Septembre 1930. William Dyer, professeur de géologie à la fameuse université Miskatonic d'Arkham et une équipe de scientifiques de renom lèvent l'ancre pour l'Antarctique à bord de l'expédition Pabodie (du nom de son confrère biologiste). Malheureusement pour eux, cette simple mission de prélèvement d'échantillons virera très vite au cauchemar après la découverte de mystérieuses ruines antiques tapies dans l'ombre quasi-illusoire d'une chaîne de montagnes plus haute que l'Himalaya.
Une soif maladive de découvertes
Comme il est précisé dans l'introduction du manga, la fin du XIXe siècle et les débuts du XXe siècle furent marqués par une succession d'expéditions vers l'Antarctique. L'Expédition Amundsen fut la première à atteindre ces terres hostiles et c'est dans ce contexte de quête d'aventures et de connaissances que se situe l'histoire des Montagnes Hallucinées.
L’œuvre de Lovecraft relate presque toujours l'histoire de personnages avides de connaissances, de pouvoir ou de notoriété qui, trop avides, finissent systématiquement par creuser trop profond et réveiller un mal antique. Mal antique qui causera systématiquement leur perte soit par la mort, soit par la folie. Ces maux antiques, appelés "Les Anciens", sont de véritables forces de la nature. Très rarement décrits de façon précise, ils prennent souvent la forme de gloubiboulgas dans l'esprit des lecteurs. Punitions métaphoriques plus qu'ennemis de l'humanité, ils représentent la chute de l'Homme face à ses trop grandes aspirations et sa démesure. Une lecture de circonstance.
Mettre en forme le difforme
Gou Tanabe, par son adaptation visuelle, s'est donc attelé à une tâche difficile : mettre en forme le difforme, rendre tangible l'illusion. Et il y est parvenu d'une main de maître. Non content de nous fournir de magnifiques planches et double-pages représentant l'Antarctique, Tanabe s'est targué de nous livrer une interprétation visuelle des Anciens plus que... dérangeante. Mi-végétales, mi-animales, ces chimères impossibles et rampantes font froid dans le dos.
Le stress et la folie des différents personnages face à ces monstruosités est palpable et presque contagieux. Chaque émotion extrême d'incompréhension, de terreur et de démence se grave dans le visage des membres de l'expédition sous les yeux grandissants des lecteurs, qui font désormais partie de l'équipe.
Une telle précision dans le trait a rarement été atteinte dans le monde du manga. Les seuls exemples me venant en tête sont les œuvres de Kentaro Miura (Berserk), Takehiko Inoue (Vagabond) et Jiro Taniguchi (Le Sommet des Dieux). Chaque case de ce tome est à elle seule un véritable plan de cinéma.
Adapter Lovecraft, aussi risquer que de partir en Antarctique ?
A l'issue de la lecture de ce tome, une question m'est venue à l'esprit : quand verrons-nous une bonne adaptation cinématographique de ce monde putride, informe et vaseux qu'est celui de Lovecraft ? Qu'est ce qui peut bien effrayer les scénaristes et réalisateurs de s'y essayer ? Cthulhu lui-même ? La folie potentiellement contagieuse de Lovecraft ?
Les livres de ce dernier sont considérés comme des classiques de l'horreur (voire les plus grands classiques) et l'horreur elle-même reste un des genres les plus exploités et les plus plébiscités dans l'industrie du cinéma. Il y a pourtant tellement à faire avec le cosmicisme sur grand écran.