« Pour être un homme politique, il suffit de savoir ce que veut le peuple et de le crier plus fort que lui ». Ces mots de Gamal Abdel Nasser semblent intemporels et universels tant ils peuvent s'appliquer à différentes époques et en divers lieux. Bien entendu l'homme politique qui est décrit ici n'est pas celui au sens noble du terme dont la vision est uniquement orientée, les actions exclusivement dédiées à la bonne marche des affaires de la Cité. A contrario, la précédente définition est celle plus prosaique du politicien qui recèle à des doses variables des traits divers tels la soif du pouvoir, le populisme, la démagogie, le cynisme, l'opportunisme, le calcul, la manipulation,...
La dernière élection présidentielle a vu s’affronter en finale à l’issue d’une longue campagne et d’un premier tour à suspense, les deux candidats Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Le verdict fut clair et le second nommé est sorti largement victorieux avec à la clé un bail renouvelable à l’Elysée et la présidence des destinées de la France pour cinq ans. En mai de cette année 2007, tout le monde s’accorde sur le fait que c’est un vent nouveau qui souffle dans les artères de la politique. Les bronches semblent se dégager après les années d’asthme chronique qu’a connues le pays. Tout d’abord avec la période Mitterrand qui a débuté sur des espoirs grandioses et s’est achevée sur une forme de mise en scène monarchique. Puis le double mandat inespéré (pour l’homme) de Jacques Chirac marqué par un immobilisme accentué et un très long chapelet de promesses non tenues. Dans ce contexte les mots sont rupture, changement, espoir, ensemble, demain,…, qui passés au mixer accouchent de slogans aux lendemains prometteurs. Mais au delà de l’opposition des programmes qui furent proposés, des personnalités et de leurs partis, nous allons voir dans les portraits en série à suivre que nos ultimes protagonistes avaient et ont fondamentalement plus de points communs que de différences et que leur irruption en plein milieu de la scène politique traduit une évolution profonde de la société française de ces dernières années.MatamoreSes tous premiers pas en politique remontent à il y a peu près trente ans. En 1983, très précoce, il est déjà élu maire de la chic et bourgeoise Neuilly-sur-Seine. Député de Neuilly en 1989, il est nommé ministre pour la première fois en 1993 dans l’équipe d’Edouard Balladur avec le portefeuille du budget et le rôle de porte-parole du gouvernement… A la présidentielle de 1995 il mise sur le mauvais cheval de sa formation, ce qui l’oblige suite à la victoire de Chirac à une traversée du désert relativement longue de sept années. Mais l’animal n’était que blessé et a su patiemment attendre son heure pour réapparaître dans un contexte de désertification avancée des idées politiques. En « sociologue » avisé et bon opportuniste, il parvient sans mal à occuper le centre laissé vacant du débat politique. Sécurité intérieure, travail, justice, éducation nationale, laïcité, place de la communauté musulmane dans la république, Corse,…tout y passe, l’homme truste la parole publique et l’on en arrive même à la situation ou chacun se détermine pour ou contre ses idées. Mais l’essentiel pour lui n’est pas l’intime conviction en ces idées mais surtout le fait de les mettre sur la table et occuper l’espace. Dans la seconde phase de sa carrière marquée par sa résurrection et son irrésistible ascension, on assiste à une situation inédite de forme de cohabitation au sein d’une même majorité au pouvoir, d’abord sous la gouvernance de Jean-Pierre Raffarin puis sous celle de Dominique de Villepin. L’issue est connue, notre homme réglera définitivement la question du leadership de son camp avec une investiture-show à l’américaine avec en prime sur la photo une mise rang spartiate de ses (ex) rivaux. Son slogan est : « Ensemble, tout devient possible » et le maître-mot est la rupture d’avec la France frileuse et immobile d’avant. Malgré le long curriculum précédemment décliné, l’homme se présente donc aux yeux de ses compatriotes avec une sorte de virginité politique et incarnerait la vraie rupture. Ce n’est évidemment sans compter avec l’appui des alliés essentiels qu’il a su se constituer tout au long de son parcours politique: les marchands de mots et d’images dont les cœurs d’activités premiers sont les armes, le béton ou les produits de luxe. Ces derniers ont pu acquérir le quasi monopole des titres de la presse, des maisons d’édition, des chaînes de télé et des radios de grande écoute. Bien entendu ils ne représentent aucunement une menace pour la liberté éditoriale et la qualité de l’information délivrée quotidiennement au peuple, et au-delà même, tout simplement pour la culture en général. Depuis peu d’ailleurs on