La « réussite », terme à la mode s’il en est, force le respect, voire l’admiration. Il arrive parfois qu’elle déclenche l’envie, voire la jalousie. Cependant, la réaction la plus fréquente est, cela mérite d’être rappelé ici, l’indifférence. D’une manière générale, celui, celle qui a réussi, ses proches ou même des admirateurs se congratulent. Il arrive même, dans certains cas extrêmes, qu’ils s’auto congratulent. A l’inverse, ceux que la réussite de l’un dessert, en réaction, le jalousent. Entre les deux se situent tous ceux, indifférents, pour qui la réussite d’autrui n’évoque rien. Cette entrée en matière, un peu longue j’en conviens bien, va me permettre d’écarter d’emblée les sentiments d’admiration, d’envie ou de jalousie que certains ne manqueront pas de me reprocher. Ce n’est pas ce qui m’anime. Par contre, je suis beaucoup plus animé par un esprit critique, quelque peu exacerbé, je le reconnais volontiers. Je commencerais par rappeler qu’il ne faut pas confondre réussite et ambition. Si le second terme peut aider au développement du premier, il ne suffit pas en soi pour réussir. Parler de réussite, quelle qu’en soit la déclinaison, la forme ou la conjugaison demande à s’interroger sur l’objet de cette réussite : réussir, d’accord, mais quoi ? La réponse à cette question reste trop fréquemment dans un flou qui gène toute tentative d’évaluation sérieuse. Par exemple, lorsqu’il, de retour de Géorgie s’est enflammé : « j’ai réussi ! », Nicolas Sarkozy a simplement omis de préciser quoi. A t’il arrêté le conflit ? A t’il fait signer un traité de paix ? A t’il réinstauré une relation diplomatique rompue ? Il est resté d’une discrétion peu habituelle chez lui sur ces questions. Dans le même ordre d’idées, parler de réussite au sujet de la gestion présidentielle de la crise semble, encore, prématuré. Nul ne saurait dire aujourd’hui jusqu’où cette crise va s’étendre ou creuser des ramifications, ni combien de temps elle va durer. En outre, il n’est pas certain que les mesures prises par le gouvernement produisent les résultats escomptés. Les grands spéculateurs, responsables de la crise financière, sont moins inquiets et inquiétés que leurs concitoyens. Par exemple, l’ancien PDG de la Société Générale a réalisé de substantielles plus values sur la vente de ses stock options, alors que le cours des actions de la banque qu’il présidait jusqu’à récemment s’est effondré en bourse. Si le numéro un de la Caisse d’Epargne a été limogé sans parachute doré, il n’a pas été condamné à rembourser les pertes enregistrées sous son mandat sur ses deniers personnels. Les dirigeants et administrateurs du Crédit Agricole du Nord vont participer, aux frais de leur banque première renflouée par l’Etat, à un safari photo au Kenya. Sans parler de la branche assurances de Fortis, ou de Dexia, deux entreprises « recapitalisées » par les états concernés, qui chacune leur tour ont offert des agapes à respectivement 150 000 et 200 000 euros à leurs cadres et dirigeants, dans un lieu choisi pour l’occasion : l’Hôtel de Paris à Monaco. Si les réservations de ces soirées précèdent la crise, ces dirigeants montrent un manque de réactivité auquel nul ne s’attendait. Qui osera encore, après de telles démonstrations critiquer les lourdeurs administratives. Bref, ces quelques exemples montrent à quel point parler de réussite à propos de la refonte du capitalisme reste risqué. A ce jour, rien n’est joué. Certains analystes, opposants au camp du Président de la République, parlent de « privatisation des bénéfices et de nationalisation des pertes ». C’est dire que le débat n’est pas clôt. Chacun aura noté que je n’ai pas évoqué, sans doute par pudeur, la question du « pouvoir d’achat » en France, sujet cher à l’alors candidat à la Présidence de la République. Nombre de concitoyens conviendraient volontiers, si j’abordais ce sujet, que là non plus, la réussite n’est pas au rendez-vous. Comme nous venons de le voir, ce que certains qualifient de réussite mérite des précisions, voire fait débat chez d’autres. Ces quelques exemples entachent le bilan, partiel, que Nicolas Sarkozy tire de ses premiers mois de présidences[1]. Pourtant, il se propose, au