Nicolas Sarkozy, celui qui « veut être le Président de tous les Français », malgré les quelques points qu’il vient de regagner dans les sondages, reste loin en dessous de la moyenne, en termes d’indice de satisfaction. Ceci dit, comme le répète celui qui pendant la campagne commandait quotidiennement des sondages, on ne gouverne pas avec des sondages. Il dit assumer son impopularité. Au-delà d’un manque d’amour chronique, il s’agit probablement de l’expression d’une prise de conscience et de distance de la population à son égard. Le fossé entre une grande partie de la société et son président continue à se creuser. L’opinion n’attend pas de belles promesses d’un candidat en campagne, mais des actes de la part du Président de la République élu.
Or les actes ne sont ni à la hauteur des promesses, ni des attentes. Certains vont même à l’inverse de ce qui est souhaité, voire revendiqué, même si la majorité ne revendique pas. Le peuple est déçu, il se sent floué, trahi, par celui qui avait tant promis. L’état de grâce n’aura duré que quelques mois. En moins de deux années au pouvoir, Nicolas Sarkozy a montré les limites de son volontarisme. Non seulement les réformes qu’il a engagées ne produisent pas les résultats promis, mais la situation se dégrade de jour en jour : augmentation drastique du chômage, déliquescence du service public, inquiétude des ménages, baisse de la consommation, récession… Crise d’abord niée puis minimisée avant d’être avouée par le Gouvernement. Loin de moi l’idée d’affirmer ici que Nicolas Sarkozy est le seul responsable de la crise planétaire que nous traversons. Cependant, j’émets comme hypothèse que la politique libérale qu’il prône depuis longtemps a sa part de responsabilité. Les caisses de l’Etat sont toujours aussi désespérément vides. Ce qui n’empêche pas le Président et son Gouvernement de garder le cap de réformes qui coûtent à l’ensemble de la société pour ne bénéficier principalement qu’aux plus favorisés, croit-on.
Malgré des discours volontaristes et qui se veulent rassurants, sur la prise en compte de la crise et l’engagement de l’Etat dans la protection de ses concitoyens, le Président de la République ne rassemble pas l’unanimité. Il faut dire que la réalité a rattrapé l’éternel candidat en campagne. Respectivement 90 000 et 80 000 chômeurs sont venus grossir les rangs des demandeurs d’emploi en janvier et février derniers. L’Insee prévoit près de 400 000 chômeurs supplémentaires, dans le secteur marchand, pour le premier semestre 2009. Cette nouvelle donne éclaire sous un jour différent le fameux slogan de campagne de l’alors candidat Sarkozy : « Travailler plus pour gagner plus ». « Nous sortirons de la crise en modernisant la France », pas « en embauchant davantage de fonctionnaires ou en rétablissant l’autorisation administrative de licenciement, ni en augmentant le Smic », a martelé le Chef de l’Etat qui a doublé ses émoluments il y a quelques mois. D’ailleurs, il nous propose le « seul chemin qui vaille, celui de l’effort, celui de la justice, celui du refus de la facilité ». Nicolas Sarkozy nous « propose de regarder vers l’avenir, pas vers le passé ». Transmis à ceux qui, partiellement ou totalement, au chômage, les « Conti », les « Sony », les « Total », les « Caterpillar »… regrettent les engagements non tenus de leurs dirigeants, voire du Président de la République. Les métallos de Gandrange, assurés un an auparavant du soutien présidentiel ont même posé une plaque commémorative à l’entrée de leur usine sur laquelle on peut lire : « Ici reposent les promesses de N. Sarkozy », en hommage aux promesses non tenues. Ces salariés « se sentent trahis ». Ils parlent de « mensonge d’Etat ». Cette situation est d’autant moins acceptée que dans le contexte de crise que nous connaissons, Arcelor – Mittal, Total, Sony… dégagent des bénéfices, parfois records.
Les nouvelles propositions du Président de la République pour réagir à la crise ne suffisent pas à atténuer l’inquiétude des concitoyens. Alors que « la France et le monde font face à la crise du siècle », une crise « sans précédent », celles-ci font figure de « mesurettes ». S’il reconnaît volontiers, à propos de la crise, « que les Français soient inquiets est normal », Nicolas Sarkozy maintient un cap de plus en plus contesté dans les réformes. Sa « réflexion » quant à la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu, son « souhait » de mieux indemniser le chômage partiel, l’annonce de la suppression de la taxe professionnelle en 2010, la nécessaire réflexion sur « le partage des profits entre les salariés et les actionnaires », sa volonté d’obtenir un consensus européen sur des baisses de la TVA sur l’hôtellerie – restauration, des produits propres et certains produits culturels, son intention de changer le système de rémunération des traders, sa sévérité affichée face aux paradis fiscaux… ne l’empêchent pas de poursuivre la plupart des réformes engagées avant la crise au même rythme.