voit qu’à l’ère de l’informatique généralisée certains de leurs « employés » font preuve d’une maîtrise plus certaine des logiciels de traitement d’image que de ceux de traitement de texte…La rupture que clament haut et fort l’homme et ses nombreux thuriféraires est celle d’avec la politique obscure des clans et des appareils, des privilèges et des renvois d’ascenseur. Et non, ce n’est pas lui par exemple qui réunit autour de lui un groupe de ministres du gouvernement pompeusement baptisé G7 par les medias, sorte de premier cercle chargé de le défendre contre de potentiels ennemis à la fois internes et externes. Autre exemple, la loi de la réforme de l’audiovisuel public est sûrement d’une priorité absolue qu’il fallait vite s’y atteler et il n’y a que les esprits mal tournés qui y voient un cadeau en retour à des amis pour bons et loyaux services.S’il existe une rupture, c’en est en réalité d’une avec la politique qui est progressivement en train de s’opérer. On est entré en plein dans l’ère de la communication politique. L’Elysée s’est muée en une super agence de com’ qui court-circuite quotidiennement la parole de Matignon et les conseillers et autres spin doctors gravitant autour du palais n’ont plus rien à envier au rang protocolaire des ministres. Les déclarations et les décisions se succèdent au quotidien à l’image d’un zapping médiatique. On émet une idée, on en mesure la propagation dans l’opinion et on recueille le signal réfléchi pour décider ou corriger une orientation. L’homme dit un jour, se dédit le lendemain mais il ne manque certainement pas de ligne car il tout est simplement pragmatique. La communication est modulée par les évènements et les réactions du public. Elle est agressive et décomplexée quand elle va susciter assentiment ou indifférence, plus raisonnable et prudente lorsqu’elle risque de rencontrer résistance et désapprobation. Elle joue régulièrement sur le clivage et la division des opinions. Un crime abominable est commis et l’homme est instantanément sur le pont à la télévision, sur toutes les ondes et à toutes les unes ; il faut que l’on voie que lui est du côté des victimes et naturellement ceux qui appellent à la réflexion et au recul sont des philosophes irresponsables, incitateurs ou même complices. Il est du côté de ceux qui veulent bien se lever tôt et gagner honnêtement leur vie à l’inverse de la masse parasite qui vit insidieusement aux basques de la société. Nous pourrions ainsi continuer indéfiniment à décrypter ses interventions et attitudes, mais ce ne serait pas un article qu’il faudrait alors écrire mais plutôt un livre. Certains se sont interrogés très tôt s’il allait pouvoir tenir un quinquennat tout entier en brassage politique et en suractivité médiatique, la réponse est peut-être oui, il y parviendra ! AmphoreElle débute sa carrière politique dans l’entourage de François Mitterrand dès 1982. Parachutée dans une circonscription des Deux-Sèvres, elle se fait élire aux législatives en 1988. Dans les années 90 elle occupe des postes ministériels dans les gouvernements de Pierre Bérégovoy et de Lionel Jospin. Lors du raz de marée de la gauche aux élections locales 2004, elle gagne la présidence de la région Poitou-Charentes. Et lors de l’investiture pour la présidentielle 2007, elle écrase ses deux principaux adversaires qui eux agissent comme des répulsifs au sein de l’électorat socialiste. Le slogan qu’elle s’est choisie est « la France présidente » qui exprime une sorte de volonté de remettre le pouvoir décisionnel aux experts qui sommeillent en chacun des français. Apres vingt cinq années de vie politique, il est aussi clair et limpide qu’elle peut légitimement incarner la nouveauté. Elle est à moitié une création des amis marchands de mots et d’images de Matamore qui, une année avant la grande échéance électorale, font monter le buzz médiatique en livrant des séries de sondages qui la donneraient même gagnante à la magistrature suprême. L’autre moitié qui complète le tableau est un peu un parallèle de ce qui se passe à droite: les années post Mitterrand avec la longue procession des éléphants en direction du cimetière politique. Avec l’impopularité de ces caciques du parti qui semblent depuis trop longtemps inamovibles aux yeux des français, il faut avouer qu’il n’était pas très difficile d’opérer une démarcation tactique.La communication chez elle a un caractère plus amateur, moins structuré et réglé comparée à l’horlogerie suisse de Matamore. Elle joue principalement sur les valeurs sures et contemporaines de féminité et de maternité. S’y ajoute souvent une dimension quasi religieuse lorsque dans ses sorties publiques elle affiche une stature de prêtresse entretenant un rapport passionnel avec les foules, toute empreinte de compassion et de proximité.
