« Comme chaque année à la fin de l'été, Bison futé avait prévu des journées noires sur les routes. Mais aux péages, comme dans les gares et les aéroports, on ne vit personne revenir. Sans se concerter, sans obéir au moindre mot d'ordre, 11 millions d'Aoûtiens ne reprirent pas le chemin de la rentrée le dernier week-end d'août. »
Ce premier roman peut être pensé comme une fable, un conte moderne, dans lequel les personnages servent à l'auteur pour se moquer des médias et des policitiens actuels mais aussi pour mettre en avant la peur des migrants qui émaille nos réseaux sociaux depuis plusieurs mois. Si la lecture est parfois redondante, elle n'est cependant jamais lourde. L'écriture, particulièrement efficace et amusante est un vrai plaisir. C'est un roman qui se termine vite, mais reste longtemps dans les esprits.
On ne sait pas trop quelle année nous sommes ; les réseaux sociaux étant évoqués plusieurs fois, ainsi que la nécessité ressentie par les vacanciers de couper leur téléphone, on peut penser que cet événement (ou non-événement ?) aurait très bien pu se passer cette année, ce septembre 2016. Voire l'année prochaine - quoique cette fois-ci, l'idée leur aura été soufflée, aux Aoûtiens, de ne pas rentrer.
Le temps pourtant émaille tout le roman, chaque chapitre étant l'occasion d'avancer dans le calendrier et de noter l'affolement accroissant des politiciens ainsi que des médias. Lorsque le marronier de la rentrée ne peut pas se développer... Que peuvent-ils écrire ? En général des articles qui n'ont pas de sens : « D'une chaîne à l'autre, dans les transports, lors des dîners en ville ou entre amis, on ne parlait que de leur absence. Les journalistes rivalisaient dans leurs annonces : "Un étalement inhabituel des vacances", "Pourquoi si peu de monde sur les routes ce week-end ?", "Où sont passés les Aoûtiens ?", "Dis, quand reviendras-tu ?", "Rentrée buissonnières pour des millions de Français", "De quoi ont-ils peur ?", "Une rentrée française". [...] Mais l'affolement général n'autorisait pas le second degré ou les références subtiles. » Bref, ils n'écrivent rien de bien constructif.
Par contre, au fil de la lecture, plusieurs thèmes ressortent.
Le premier, bien sûr est la question du bonheur ; la société nous force à penser qu'il est absolument nécessaire d'être sans cesse heureux, notamment au travail. Que ce dernier est même la condition sine qua non du bonheur, avec celle d'avoir des enfants. En ne rentrant pas, les Aoûtiens remettent en question cette idée : et si le fait, finalement, de ne rien faire ou plutôt de faire ce que l'on souhaite n'était pas la meilleure des choses (à faire, justement) ? Cette idée, rapidement pensée comme un éogïsme par ceux qui eux, sont rentrés de vacances, leur est reprochée puisqu'en ne rentrant pas, ils obligent les autres à travailler plus, et menacent de fait leur bonheur. Spirale infernale. Le fait d'être heureux est donc au coeur de cette fable amusante.Le personnage principal, Michel, en rejoignant les Aoûtiens, laisse d'ailleurs entendre que le mieux, c'est précisément de faire ce que l'on veut, peu importe le temps que cela prend. Après tout, les vacanciers vont bien finir par rentrer. D'ailleurs, face à leur « trahison » nationale, une « amnistie » leur est proposée plusieurs fois : s'ils rentrent, ils ne seront pas embêtés et pourront tranquillement reprendre leur vie. Ce thème du bonheur est donc léger, ironique, et émaille le roman d'anecdotes et de sourires. Après tout, pourquoi ce seraient spécialement les vacanciers non rentrés qui auraient tord ?
Le second thème est beaucoup plus sérieux, notamment parce qu'il résonne avec l'actualité :il s'agit de la question de l'accueil des réfugiés. En effet, le parallèle entre ces derniers et les vacanciers non rentrés est particulièrement fort. Après tout, eux-aussi se retrouvent sans logement, eux-aussi sont une masse qui refuse de s'exprimer par peur de mal se faire comprendre, eux-aussi n'ont plus d'argent et doivent se débrouiller, quitte à être dans l'illégalité en occupant des logements vacants ou en construisant des camps. Les camps des vacanciers sur les plages font même l'objet d'une interdiction rapidement annulée, à l'instar de celle du port du « burkini » sur nos plages cet été. La manière dont rapidement les politiques sont débordés et enchaînent les maladresses, et dont de petits groupuscules colériques se forment contre cette « menace » en fait un parallèle presque douloureux.
On lit en effet : « Fourcade, dont la voix tranchait avec les murmures et les paroles indistinctes, prévenait à la cantonade qu'il n'allait pas rester les bras croisés comme les gendarmes, à regarder les Aoûtiens se la couler douce. Un avocat, déjà médiatisé pour sa défense des excès les plus graves des automobilistes, dit qu'il avait une solution. Et pour une fois, Bruxelles serait "du côté des citoyens honnêtes". Il proposerait, par l'intermédiaire du député européen originaire de la région, d'appliquer une directive du plan européen visant à contrôler les flux de migrants illégaux. » En d'autres termes, en demeurant là où ils ne sont pas souhaités, les vacanciers, à l'instar des migrants à Calais, déchaînent la colère de la population et les propositions sans queue ni tête.
Enfin, Stéphane Benhamou n'a de cesse d'insister sur la masse silencieuse des Aoûtiens qui déconcerte et engendre de l'incompréhension ; plutôt que de parler ils « ne préfèrent ne pas... », être vus, être entendus, ni jugés. Ils veulent juste du temps, comme les réfugiés. Rapidement, cette incompréhension se transforme à la fois en haine et en recherche d'un bouc émissaire dans la personne de Michel qui se fait leur porte-parole. À l'instar des organisations caritatives qui tentent d'apporter de l'aide aux migrants. Pour les médias comme pour les politiciens, le fait qu'une telle masse de personne décide sans s'être concertée de ne pas rentrer n'est pas logique, n'est pas possible. Il y a forcément un meneur ; en s'attachant à le retrouver, ils se rendent ridicules et ne résolvent pas le problème, au contraire.
Notons que la balance entre les thèmes amusants du bonheur et de la débrouillardise de ces Aoûtiens et celui beaucoup plus dur des migrants est bien faite. Le lecteur lit vite, mais réfléchit longuement sur les mécanismes mis en place contre ces derniers en sortant du livre. C'est un ouvrage qui se dévore avec plaisir et fait souvent sourire ; parfois d'amusement, parfois de tristesse. Du coup, on ne peut qu'être déçu par la fin... Qui pourtant ne pourrait pas être autrement.