Cela n’avait encore jamais eu lieu : nous sommes parvenus à suivre (non sans mal) deux bénévoles de Genepi, le Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées, au sein de la maison d’arrêt de Dijon. Leur mission : animer une activité "revue de presse" auprès de quelques détenus. Découvrez l’envers du décor et un moment de partage entre des jeunes et des prisonniers…
En cellule pour parler culture...
8h30 à la maison d’arrêt de Dijon. Comme tous les jeudis entre octobre et juin, quelques détenus se réunissent pour discuter de l’actualité. Les étudiants dijonnais de l’association Genepi mènent l’activité et gèrent les éventuelles tensions. Lucie, la présidente de Genepi à Dijon, revient sur les motivations de l’association : "On collabore à la réinsertion sociale des détenus en apportant notamment la culture, peu présente au sein de l'établissement". Elle s’exprime également sur l’intérêt de ce bénévolat, qui "est un échange humain très enrichissant. On apprend à gérer les éventuelles tensions qui peuvent se faire sentir. Genepi informe aussi le public sur le milieu carcéral. Les deux sont liés".
L’ambiance est bon enfant. La présence d’un surveillant de prison (Christophe) ne semble pas gêner les prisonniers dans leurs propos. Trois détenus sont venus à l’activité ce matin. Nous les appellerons Ali, Maurice et Manuel. Ali, jeune trentenaire d’origine turque a l’allure sportive et dynamique, est prolixe et commente à tout va les informations. Pour chaque sujet, il a son mot à dire. Son analyse est parfois exagérée mais il semble avoir un réel intérêt pour l’actualité. Au sujet des minarets par exemple : « Les minarets, c’est décoratif. Qu’on veuille les interdire, pour moi, c’est du racisme ».
« On a fait une connerie mais on connaissait les risques »
Damien, étudiant en Master de droit interpelle les prisonniers sur l’actualité. Il évoque un sondage sur les cinq événements les plus marquants de la décennie 2000. Pour Ali, Sarkozy arrive en tête : « C’est à cause de lui que je suis ici, il a supprimé la grâce présidentielle ». Le 11 septembre arrive en seconde position dans le classement du détenu. L’homme exprime ses réserves quant à la plausibilité de l’événement et dévie sur le sujet de l’Afghanistan : « Les soldats qu’on envoie en Afghanistan sont inexpérimentés. Ils se plaignent, mais ils savent ce qu’ils risquent. C'est comme nous, on a fait une connerie mais on connaissait les risques ».
Son codétenu, Manuel, est peu bavard. D’origine portugaise, l’homme d’une quarantaine d’années, cheveux bruns et barbichette, observe beaucoup et parle d’une petite voix. Il prend des cours le lundi pour améliorer son Français. La revue de presse, c’est la première fois qu’il y participe : « Cela permet d’améliorer mon français. Je pense que je vais revenir ».
Un jeu pour débattre
Lucie propose un petit jeu aux détenus. Ils doivent deviner la bonne information parmi trois propositions. Thèmes abordés : les propos du footballeur Dorasoo sur l’arbitrage, ceux de Christine Boutin sur l’hébergement de force des SDF et le travail le dimanche. Autant de sujets pour amener le débat et susciter la réflexion. Mais Ali préfère revenir sur des événements qui l’intéressent plus : la nouvelle émission de TF1 montrant le journaliste Harry Roselmack dans une cité sensible, « Harry Roselmack derrière les murs de la cité ». Il a un avis bien tranché sur la question : « A mon avis, on a payé les gens du quartier pour qu’ils acceptent de faire le reportage ».
Maurice le « bavard »
A ce moment de la matinée apparait Maurice. La soixantaine et vif d’esprit, l’homme prend ses aises. Damien lui propose de s’exprimer sur les événements de la décennie 2000 qui l’ont marqué, mais ce ne sont pas tout à fait ceux auxquels on aurait pu s’attendre : « Je dirai le tsunami en premier. En seconde position, je ne dirai pas le 11 septembre, on ne connait pas la réalité. Ce serait plutôt la mort de Jean-Paul II, car il a fait ce qu’aucun chef d’État n’a pu faire. Et bien sûr mon incarcération (rires)! ».
« L’objet de la discussion n’est pas la réorganisation de la prison »
Thème plus sensible abordé : les réformes judiciaires et pénitentiaires. Et à ce sujet, Marcel a mille choses à dire : « La détention devient un business. On ne sait pas s’il y a de la place et on envoie tout le monde en maison d’arrêt. Ce n’est pas vrai ? », demande-t-il au surveillant pénitencier qui veille au bon déroulement de la séance. Celui-ci réagit : « Nous, on n’a pas le choix. C’est vrai qu’il y a bien plus de détenus qu’il n’y a de prisons ». Marcel trouve que les gardiens de Dijon sont corrects : « Ici, on n’a pas à se plaindre du personnel. A part une seule personne vraiment mauvaise... ». Christophe, le surveillant intervient pour calmer les choses : « Une prison, c’est comme partout, il y a toujours des bons et des mauvais travailleurs. » Et de rappeler que l’objet de la discussion n’est pas la réorganisation du système pénitentiaire.
Des activités pour combattre l’isolement
La discussion repart sur les activités au sein de la prison. Manuel évoque le soutien scolaire qu’il faisait avec le Genepi. Un professeur diplômé vient à présent lui donner des cours : « C’est important de savoir le français. Ces cours me permettent de progresser », bredouille t-il. Christophe approuve : « Aller dans ce genre de groupes, comme la revue de presse, permet de s’améliorer et c’est un bon exercice pour s’intégrer ». Il récapitule les différentes activités proposées aux détenus : « Entre 7 et 17 heures, tous ceux qui le souhaitent sont occupés. Certains travaillent ou ont une formation professionnelle, d’autres suivent un enseignement, des activités. Rien n’est obligatoire ».
Le gardien évoque également le faible attrait pour la culture : "Si un détenu a le choix entre une activité culturelle ou du sport, il choisira le sport". L’activité « revue de presse » animée par le Genepi existe depuis plusieurs années. En fonction des qualités et compétences des étudiants de l’association, différents ateliers ont vu le jour : dessin, biologie, théâtre, un journal interne trimestriel existe aussi depuis l’an dernier.
Des bénévoles sinon rien
Les "Genépistes" ne sont pas les seuls bénévoles. Certaines personnes viennent jouer aux échecs. D’autres sont là pour accueillir les familles des détenus, des étudiants de l’école de commerce viennent faire des matchs de foot et quelques jeunes de l’UFR STAPS animent des ateliers de sport adaptés aux plus de 50 ans. Côté information, le journal est distribué chaque matin dans les cellules, 99 % des détenus ont la télé et une petite bibliothèque est à leur disposition. Seul bémol : dijOnscOpe ne leur est pas permis, internet étant interdit.
Autant d’activités qui permettent au prisonnier de sortir de l’isolement et de s’ouvrir au monde. Des loisirs qui ne lui seraient pas possible de pratiquer sans la générosité de bénévoles comme ceux du Genepi. Les détenus en sont conscients, tel Marcel : « Rendons hommage au Genepi. La pénitentiaire n’a aucun moyen, heureusement qu'il y a des bénévoles. Bientôt, le gouvernement ne voudra d'ailleurs que des bénévoles ! ». Lucie confirme la reconnaissance des prisonniers : "Dès le mois de septembre, ils sont en attente et demandent quand nous venons".