réel. C'est la même logique qui veut minimiser le dérèglement climatique. Il n'est pas exclu que la phase délirante qu'a désormais atteinte le capitalisme financier porte en elle-même cet aveuglement doublé de surdité. Car après tout, au moment des canicules, lors des epidemies de grippe, lors de tous les mouvements de grèves qui depuis des années témoignent d'un hôpital à bout, les pouvoirs successifs ont nié le réel. Et pire peut-être : ont pensé qu'on pourrait le supporter en parvenant à effacer ce qu'il affecte dans l'intime de chacun, dans sa dignité, poussant souvent les soignants dans de redoutables conflits éthiques sources de souffrance.

Ce qui nourrit ce déni garde sa part de mystère. Le confinement strict ne sera pas l'occasion d'une passivité soumise mais le début de l'action immediate et à venir. Pour renouer, vite, avec l"espoir. Surtout ne pas se taire.

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