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Billet de blog 5 août 2011

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Les vacances en panne de démocratisation?

Plages, parasols, baignades ou encore randonnées au soleil... Le doux imaginaire estival fait parfois oublier que les vacances sont avant tout une question politique !

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Plages, parasols, baignades ou encore randonnées au soleil... Le doux imaginaire estival fait parfois oublier que les vacances sont avant tout une question politique ! Alors que près de la moitié des Français annoncent qu'ils ne partiront pas pour l'été 2011, dijOnscOpe s'est interrogé sur la panne de démocratisation qui traverse aujourd'hui l'Hexagone. Où sont passées les vacances au XXIe siècle, alors que de nettes impulsions avaient été données en 1936 puis après la Seconde guerre mondiale pour favoriser le départ du plus grand nombre ?...

1936-2011 : 75 ans de politique des vacances

Les vacances et les départs de masse n'ont pas un siècle d'existence et pourtant, leur pratique, si elle n'est pas généralisée, semble largement rentrée dans la liste des attentes de la société française. Rappelons-nous d'abord que jusque juin 1936, les milieux patronaux s'élevaient, à chaque proposition politique, contre l'obligation des "vacances payées" et que le Sénat avait enterré toutes les propositions de lois déposées en ce sens, notamment le projet Durafour de 1925*. Toutefois, beaucoup d'usines avaient pris l'habitude de fermer une ou deux semaines en août... mais sans payer leurs ouvriers ! Après la vague de grèves de mai-juin 1936, la donne a changé. Car même si la revendication des congés payés ne figurait pas au programme du Front populaire - les ouvriers étaient bien plus préoccupés par la question du chômage -, Léon Blum, alors chef du gouvernement français, annonça le dépôt imminent d'un projet de loi en ce domaine. Votée à la quasi-unanimité par la Chambre des députés le 11 juin par 563 voix contre une, puis par le Sénat le 17 juin par 295 voix contre deux, promulguée enfin le 21 juin, elle instituait un congé payé de quinze jours, dont douze ouvrables, pour les salariés ayant effectué un an de service continu dans l'entreprise.

Déjà, en 1936, la politique des vacances ne se résumait pas au "simple" octroi de congés. Sous-secrétaire d'Etat à l'Organisation des loisirs et des sports, Léo Lagrange négocia avec les compagnies de chemin de fer l'institution d'un "billet populaire de congé annuel" 550.000 personnes en profitèrent en 1936, 907.000 en 1937. L'été 1936 fut aussi la saison des premiers grands départs en bicyclette ou en tandem. Ainsi, grâce aux congés payés - et à la forte augmentation des salaires -, de nombreux ouvriers purent prendre de véritables vacances pour la première fois de leur vie. Il convient toutefois de ne faut pas exagérer l'ampleur des départs de 1936 : une série d'études locales a montré que, sauf en région parisienne, ils ont été peu nombreux et que la majorité des salariés sont restés chez eux*.

Au fil du XXe siècle, la régie Renault joua ensuite un rôle moteur dans l'extension de la durée des congés payés. Le 15 septembre 1955, elle accorda trois semaines à ses salariés. Cette mesure fut rapidement réclamée et obtenue par la majorité des grandes entreprises et elle fut généralisée sous le gouvernement Guy Mollet par la loi du 27 mars 1956. Le tourisme populaire en fut relancé, accompagné de l'essor du caravaning... Accordée chez Renault le 29 décembre 1962, la quatrième semaine s'étendit de la même façon avant d'être rendue obligatoire par la loi du 17 mai 1969. Quant à la cinquième semaine, elle remonte à l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 ; elle fut officialisée par l'ordonnance du 13 janvier 1982. Comme un symbole de l'importance nouvelle donnée à la question des vacances, l'article 140 de la Loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre l'exclusion la définit même comme un objectif national : "L'égal accès de tous, tout au long de la vie, à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national. Il permet de garantir l'exercice effectif de la citoyenneté", souligne le texte de loi.

L'aide au départ : de l'impulsion nationale aux réalités locales

Dès lors, la décision politique de favoriser le départ du plus grand nombre s'est traduite par des actions. Au niveau national et jusqu'à aujourd'hui, les principales aides financières au départ en vacances sont les chèques-vacances, émis par l'Agence nationale pour les chèques-vacances (ANCV), établissement public créé en 1982. Ces chèques sont des titres de paiement de dix ou vingt euros, dont l'utilisation est très ouverte et possible chez 170.000 professionnels du tourisme et des loisirs. Les employeurs et les organismes sociaux les acquièrent auprès de l'ANCV, puis les proposent à leurs salariés. En 2010, 3,4 millions de personnes en ont bénéficié, pour un montant d'1,3 milliard d’euros - qui entraînerait par la suite une consommation touristique de plus de cinq milliards d’euros - selon la note n°234 du Centre d'analyse stratégique, datée de juillet 2011 (Voir document joint). Par ailleurs, l'Agence consacre l'intégralité des excédents de gestion des chèques-vacances au financement de programmes d'action sociale, créant ainsi une solidarité entre les salariés et les plus fragilisés "alors qu'historiquement, la politique vacances était principalement organisée autour du salariat, avec les congés payés et les chèques-vacances tels que conçus à l'origine", remarque la note d'analyse. En 2010, l'ANCV a ainsi engagé vingt millions d’euros pour soutenir le départ en vacances de 175.000 personnes.

