J’ai par ailleurs pu exprimer l’intérêt que je portais au livre de Julienne Flory sur mes thématiques personnelles mais je voudrais ici rendre compte de ma lecture de ce premier livre d’une philosophe sociologue qui aborde avec l’étude des injures un domaine qui ouvre des perspectives intéressantes de compréhension du fonctionnement de notre société. Il s’affiche par une injonction paradoxale : Injuriez-vous ! mais un sous-titre l’éclaire fort justement sous la forme d’un programme : Du bon usage de l’insulte.
Malgré le bâtard, con, débile, merdeux et autres allégresses de la couverture, il faudra chercher ailleurs un répertoire de gros mots car pour l’auteur ce plaidoyer doit mener « à davantage de réflexion sur la façon dont nous les utilisons » aussi dès l’introduction nous prévient-elle que les injures sont un objet politique et que la justice s’y intéresse. Ce sont les thèmes essentiels de ce livre à a lecture aisée.
La mise en garde de l’auteur semble abandonnée car elle cherche d’abord à nous présenter « ce que nous apprennent les injures ». Certes, dans son premier chapitre, quelques gros mots, insultes et injures sont lâchés mais il est surtout démontré, même s’il ne s’agit là que d’une première approche, que ces termes illustrent les limites du dicible en société : en user vous poste en position de déviant. Il est en effet instructif de comprendre pourquoi certains mots et expressions tombent à plat et pourquoi d’autres sont beaucoup plus efficaces pour faire de ces petites choses de véritables attaques verbales. J’aurais aimé plus de verdeur, de truculence, de bons mots mais ce n’est pas le propos du livre et quelques judicieuses références ouvrent à ces perspectives décoratives inconvenantes dans une société qui se veut policée.
Ceci fait, Julienne Flory se devait, dans son second chapitre, de nous avertir des « risques de l’injure ». Il ne s’agit pas d’un ouvrage de droit mais le propos est instructif et fort utile à qui veut faire entendre sa voix sur la scène publique, entrée en scène que constitue toute écriture sur un blog ou au travers de l’un des médias contemporains. Pour cela, l’auteur cherche d’abord à rappeler les objectifs de l’injure, pour la rendre plus efficace mais aussi pour nous prévenir du coût et des inégalités de droits qu’à tout citoyen devant ce droit à l’injure que ce soit l’impunité dont certains bénéficient ou celle dont nombre d’humoristes savent jouer. Ces points mériteraient des développements mais l’ouvrage ouvre un champ de recherches où la confrontation de l’impunité de certains et l’indulgence accordée à d’autres promet fécond. Il reste que l’avertissement des risques encourus et les pistes ouvertes pour l’utilisation de ce que le troisième et dernier chapitre propose sont fort revigorants.
Elle y dessine un pouvoir magique donné aux injures et leur accorde un pouvoir d‘agir qui, malgré les exemples documentés dans l‘utilisation qu’en ont faits certains groupes comme témoins de leurs revendications transgressives, pour les LGBT par exemple, ne parvient pas à nous convaincre. Mais ce n’est que parce que ce petit livre ne fait qu’ouvrir une recherche sur ces moyens du langage que l’on pourrait considérer comme tabou alors qu’ils sont des ressources dont nous avons à nous saisir pour renforcer nos combats.
Le livre de Julienne Flory est de fait fort utile et ouvre des perspectives. C’est en cela qu’il mérite d’être lu et relu comme un guide d’initiation au bon usage de l’insulte.
Julienne Flory, Injuriez-vous ! Du bon usage de l’insulte, Paris, Les empêcheurs de tourner en rond/Ed La Découverte, 2016.