
Anticonstitutionnel. Ainsi a tranché le Conseil constitutionnel vendredi 30 juillet 2010 en rendant sa décision relative au régime de la garde à vue. Suite à la demande de neuf avocats - parmi lesquels un Dijonnais, Jean-Baptiste Gavignet, dont dijOnscOpe publiait l'interview vendredi 23 juillet , les onze Sages de l'institution suprême avaient en effet à statuer sur la conformité ou non de la garde à vue à la Constitution et aux droits fondamentaux. Bilan : cinq de ses dispositions sur six ont été jugées non conformes. Du coup, les parlementaires ont jusqu'au 1er juillet 2011 pour proposer une loi plus protectrice... Qu'en pensent les policiers ? Jean-Marie Philips, secrétaire régional en Bourgogne du syndicat Alliance police nationale, et Christian*, policier en Côte-d'Or, montent au créneau pour défendre la garde à vue et critiquer ce qu'aimeraient en faire les avocats. Sans oublier une étrange polémique autour des chiffres départementaux de la garde à vue...
Parquet, commissariat et préfecture se renvoient la balle
En 2009, 2.257 gardes à vue ont été réalisées par la police nationale sur le département de la Côte-d'Or, 25 à 30% étant à rajouter pour intégrer les délits routiers. Et les autres années ? Bonne question... Même en faisant preuve de patience et de ténacité, impossible pour dijOnscOpe d'obtenir des chiffres plus anciens, qui auraient permis d'effectuer une comparaison, histoire de constater que le nombre de garde à vue avait localement augmenté ou non. La mauvaise volonté des différents services de l'État aura en effet eu raison de notre insistance...
Tels Astérix et Obélix à la recherche du laissez-passer A-38 dans Les Douze Travaux, nous avons été "baladés" de service en service : du commissariat de Dijon à la préfecture de Côte-d'Or, du bureau du procureur de Dijon à la préfecture, en repassant par le commissariat, puis la préfecture et enfin le commissariat... Tous se renvoyant la balle alors que tous reconnaissent posséder les chiffres en question, plus facilement accessibles pour certains que d'autres. Rétention d'informations ? Allez, nous n'irons pas jusque-là ; disons plutôt que les archives des services de l'État sont très, très mal rangées...
790.000 gardes à vue en 2009
Dommage, ces chiffres étaient pourtant importants puisque le Conseil constitutionnel s'est basé sur l'inflation des procédures de garde à vue, multipliées par 3 en dix ans, pour rendre sa décision : "Le Conseil constitutionnel a relevé la tendance à la banalisation de la garde vue. Reprenant les chiffres qu’il avait sollicités du Gouvernement (consulter le document ici), il a constaté que plus de 790.000 mesures de garde à vue avaient été décidées en 2009. (...) Le Conseil n’a pas considéré que l’augmentation du nombre d’OPJ [ndlr : officier de police judiciaire], le développement du traitement en temps réel des procédures pénales ou même l’augmentation du nombre de gardes à vue étaient, en elles-mêmes, contraires à la Constitution. Il a toutefois estimé que cette évolution appelait une évolution corrélative des garanties encadrant le recours à la garde à vue, son déroulement et la protection des droits de la défense".
La politique du chiffre : réalité ou fiction?
Petit réconfort : Christian, policier en Côte-d'Or, confirme que "Dijon et le département ne sont pas des cas à part en France". Autrement dit, le nombre de gardes à vue y a augmenté comme partout ailleurs. Pourquoi ne pas le dire alors ? Notre difficulté à obtenir tous ces chiffres révèle au moins une chose : l'État ne semble pas particulièrement fier de leur augmentation. Michèle Alliot Marie, ministre de la Justice, a d'ailleurs reconnu mardi 09 février 2010 au Sénat, qu'il était "évident que la garde à vue était devenue trop automatique dans notre pays. Il faut la recentrer sur ce qu’elle doit être : un instrument d’enquête." (Lire l'article de Libération.fr l "MAM veut trier les gardés à vue, mais trier large").
Dans ce contexte, l'idée propagée de la politique du chiffre - comme l'illustre le commentaire d'un lecteur de dijOnscOpe : "Il est temps que cette pratique cesse.....faire du chiffre !" (24 juillet 2010 - Lire notre article ici), est-elle logique ? La question posée à Christian, celui-ci répond que oui, il leur est demandé de faire du chiffre mais le policier semble hésiter :"Dans le cadre du gonflement des chiffres, la hiérarchie peut demander un placement en garde à vue sur certaines affaires. Mais en fait, le plus important pour les statistiques, ce sont le nombre de faits commis et le nombre de faits élucidés", estime-t-il.