En outre, le Chef de l’Etat se refuse à intervenir dans certains secteurs ou à aménager certaines réformes. Ainsi, le « partage des profits entre les salariés et les actionnaires » doit passer par un accord entre les partenaires sociaux. Ce n’est que faute d’accord que « l’Etat prendra ses responsabilités ». Qu’est-ce à dire ? Nul ne le sait. Dans le même ordre d’idées, s’il se dit d’accord pour changer le système de rémunération des traders, Nicolas Sarkozy se dit sceptique sur le plafonnement systématique du salaire des dirigeants. Il est donc tout à fait logique, de ce point de vue, que le Chef de l’Etat refuse de légiférer sur ce point. Selon lui, il appartient au Medef « d’encadrer » certaines pratiques patronales. Ni les scandales quasi quotidiens sur les attributions de parachutes dorés, de stock-options ou de retraites chapeaux, y compris dans des « entreprises aidées », ni les propos de Laurence Parisot, patronne des patrons qui clame qu’elle « ne peut ni ne veut » réguler les émoluments patronaux, n’agissent sur la volonté présidentielle de maintenir leur liberté aux patrons. Le décret minimaliste 2009 – 348 du 30 mars dernier, « relatif aux conditions de rémunération des dirigeants des entreprises aidées par l’Etat ou bénéficiant du soutien de l’Etat du fait de la crise économique et des responsables des entreprises publiques » ne suffit pas à atténuer ce constat. En revanche, Nicolas Sarkozy réaffirme son attachement au respect de la Loi lors des « séquestrations illégales » de patrons dans leurs entreprises. L’intention présidentielle de ne pas engager de « dépenses publiques supplémentaires » et de poursuivre les réformes de la fonction publique, notamment le « non remplacement d’un fonctionnaire sur deux » attestent du maintien du cap des réformes. D’autant que la spectaculaire augmentation du budget communication du Gouvernement s’inscrit en faux avec cette volonté. Le maintien du bouclier fiscal, enfin, prouve, s’il en était besoin, que la crise ne suffit pas à changer la politique du Président. Malgré une opposition de plus en plus virulente, jusque dans son propre camp, et le fait que « les caisses de l’Etat sont vides », Nicolas Sarkozy s’arc-boute sur ce qui relève de plus en plus d’une injustice. L’affectation au financement de mesures sociales des quelque 1.4 milliards d’euros d’intérêts que devraient rapporter à l’Etat les aides accordées aux banques semblent bien peu, au regard des 15 milliards d’euros que coûte le bouclier fiscal. Sachant, en plus, que ce milliard et demi devrait se voir amputé des intérêts que l’Etat, qui a emprunté pour prêter, devra à son tour verser à ses créanciers.
Dans ce contexte d’inquiétude et de crise, les choix et arbitrages présidentiels apparaissent de plus en plus décalés de revendications de plus en plus clairement exprimées. La contestation ne cible plus tant les réformes elles-mêmes que, nommément, le Chef de l’Etat. Au-delà de sa politique, c’est le personnage qui semble aujourd’hui contesté, voire détesté. Cela apparaît entre autres dans les différents slogans, chantés ou écrits, qui animent les défilés, dans de plus en plus de blogs sur Internet et dans certains dessins ou caricatures. Nicolas Sarkozy semble focaliser l’ensemble des rancunes. Comme cela a déjà été remarqué, il paie sans doute aujourd’hui le rôle et l’importance qu’il s’est donné dans les médias, au détriment de son Gouvernement et des autres grandes instances politiques.
D’ailleurs, le Président de la République lui-même ne s’y trompe pas. Fini les déplacements sur les sites qui délocalisent ou licencient alors que l’entreprise dégage des bénéfices confortables. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy, lors du moindre de ses déplacements, s’entoure d’un service de sécurité conséquent et infranchissable. A l’opposé de ses précédents bains de foule ou de ses face à face musclés en direct devant des salariés inquiets, le style présidentiel a évolué. Finis les « Toi, si tu as quelque chose à dire, tu as qu’à venir ici ! » ou encore « toi, tu n’as qu’à descendre ! » en réponse aux invectives des pêcheurs du Guilvinec, en novembre 2007. Terminé les sifflets à l’encontre du Président. Sifflets qui l’avaient conduit à exiger les mutations du Préfet et du Directeur de la police de la Manche qui n’avaient pas su assumer correctement sa sécurité lors de son déplacement à Saint Lô, en janvier dernier. Ainsi, sa visite éclair au dernier Salon de l’agriculture, s’est, de son point de vue, bien passée. Pas de place à l’improvisation. Outre le service d’ordre élyséen, le Président était entouré de militants Ump. Même les journalistes chargés de rendre compte de la visite ont été triés sur le volet. Chacun d’eux portait un badge annonçant : « Présidence de la République – Pool ». Il fallait à tout prix éviter le fumeux « casse toi pauvre con » de l’année précédente. Notre Président a voulu donner l’image d’un Chef de l’Etat adulé. Les téléspectateurs n’ont pas été dupés par les militants – figurants qu’ils pouvaient reconnaître d’un stand à l’autre pendant la visite. Le discours prononcé à Saint Quentin, dans l’Aisne, est un autre modèle dans le genre. A cette occasion, Nicolas Sarkozy s’est exprimé devant un parterre de sympathisants Ump dûment invités par carton. Outre ces 4000 invités, 1 300 policiers, CRS et gendarmes ont été dépêchés sur place pour assurer la sécurité du Chef de l’Etat. Enfin, le centre ville a été bouclé. En dehors des sympathisants dûment identifiés, nul ne pouvait s’approcher de Nicolas Sarkozy. Les habitants et commerçants du centre-ville ont savouré à sa juste valeur de se voir empêcher de sortir ou regagner leur domicile ou lieu de travail.