bout d’à peine quatre mois de Présidence de l’Union européenne de prolonger son mandat. Ou, au minimum de présider la zone euro. Si ce n’est la réussite qui, comme nous l’avons vu ci-dessus, mérite d’être nuancée, alors quels arguments lui permettent-ils de formuler une telle revendication ? La réponse est son ambition. Si Nicolas Sarkozy n’a pas encore prouvé les bienfaits de sa politique, il n’est ni homme à stagner ni homme à se cantonner dans des seconds rôles. Il doit continuer à aller de l’avant, comme il l’a toujours fait. Son déroulement de carrière ne peut souffrir d’attendre des résultats. De maire, il est devenu ministre, président de conseil général et ministre d’Etat avant de devenir président de république. Aujourd’hui, la Présidence de la France semble le lasser. Cette fonction qu’il aura voulue et préparée pendant cinq longues années ne lui suffit plus. La France est une trop petite nation, de dimension planétaire mineure. De plus, ses ministres se révèlent incapables de conduire correctement les réformes prévues. Et puis les Français, cramponnés à leur pouvoir d’achat, sont trop passéistes. Lui se projette sur une plus grande échelle : l’Europe. D’abord, il voit en l’Europe un territoire juste assez grand pour lui, entre les Etats-Unis, l’Inde, la Russie et la Chine. Ensuite, ses premiers mois de présidence de l’Union européenne lui ont donné des ailes. Il s’est forgé une dimension internationale d’envergure. Il se voit en George Bush européen. Cependant, pour marquer sa supériorité devant celui à qui il a « imposé des sommets », il s’adjuge la co-présidence de l’Union pour la méditerranée. Redevenir Président de la République Française serait, à ses yeux, une régression. Lui, homme pressé, qui a toujours été de l’avant, ne peut envisager un tel recul. Et puis cela l’obligerait à répondre à des questions auxquelles sa nouvelle stature internationale lui permet d’échapper. Son fameux slogan de campagne : « travailler plus pour gagner plus » s’est réduit comme peau de chagrin. Aujourd’hui, nombre de salariés travaillent autant pour gagner moins. L’augmentation du chômage, conséquence directe de fermetures d’usines, alors que l’actuel locataire de l’Elysée affirme, contrairement à Lionel Jospin, «je n'ai pas été élu pour vous dire "on n'y peut rien"», en laisse plus d’un perplexe. D’ailleurs, chacun se souvient de son soutien aux métallos de Gandrange, en février dernier et, surtout, des résultats obtenus. Celui qui « n'accepte pas la fatalité » n’a, pour le moins, pas complètement réussi. Il ne peut pas accepter de n’être que l’un des 27 présidents de l’Union européenne, noyé parmi ses homologues belge, bulgare, chypriote, grec, hongrois, letton, luxembourgeois, portugais, roumain, slovaque… Sa place est devant. Notre personnage se pose comme le leader de l’union qu’il préside. Les nombreuses conférences en « G », G4, G7, G8, G20… qu’il convoque ou auxquelles il participe régulièrement attestent de la hauteur de l’homme d’Etat. Les Tchèques qui doivent lui succéder n’ont pas l’envergure pour jouer un rôle de premier plan comme celui-là. Nicolas Sarkozy doit, selon lui-même, rester à la tête de l’Union européenne. Cependant, ne nous y trompons pas. Comme pour la Présidence de la République Française, qui ne semble déjà plus lui suffire au bout d’un an et demi, Nicolas Sarkozy risque, à nouveau, de se projeter dans un autre espace avant que ces intentions affirmées ne se concrétisent. Il donne à penser que la Présidence de l’Union européenne n’est, à ses yeux, qu’un tremplin vers une reconnaissance mondiale. Tout comme semble l’être devenu la Présidence de la République Française, une fois élu. A croire que Nicolas Sarkozy n’est pas, à l’instant présent, mais qu’il veut être plus tard, perpétuellement dans l’avenir. D’ailleurs, la « refonte du capitalisme » qu’il proclame tant depuis le début de la crise relève davantage de l’ambition que de la situation. Il aura d’autres préoccupations avant que la crise actuelle ne soit résorbée et que le capitalisme ne soit refondu. Cette escalade risque de se terminer par une chute brutale. Plus dure sera la chute, mais pour qui ?
[1] Française et européenne.