Autre pilier de l'aide au départ en vacances : la branche Famille de la sécurité sociale. En effet, même si les priorités des Caisses d'allocations familiales (CAF) se portent désormais davantage sur les loisirs de proximité, l'aide au départ fait tout de même partie de leurs missions. Chaque CAF gère ses actions de façon autonome et les aides sont diversifiées dans leur forme, leur montant et leurs critères d'attribution - revenus, nombre d'enfants, situation familiale etc. Les CAF peuvent verser les sommes qu'elles désirent et être informées en temps réel de la consommation de l'enveloppe. De leur côté, les allocataires choisissent un séjour labellisé CAF et contactent directement l'hébergeur qui ne leur facture que la différence entre le coût réel du séjour et l'aide consentie par leur caisse. En 2010, la CAF a ainsi contribué au départ de 93.800 personnes, pour un montant d'aide de plus de 35 millions d'euros, selon la note d'analyse précitée.

Au niveau local, l'aide au départ passe avant tout par l'organisation de séjours courts, comme en témoigne Laurent Grandguillaume, adjoint au maire de Dijon délégué à la Jeunesse, à la Vie associative et à la Démocratie locale. "Nous proposons notamment des séjours "Vacances famille", en partenariat avec les centres sociaux. Ils peuvent se dérouler dans la région où à l'extérieur et durent en général une journée", explique-t-il. La ville de Dijon ne soutient donc pas de séjours longs ? "S'il est possible qu'un jour, avec des groupes d'habitants bien constitués, nous puissions mener des projets sur plusieurs jours : pourquoi pas. Mais au niveau de la mairie, nous essayons surtout de développer les séjours familiaux, qui effectivement durent une journée pour la plupart". D'autres structures proposent également de courts séjours en dehors de la région. L'accueil jeunes de la maison de quartier de la Fontaine d'Ouche, par exemple, organise cette année des excursions de quatre jours dans le Jura, en Ardèche ou encore à Marseille pour les jeunes Dijonnais...

La démocratisation des vacances en panne

Malgré toutes ces actions politiques, la croissance continue du taux annuel de départ en vacances a fortement ralenti au début des années 1990. Selon un sondage Obea-Infraforces réalisé du 23 au 28 juin 2011 pour 20Minutes et France Info, un tiers des Français de plus de quinze ans ne part pas chaque année et, sur la période estivale 2011, 45% annoncent qu'ils resteront à leur domicile pendant leurs congés.

"On constate d'importantes variations en fonction du diplôme, du revenu, de l'âge et du lieu de résidence", remarque la note d'analyse n°234 du Centre d'analyses stratégiques. Et de préciser : "Tout d’abord, les personnes sans diplôme ne sont que 32% à être allées en vacances en 2010. En outre, le fait de gagner moins de 1.500 euros par mois diminue par 2,2 fois la probabilité de partir comparativement aux revenus supérieurs à 3.000 euros - 35% contre 78% - et certaines professions bénéficient beaucoup moins de ces temps de répit, à l'image des agriculteurs". Du côté des enfants, "28 % ne profitent pas de ces temps d'évasion, leur non-départ étant fortement corrélé à la situation socioéconomique de leur famille. Les colonies de vacances, qui ont vu le jour à la fin du XIXe siècle, séduisent par ailleurs un public de moins en moins important : alors qu'1,6 million d'enfants en profitaient en 1994, ils étaient moins d’un million en 2008. Cette désaffection des centres de vacances et de loisirs s’expliquerait en partie par leur coût, leur offre trop peu diversifiée et l’évolution des attentes des jeunes et des parents".

Enfin, le lieu de résidence semble avoir une forte influence sur le choix du départ en vacances. "Plus de la moitié des séjours sont ainsi effectués par les habitants des agglomérations de plus de 100.000 habitants", remarque la note d'analyse. Et d'ajouter : "Cette forte proportion de citadins parmi les touristes est due non seulement au besoin de s’évader de leur environnement quotidien mais aussi à la présence en ville d’une importante population de cadres et professions libérales à hauts revenus. Symétriquement, les personnes vivant à la campagne vont en moyenne moins en vacances. Cette différence s’expliquerait notamment par le fait que les propriétaires d'une maison apprécient d'y rester pour faire des travaux ou pour inviter des proches. La qualité de vie quotidienne influe donc fortement sur le choix de partir ou non, ce qui pourrait expliquer que les Corses restent deux fois plus chez eux que la population générale" ! Après le déploiement d'importants dispositifs d'aide jusqu'aux années 1990, la politique des vacances semble donc aujourd'hui subir un sérieux coup de frein, contribuant à renforcer les inégalités au sein de la population. A l'approche de l'élection présidentielle, au portes de l'été 2012, la question pourrait retrouver prochainement de son intérêt politique...

*Source : Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire historique de la vie politique française au XXe siècle, PUF, 1995 (Article "Congés payés", par Jean-Paul Brunet, historien).

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