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Le Palais de glace, Nuit de printemps, Les Ponts, Les Oiseaux : quatre romans parmi d'autres de la dernière période de la production de Tarjei Vesaas (1897-1970) ressortent dans une belle édition chez Cambourakis.
Dernier en date, Les Oiseaux, encensé par La Croix : « Bouleversant, le roman somptueux de Tarjei Vesaas emporte puissamment dans l'univers poétique de Mattis, mettant en lumière la cruauté des rapports humains, et une indifférence pour la nature et ses merveilles qui va de pair avec le rejet des plus fragiles. »
La phrase fleure bon l'air du temps mais risque de tromper l'attente du lecteur : Vesaas ne s'intéresse jamais (du moins dans cette période-ci de son œuvre) à la société, fût-elle inclusive (ou pas) et soucieuse de son environnement (ou pas). La question de l'adéquation de l'homme et du monde est, chez lui, débarrassée de tous les emballages moraux. Il y est question de justesse, jamais de justice.
C'est une plongée chaotique dans les sens, plutôt, une tentative de rentrer dans la matérialité de ce que participer fait. Le témoin d'une scène d'agonie peut-il y soustraire sa participation – le simple fait qu'il ait vu consume sa conscience ? « Personne ne peut comprendre si on n'a pas participé à ça » est-il écrit dans L'Incendie, autre roman de cette période. L'inconcevable assaille parfois nos vies – en fait, n'en laisse aucune indemne : « on a presque toujours à souffrir de choses qu'on n'aime pas, et qu'on n'a pas souhaitées, et dont on ne se défait pas » –, submerge, littéralement, l'homme au bord de la noyade dans une nouvelle du recueil titré La barque le soir, glisse en dessous de ce qu'il y a peut-être à comprendre et qui atteste, pourtant, d'une persistance du vivre.
« Ne pas comprendre, mais être à proximité de ce qui se passe » : c'est peut-être la phrase testamentaire, toujours dans La barque le soir, de l'aventure littéraire de Vesaas comme l'effort d'une sensibilité pour habiter le monde.
« Nous sommes tous ces coins et ces recoins de la forêt. Même s'il n'y a personne en ce moment, ça fourmille de souvenirs – là où les brins d'herbe ont été maintes et maintes fois piétinés. Nous sommes ces lieux où les mots qui dégringolent sont des élixirs de vie et des sentences de mort, des effets d'inertie et des sources de stimulation. Nous sommes ces innombrables quantités de bons repaires bien cachés où les humains se sont assemblés. Nous sommes ces endroits étriqués qui ne tomberont jamais dans l'oubli et que les humains garderont en mémoire jusqu'au jour de leur mort, bien que ce soient des je-ne-sais-quoi et des presque-rien : une pierre ou deux faisant office de siège, une frondaison en pleine éclosion, un ruisseau au bord du tarissement en tout début d'été. »
Les Ponts, p.151

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