Ces chiffres-là sont aisés à trouver sur le site internet de la préfecture : "En 2008, la délinquance connaît une évolution contrastée dans le département de la Côte-d'Or. Certes, la délinquance générale augmente de 3,3 % par rapport à l'année précédente (23.471 faits constatés contre 22.729 en 2007). (...) Le taux d'élucidation des affaires reste stable en 2008 (37%, à comparer avec 37,3% en 2007)".
Les policiers sur le qui-vive?
Et si les policiers avaient tout simplement non pas la gâchette mais la garde à vue facile ? A voir les récents événements de Grenoble, où des tirs à balles réelles ont été réalisés (Lire LeParisien.fr ici), il est vrai que le contexte est loin d'être apaisé pour eux. Christian confirme : "Avec toutes les armes des pays de l'Est qui circulent en France, il est facile pour tout à chacun de faire ce qu'il veut, plus facile qu'avant en tout cas. Ces gens, les caïds, n'ont plus peur de rien ; il n'existe plus de mesure ; ils essayent de faire pression par la force pour occuper les territoires".
Pour illustrer son propos, le policier fait passer la photocopie d'un article du Point du 28 juillet 2010 : "Denis, policier à la Bac : "Le flic est un sous-citoyen", qui raconte que "les caïds se disent dans leur tête que les flics ont peur" et qu'"on se fout de la gueule des flics, on [les] prend pour de la chair à canon". Selon Christian, le papier "retrace un petit peu l'état d'esprit des policiers en ce moment : "Oui, je peux parler sèchement mais ça ne veut pas dire que je fais mal mon travail. Je pense à ma famille et je me tiens sur le qui-vive pour me défendre..."
Fuites de garde à vue...
Avec une telle tension, ne serait-il pas préférable que les avocats soient véritablement présents lors des gardes à vue, comme ces derniers le demandent aujourd'hui ? Jean-Marie Philips, secrétaire régional en Bourgogne du syndicat Alliance police nationale, n'y croit pas : "Si cette réforme de la garde à vue aboutit, c’est la fin de l’enquête judiciaire. Aujourd'hui, le mis en cause est présumé innocent jusqu’au procès, les enquêteurs dirigent l’enquête à charge et à décharge afin que la vérité éclate et ce, en respectant les droits des personnes placées sous leur responsabilité. A partir du moment où le mis en cause voit ses droits respectés (avis à famille, visite à médecin, avocat) pour quels autres motifs aurait-il besoin d’un avocat dès la première heure ? C’est la manifestation de la vérité qui importe à tout enquêteur ;,pour un avocat, c’est la défense des intérêts de son client..."
Et d'ajouter : "Le risque, en terme d’enquête, c’est de ne jamais voir sortir certaines affaires (Stup, terrorisme, grand banditisme...) : on peut en effet imaginer, sans vouloir s’attaquer à la probité des avocats en général, que des fuites pourraient avoir lieux de leur côté puisqu'ils auront accès aux dossiers dès la première heure"...
Christian, lui, pointe du doigt l'aspect commercial de la démarche des avocats : "A l'heure actuelle, un avocat commis d'office touche un forfait d'environ 350 euros pour la garde à vue. Mais quand il s'agira de se déplacer en pleine nuit ou un dimanche, ça m'étonnerait que le tarif reste le même! Il faut penser que ces sommes resteront à la charge de l'État en ce qui concerne les avocats commis d'office".
Des pressions... quelles pressions?
Quant à l'argument avancé par Jean-Baptiste Gavignet, affirmant que la présence d'un avocat éviterait la pression policière durant les gardes à vue, les deux policiers interrogés le réfutent : "D'abord, il faut différencier une affaire mineure d'une grosse affaire (grand banditisme, braquage, etc.). Pour ces dernières, les gardes à vue font souvent suite à des faits constatés qui débouchent sur des interpellations. Les enquêteurs ont donc des éléments sur lesquels s'appuyer. Et puis vous savez, les gens qui s'inscrivent dans la malhonnêteté aujourd'hui connaissent parfaitement bien le système judiciaire. Ceux-là se servent des failles pour essayer de se défendre. En garde à vue, ils s'obstinent bien souvent à répondre : "Non, je ne me souviens pas". On a aussi du : "Je vous jure que ce n'est pas moi".
Pour le reste, Christian assure que les policiers savent travailler avec discernement : "Pour les gardes à vue concernant l'alcoolémie au volant, la personne dégrise, est auditionnée et basta. Il est hors de question de lui mettre la pression...".
* Dans un souci d'anonymat, le prénom du policier a été changé.
