Si, comme moi, vous n'avez que de vagues notions à propos de l'invasion de l'Ethiopie par l'Italie fasciste de Mussolini en 1938 et que vous aimeriez en savoir plus, "Tous, sauf moi" est le livre qu'il vous faut.
Ilaria, une dynamique enseignante romaine, découvre un matin sur son palier un jeune adolescent Ethiopien qui lui déclare calmement :"Votre père est mon grand père, vous êtes donc ma tante." Les papiers qu'il lui tend semblent le confirmer. Ilaria tombe des nues mais décide d'héberger ce jeune homme et d'entreprendre une enquête qui lui révélera ce qui, depuis plus de 70 ans, a été complètement occulté dans sa famille: son père jeune a été chemise noire, membre du parti fasciste de Mussolini et, comme des milliers de ses compatriotes, a participé activement à l'invasion et à la colonisation de l'Ethiopie pendant cinq ans, de 1938 à 1943.
L'auteure, Francesca Melandri, a réalisé un remarquable travail de documentation grâce auquel elle nous fait découvrir que les violences, les massacres, le racisme assumé et le sort dramatique des populations colonisées ont été tels que si l'Italie n'avait pas changé de camp en 1943 pour rejoindre les futurs vainqueurs, elle aurait été jugée à la libération pour crimes contre l'humanité et génocide.
Ce livre confirme brillamment une thèse chère à la rédaction de Médiapart: le racisme de nos sociétés contemporaines européennes est indissociable des horreurs coloniales. Il en est le fils naturel non reconnu.
Francesca Melandri écrit aussi avec lucidité: " Le racisme est le moyen le plus efficace jamais inventé pour briser la lutte contre les inégalités, la lutte des classes disait-on autrefois. Il sert à pousser les avant-derniers à se sentir supérieurs aux derniers, pour éviter qu'ils se révoltent ensemble contre les premiers.(...). Et dans l'Italie contemporaine, poursuit Melandri, "il suffit de persuader les chômeurs que leur emploi ne leur a pas été volé par les spéculateurs mais par les immigrés et le tour est joué: ils iront tabasser les journaliers au noir au lieu de faire la révolution. Et entretemps le marché de l'agroalimentaire italien peut maintenir des prix bas et concurrentiels. D'une pierre deux coups."
Bref un roman historique passionnant, écrit dans une langue limpide et bien traduit. Peut-être 400 pages auraient-elles suffi plutôt que les 565 qui nous sont proposées.
Le titre du livre est l'expression du délire du grand père d'Ilaria: tous vont mourir sauf moi!
Mano.