Sans parler du coût et des moyens déployés à l’occasion de tels déplacements, ce qui ne va pas dans le sens de ne pas engager de « dépenses publiques supplémentaires ». Ainsi, le déplacement de Nicolas Sarkozy à Saint Quentin est évalué à 400 000 euros. Le déplacement présidentiel à Annecy, en octobre dernier, a duré un peu plus de trois heures et a nécessité, outre la présence d’un dispositif de sécurité renforcé : gendarmes à motos, en voitures et, même, en hélicoptère, la mobilisation d’un certain nombre d’édiles locaux (préfets, député, sénateur, vice-président de conseil général, maires…). Pas moins de 14 véhicules ont composé le cortège présidentiel. La visite présidentielle dans la Drôme, en mars dernier, a mobilisé, pendant trois heures, près de 1300 gendarmes. De plus, l’aéroport de Chabeuil où l’Airbus présidentiel s’est posé ne possédant pas de rampe d’accès à ce type d’avion, il a fallu en faire venir une de Lyon… par convoi exceptionnel ! N’oublions pas les deux hélicoptères, un Puma et une Gazelle, mis à disposition au cas où, et les nombreux véhicules stationnés sur le passage du cortège, mis en fourrière. Que restera t’il de son prochain déplacement sur le thème de la sécurité, à Nice, dans les jours prochains ? Gageons que le Président montrera, une fois de plus que la sécurité sera au rendez-vous et qu’il maîtrise son sujet.
Notre parangon de l’activisme et du volontarisme se laisserait-il impressionner par quelques pancartes, quolibets et sifflets ou tant de précautions et d’attentions relèveraient-elles de la mégalomanie ? Dans ce sens, la volonté présidentielle de renouveler une flotte aéronautique pas si vieille que cela et, surtout, le désir de posséder son propre « Air Force One », plutôt qu’un banal Falcon indigne de son rang, ne font qu’alimenter les polémiques. Le train de vie et l’opulence qui entoure le Chef de l’Etat apparaissent comme complètement décalés de la société qu’il préside. Surtout alors qu’il exhorte la population à l’effort et à la patience, en attendant la reprise. La distance qui sépare le Président d’une partie de plus en plus importante de la société augmente aussi de par les trop nombreuses démonstrations de son goût immodéré pour l’argent, le brillant et le luxe. Malgré les critiques, c’est plus fort que lui : moins de deux ans après l’affaire de ses vacances à bord du Paloma, yacht de luxe de son ami Bolloré, au lendemain de son élection, ou dans une riche propriété de Wolfeboro, aux Etats-Unis, pendant l’été 2007, le Président de la République, en pleine période de crise, se fait offrir un séjour dans un hôtel pour milliardaires à l’occasion d’une visite éclair au Mexique. Une fois de plus, Nicolas Sarkozy s’entoure d’un luxe qu’aucune visite même d’Etat ne justifie. Si chacun a droit à des congés, outre la polémique sur l’hôte du Président et son épouse, la somptuosité de l’accueil en a interrogé plus d’un. Dans quelles conditions et aux frais de qui le Président du Mexique et son épouse seront-ils reçus en France, en retour ?
De ses promesses non tenues à ses choix politiques de plus en plus contestés, de son volontarisme forcené à des résultats peu probants, la grogne à l’encontre du Président de la République s’installe. Du public au privé, du politique au personnel, Nicolas Sarkozy, non seulement en tant que Chef de l’Etat, mais en tant que personne, provoque le ressentiment d’un nombre de plus en plus grand de ses concitoyens. Celui qui se vante d’avoir « la banane » a trop tendance a oublier que d’autres, de plus en plus nombreux et dont ses électeurs d’hier, ont d’autres soucis qu’il ne résout pas. Nicolas Sarkozy a emporté la dernière élection présidentielle après une campagne parfaitement orchestrée. Sur le terrain, au-delà des promesses non tenues, ses limites ternissent son image. La question d’un deuxième mandant se pose, peut-on lire dans la presse. Nicolas Sarkozy sera t’il en état de se présenter à nouveau en 2012 ? Pour l’instant, rien n’est moins sûr. Si les orientations politiques qu’il prône ne montrent pas qu’il est devenu le « Président de tous les Français », ses amitiés et relations interrogent sur la posture qu’il a adoptée depuis son élection : Président de la République ou défenseur acharné des plus fortunés ? Si, à leur tour, les riches amis du Président devaient lui reprocher de ne pas avoir tenu ses engagements, il ne resterait que peu de sorties à Nicolas Sarkozy. Au fait, Vincent Bolloré compte parmi les promus de la dernière promotion dans l’Ordre de la Légion d’Honneur.