
Le constat est amer. Un an après son entrée en vigueur au 1er juillet 2009, la baisse significative de la TVA dans la restauration - de 19,6 % à 5,5 % -, n'a pas eu les effets escomptés, à savoir doper l'embauche de salariés et réduire les prix pour les clients. Selon l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, la moitié des restaurateurs ont laissé leurs tarifs inchangés. Autrement dit, l'autre moitié aurait augmenté ses marge d'environ 12%... Tandis que le déficit de la France s'achemine paisiblement vers les 146 milliards d'euros, François Baroin, ministre du budget, a ouvert les hostilités dimanche 27 juin 2010, en envisageant ouvertement l'annulation de cette mesure qu'il qualifie de "très, très grosse niche fiscale"*. Coût pour l'Etat de ce "cadeau fiscal" ? Près de trois milliards d'euros par an. Selon Pierre Guille, le président de l'UFC-Que Choisir Bourgogne, le client s'est (encore) fait plumer...
Pierre Guille, bonjour. Pouvez-vous nous rappeler les raisons de la baisse de la TVA et les engagements pris en contrepartie par les professionnels de la restauration ?
"Au départ, la baisse de la TVA est essentiellement une demande de la profession. Depuis des années, la restauration traditionnelle dénonçait le transfert des consommateurs vers la restauration rapide, dont la TVA moins élevée créait une sorte de disconcurrence. En contrepartie de cette baisse, non obligatoire, les représentants de la restauration traditionnelle se sont engagés à faire profiter le consommateur de cette baisse et à réorganiser les métiers de la restauration avec de meilleures conditions de travail. Un certain nombre de restaurateurs ont estimé eux-mêmes avoir besoin de changer du matériel et donc de profiter de cette baisse pour engager une rénovation de leurs établissements.
Selon vous, dans quelle proportion la profession a-t-elle vraiment joué le jeu ?
En janvier 2010, la baisse de la TVA a été répercutée principalement dans des établissements de grandes chaînes. Or dans les restaurants traditionnels, elle a été utilisée pour compenser la baisse du chiffre d'affaires et donc se reconstituer de la trésorerie à partir de l'argent disponible. Certains ont même augmenté leurs prix ! La raison invoquée ? Il y avait soit-disant une désaffection de la part des clients... Toutefois, certains ont fait quelques efforts sur les salaires et les conditions de travail mais ce n'est pas la majorité. Nous ne constatons pas une volonté affirmée de la part des restaurateurs de consentir à ces efforts. D'ailleurs, ceux qui répercutent la baisse de la TVA sont bien contents de l'afficher car ils estiment que c'est peut-être un appel au consommateur ; ceux qui ne font rien restent bien cachés dans leur secteur. Cette baisse est donc limitée à quelques enseignes seulement.
Le passage de la TVA de 19,6% à 5,5% profite-t-il vraiment au consommateur ?
Les grandes chaines avaient plus de facilités pour s'engager sur une réduction puisqu'elles pouvaient compenser par des menus peut-être différents du plat du jour ou des menus sur lesquels le consommateur lambda avait plutôt l'habitude de commander. Sur les plats du jour, il n'y a pas énormément de diminution. Toutes les diminutions sont minimes, à raison de dix ou vingt centimes d'euros sur le café par exemple et jusqu'à un ou deux euros sur certains plats du jour ou sur les menus aux tarifs les plus bas. Ce n'est pas du tout généralisé et c'est dérisoire pour le consommateur. Le client est le dindon de la farce. Sur les 14% de baisse, le consommateur ne reçoit que des miettes. Il faudrait qu'on nous apporte la preuve que cet argent n'a pas seulement été utilisé pour de la trésorerie mais aussi pour embaucher ou améliorer les conditions financières et de travail des salariés.
Au niveau local, avez-vous des exemples concrets de baisse effective des prix dans certains établissements ?
Au niveau local, sur 55 établissements consultés en juin 2009, nous sommes retournés en voir 40 en janvier 2010. Je dirais que seulement 1/4 des établissements ont joué le jeu, vis-à-vis du consommateur tout du moins. Nous avons constaté une légère baisse à midi mais une augmentation le soir. Prenons l'exemple d'un plat du jour dans une pizzeria où nous sommes allés : il était à 9,90 euros en juin 2009 et à 11 euros en janvier 2010, c'est une augmentation ! Un autre menu dans cet établissement était à 12,90 euros ; nous l'avons retrouvé à 17,90 euros ! Il y a sûrement une raison mais le café, qui était à 1,80 euros, est toujours à 1,80 euros... Dans un autre établissement, un menu complet était à 13,40 euros ; il est passé à 13,30 euros : pour un menu complet, 10 centimes de diminution... On se fiche du monde ! Dans certains établissements, nous avons constaté soit une augmentation non justifiée, soit une diminution symbolique de 10 centimes !"
Le gouvernement aurait-il dû mener une politique plus répressive, avec des sanctions à la clé ?
Pour obtenir un résultat plus probant, il aurait fallu un engagement de pourcentage de baisse des produits de manière systématique pour l'ensemble de la restauration. En laissant le choix à la profession de répercuter cette baisse de la TVA sur les consommateur, les salarié ou lui-même, nous étions persuadés que ce n'était pas le consommateur qui allait en profiter. Sans parler de sanction, l'engagement aurait dû être de s'engager pour 1/3 chacun et non pas laisser libre cours à la bonne volonté des restaurateurs. Dès lors, nous aurions eu une baisse de 4 à 5% pour le consommateur, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui."
*François Baroin, ministre du Budget, est d'ores et déjà revenu sur sa déclaration, mercredi 30 juin 2010, et a confirmé dans un entretien au quotidien Le Parisien/Aujourd'hui en France que le gouvernement ne reviendrait pas sur la TVA à taux réduit accordée aux restaurateurs : "Cette mesure est maintenue. [...] Si elle doit être remise en cause, le débat devra avoir lieu pendant la prochaine présidentielle."