Les récents événements du Congrès Socialiste de Reims et de la campagne qui l’a précédée offrent une parfaite illustration de son registre communicationnel. Tout d’abord, en ces temps où le stand up est à la mode partout dans les salles de spectacles et à la télé, contre toute attente elle décide de s’en offrir un rien que pour elle au Zénith de Paris. De quoi arracher tous leurs cheveux aux traditionnels de la politique et déclencher l’excitation des analystes de la politique hexagonale. Mais le coup est bien « joué » car elle revient sur sa scène favorite du bourdonnement médiatique et se met en position prête pour le combat de Reims à venir. Pendant toute la durée du Congrès, pas question d’afficher au premier plan du Colomb ou du Menucci, car il ne faut surtout pas ressembler aux motions rivales où les dinosaures sont tapis dans l’arrière-salle. Il faut plutôt communiquer sur du renouvellement en montrant des quadras élégants en costume sombre et même une jolie beurette. Elle aussi a droit à une bonne petite dose de diversité... Comme si la jeunesse et les origines « exotiques » constituaient des gages absolus de compétence. Son discours à la tribune fut une merveille de tactique politicienne où on la voit afficher non sans plaisir un sourire quand elle provoque sur commande les sifflets des vieux militants de la salle foncièrement rétifs à ses paroles infantilisantes et teintées de catholicisme. Son clan peut par la suite se précipiter devant micros et caméras et jouer avec l’opinion sur la carte du martyr. Malgré la coalition hétéroclite regroupant tout le reste du parti et les immense efforts déployés pour la battre, elle est la seule et véritable « gagnante » de cette bataille de chiffonniers et non Martine Aubry. Et l’on ne prend sûrement pas beaucoup de risques en pariant qu’elle sera en première ligne pour la prochaine course présidentielle. Matamore et Amphore de fait marchent main dans la main et derrière eux suit une foule de millions de gens. C’est comme si le navire France comptait plusieurs vigies au poste qui chacun crient « terre ! » dans différentes directions. La politique est devenue un objet de consommation à part entière. Elle fait appel principalement aux sens, à l’émotion et à l’instantanéité. Il n’y a pas de place pour la réflexion et la profondeur analytique. Le flux surpuissant des mots et des images qui se succèdent doit laisser peu de temps disponible au cerveau ou plutôt l’inverse comme dirait l’autre … Matamore et Amphore ont aussi en commun une défiance envers le monde « intellectuel », tous ces penseurs professionnels ou occasionnels, qu’ils accusent de mépris envers le vrai peuple qui disent-ils souvent est plus intelligent qu’on ne veut bien le croire. Le dialogue est il vrai plus ardu avec des « intellectuels » qui pour la grande majorité continuent à entendre plus avec la tête et moins avec les yeux et le cœur.Les deux principaux acteurs du paysage politique sont les symboles parfaits de l’évolution sociopolitique de la France d’aujourd’hui. Longtemps bastion, du moins en Occident, des résistances à la mondialisation effrénée et multidimensionnelle, Elle est dans la droite ligne de la capitulation totale. Elle tend de plus en plus vers les deux sociétés anglo-saxonnes modèles où la contestation sociale a depuis bien longtemps été neutralisée. Les différentes catégories sociales ont été morcelées, isolées, mises en opposition. Des anesthésies locales ont été pratiquées tant que le corps social tout entier a fini par s’endormir. Juste quelques sursauts de temps à autre quand les coups de scalpels sont assez vifs. A-t-on vu aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni par exemple l’ombre d’une mobilisation sociale alors même que les victimes premières ou celles nombreuses à venir de la grave crise systémique que l’on connait sont les classes pauvres et précaires? L’agenda politico social n’est pas dicté dans les faits par le peuple électeur mais par les événements. Les issues des trois dernières présidentielles US ont été presque entièrement déterminées par le 11 septembre et la crise financière et non par le profond sens politique des électeurs. L’électeur-mouton est le meilleur allié du système sociopolitique en place. La valeur numérique de son bulletin de vote doit être largement pondérée par un coefficient atténuateur de niveau de lavage cérébral. Pour rester dans l’exemple US, il est extraordinaire de voir que dans le pays qui concentre au monde le plus de moyens d’informations et de connaissances que des dizaines de milliers de gens puissent encore avoir la forte conviction que l’un des deux candidats en liste pour la Maison Blanche possède une religion différente de celle qu’il revendique, pour laquelle il est publiquement connu et qu’il pourrait être une sorte d’agent moyen-oriental infiltré…
C’est que le travail sur l’ensemble du troupeau a pu être accompli sans peine véritable au fil des années. L’illusion du plein emploi et celle de l’accès facile aux biens de consommation par l’endettement et le crédit afin de compenser la faible rémunération de la force de travail et sa grande précarité. Le tout saupoudré par la multiplication des loisirs abrutissants et la communication politico-médiatique fait le reste du travail. C’est en réalité ce genre de système dont certains à « gauche » et à « droite » faisaient la promotion il n’ y a pas si longtemps de cela. Entre temps la grande crise a frappé de plein fouet, motus et bouche cousue sur les importations idéologiques…Mais il y a fort à parier que l’abaissement généralisé de l’éducation et du niveau culturel de la société va se poursuivre inéluctablement pour qu’elle puisse se fondre dans la merveilleuse société harmonisée et globale que l’on nous vend depuis des années.