"Capitalism a love story" est le nouveau documentaire de Michael Moore. Récompensé à la Mostra de Venise, il est actuellement à l’affiche de la plupart des nsalles obscures de France. Avec ce nouveau coup médiatique, Moore interroge : "A quel prix doit-on payer l’amour du capitalisme ?". Pour aider les spectateurs à y voir plus clair, le cinéma l’Eldorado a invité Paul Jorion vendredi 27 novembre. Anthropologue et sociologue, l’homme est également spécialisé dans les sciences cognitives et l’économie. Autant dire qu’il était de taille à répondre aux questions des spectateurs passionnées venus en nombre...
Un film à charge
Paul Jorion prévient le spectateur : « Le film de Moore doit plutôt être regardé comme un film ethnographique plutôt que comme un documentaire ». Le nouveau Michael Moore ressemble à tous les autres : une charge virulente et sans pitié. La cible du cinéaste est cette fois-ci le système économique américain basé sur le capitalisme. Un capitalisme que Moore n’hésite pas à opposer à la démocratie à plusieurs reprises.
S’enrichir avec la mort de ses employés
Michael Moore explore les méandres du système, il revient sur l’histoire économique des États-Unis et ses travers. Et ceux-ci sont nombreux, le spectateur découvre avec stupeur des magouilles dignes des pires scénarios. L’une des séquences les plus stupéfiantes nous apprend que des entreprises prennent des assurances-vie sur le dos de certains employés en mauvaise santé. Paul Jorion, nous précise l’utilité de cet argent pour le moins étonnante : « L’usage de cet argent servait aux parachutes dorés des dirigeants. Lors de leur départ, l’argent servait aux retraites ou aux suppléments de pension ».
Les « vautours de la crise »
La crise économique ne fait pas que des malheureux comme nous le montre le réalisateur. Nous découvrons que certaines agences telle « Vautour immobilier » sont spécialisées dans la vente de maisons saisies aux classes moyennes, victimes notamment des « subprimes », les fameux crédits hypothécaires qui ont ruiné tant de familles américaines. Michael Moore en explique ses mécanismes et son incroyable hypocrisie. l s’interroge aussi sur l’argent versé aux banques pour contrer la faillite et montre des hommes politiques incapables de s’expliquer sur le versement de cet argent. Quelques rares politiques courageux et honnêtes ponctuent parfois son propos proposant un visage différent des États-Unis.
Les États-Unis : "Une Rome antique contemporaine"
Michael Moore nous offre donc un spectacle désolant d’un pays ruiné, au bord de la révolte. Ses comparaisons et réflexions dressent le portrait d’un Etat quasi totalitaire où l’argent a remplacé toute valeur morale. Le capitalisme apparait comme un poison sournois qui a rongé les bases d’un empire et qui continue a entrainé sa perte. En cela, le début du film est des plus symboliques. Michael Moore nous montre une Rome antique au faîte de sa gloire et dont le déclin est patent. Celui de l’Empire romain s’apparente en tous points à celui de l’Empire américain : « Richesses, misères et décadence ». Peu à peu, le pays est ruiné, les gens perdent leur emploi puis sont expulsés et ceux qui travaillent le font laborieusement pour un salaire de misère.
L’égalité pour tous ?
Moore tente une fin optimiste à ce constat quelque peu chaotique qui laisse parfois le spectateur assommé : l’autogestion des entreprises est suggérée comme une solution au problème. Une boite de bureautique offerte en exemple, nous montre des employés heureux et bien payés travaillant avec harmonie pour un salaire égal. Paul Jorion revient quant à lui sur la fausse égalité apparente du système : « Les contrats aux États-Unis sont dits égaux. En effet, vous pouvez partir de l’entreprise quand vous voulez et l’employeur peut vous virer quand il le souhaite. Forcement les rapports de force sont inégaux». L’élection de Barack Obama semble également faire renaitre quelque espoir chez Moore, anti-Bush incurable. Toutefois, Paul Jorion précise que comme la plupart des Américains, il a sans doute été déçu par Obama et a probablement enlevé quelques séquences positives avant la sortie du film en Europe.
Un appel à la révolution?
Le générique de fin démarre sur la musique de l’Internationale, laissant le spectateur quelque peu sceptique : est-ce un appel à la révolution ? Paul Jorion lui-même s’interroge : « Je ne sais pas si Moore sait vraiment ce qu’il a mis là. » Le spécialiste précise à ce propos que les mouvements d’extrême-droite sont en plein développement aux États-Unis : « Avec l’Internationale, Moore a sans doute fait une sorte de déclaration de guerre à ces gens là ». L’économiste revient également sur la deuxième chanson du générique de fin interprétée entre autres par Bruce Springsteen : « Cette chanson de l’époque de la dépression [années 1930] contient deux couplets considérés comme communistes. Lors de l’élection de Barack Obama, la chanson fut interprétée avec les couplets « gauchistes ». En regardant la tête d’Obama à ce moment-là, on peut voir qu’il n’y croit pas une seule seconde. Il est sympa mais je crois que c’est le type qui a écrit les livres les plus creux que je connaisse ». Pas tendre envers le président, plus nuancé envers Moore. Pour Paul Jorion dans « Capitalism a love story », le cinéaste simplifie la réalité mais fait surtout une erreur en comparant la sauvegarde du système bancaire américain (700 milliards de dollars) à un coup d’Etat.
Des prévisions pessimistes
Et Paul Jorion nous prévient : « En ce moment, c’est une fausse reprise économique. On laisse croire aux gens que la bourse est un baromètre de l’économie mais elle peut monter pour d’autres raisons. Après la crise de 1929, 1933 était une année de reprise mais les années suivantes ont été encore pires économiquement. L’exemple de Dubaï*montre que la crise est toujours là ; elle va sans doute exploser dans l’immobilier commercial vers 2011».
*Depuis fin novembre, Dubaï ne peut honorer ses dettes et se retrouve au bord de la faillite.